Hana Podolska

Les modèles d'Hana Podolská, photo: Milena Štráfeldová
0:00
/
0:00

L'émission précédente de cette rubrique était consacrée à Blanka Matragi, grand nom d'origine tchèque de la haute couture du Moyen et du Proche-Orient. Aujourd'hui, l'émission sera consacrée à Hana Podolska qui est, aujourd'hui encore, considérée comme la reine de la mode tchèque. Elle est restée à la pointe de la mode tchèque pendant plus de trente ans. Ses modèles étaient d'une coupe parfaite, élégants et intemporels. On peut encore parfois en trouver dans les galeries de la Vieille Ville de Prague. H. Podolska avait pour clientèle la crème de Prague : femmes de ministres, de diplomates, vedettes de cinéma et du théâtre. Toutes les femmes rêvaient d'avoir un modèle de chez Podolska, mais les créations étaient vendues à des prix exorbitants. En somme, il y avait quatre catégories : la première, celle des femmes très riches qui pouvaient s'offrir des modèles à profusion, la deuxième, celles qui économisaient pendant des années pour pouvoir s'acheter un modèle, la troisième, celle des femmes qui connaissaient une couturière suffisamment habile pour copier les modèles exquis et, enfin, la quatrième, celle des femmes qui ne pouvaient que rêver dans leur modeste cuisine en feuilletant un magazine ramassé quelque part dans la rue.

Hana Podolská,  photo: Carola/Archives du Musée des arts décoratifs de Prague
H. Podolska, née en 1880, s'inspira tout au long de sa carrière de l'inimitable Coco Chanel, que ce soit sur le plan de la créativité ou de la promotion. D'ailleurs elle se déplace souvent sur Paris. Tout comme la grande dame de la mode française, Podolska engagea des mannequins professionnels. A l'époque, seuls quelques couturiers dans le monde empruntaient cette nouvelle voie pour présenter leurs modèles. Elle ouvrit son salon de haute couture au public et organisa avec grand succès le premier défilé en Bohême.

Jarmila Novotna dans le rôle de Violetta,  photo: Wide World Studio
La grande couturière s'ouvrit également au monde du cinéma et du théâtre. Elle créa, par exemple, pour la cantatrice de renommée mondiale Jarmila Novotna son costume pour le rôle de Violetta dans La Traviatta de Verdi, modèle qui, aujourd'hui encore, fait partie des objets exposés au dépositaire du Metropolitan Museum of Art à New York. Deux de ses modèles étaient la propritété de la chorégraphe tchèque Milena Moravcova qui les a offerts au Ballet de la Télévision tchécoslovaque. Les plus grands concurrents de H. Podolska en Bohême à l'époque étaient Oldrich Rosenbaum, ainsi que, mais à une moindre échelle, les dames Roubickova et Tausigova-Rosenzweig & Cie. Il est à noter que H. Podolska était une créatrice d'un certain style et ne dessinait pas ses modèles. Cette créativité était réservée à Madame Vlkova et les photos des modèles le plus souvent à Frantisek Drtikol. Son style était proche de l'élégance réservée française. Cela explique sans aucun doute ses succès à Berlin et à Stockholm.

Les modèles d'Hana Podolská,  photo: František Vobecký/Archives du Musée des arts décoratifs de Prague
Le père de Hana était architecte. Sa profession le contraignait à souvent se déplacer à travers l'Europe accompagnée de sa famille. Cela explique pourquoi Hana est venue au monde en Alsace-Lorraine. A l'âge de 44 ans, le père succombe à une tuberculose. Son épouse reste seule avec six enfants. De plus elle a sur le dos les dettes de son mari qui n'a pas pu achever ses derniers projets. Situation difficile et peu enviable. La brave femme, qui est encore jeune, ouvre une épicerie avec l'aide de son beau-frère. Elle arrive à joindre les deux bouts, mais ne roule pas sur l'or, ce qui fait que la jeune veuve ne peut pas payer les études à tous ses enfants. Hana, l'aînée, aimerait devenir couturière, ce qui ne plaît pas trop à sa mère. Celle-ci pense que sa fille pourrait plutôt l'aider au comptoir de l'épicerie. Par contre, Hana se voit mal vendre de l'orge mondé, de la farine et des petits pois. La maman, qui aime bien sa fille et veut lui faire plaisir, se laisse finalement persuader.

La robe de soirée,  photo: Archives du Musée des arts décoratifs de Prague
Très heureuse, la jeune fille commence son apprentissage dans un atelier de couture situé dans le centre de Prague. Elle a du caractère et ne se laisse pas faire facilement. Un jour elle lance une réplique impertinente à sa supérieure qui la gifle. Hana se sent humiliée et offensée à un tel point qu'elle abandonne l'atelier. « Plus jamais de chef, je vais devenir indépendante », pense-t-elle, furieuse. D'abord elle va joindre ses clientes à domicile, mais bientôt elle ouvre un atelier où elle emploie deux personnes. C'est à cette époque qu'elle rencontre au cours d'une promenade le peintre Viktor Podolski, riche aristocrate polonais. Il est fasciné par son indépendance, l'énergie qu'elle dégage et son élégance. C'est un coup de foudre réciproque et le mariage ne se fait pas attendre. Le couple aura deux fils : Milos et Viktor.

Le salon d'Hana Podolská,  photo: Archives du Musée des arts décoratifs de Prague
Grâce à l'assistance considérable de son mari, Hana ouvre en 1908 le Salon aux cinq rois. C'est un petit atelier, mais qui marche très bien. La clientèle est de plus en plus nombreuse et six ans plus tard, Hana se déplace dans le centre de Prague. Son salon, cette fois-ci, qui est vraiment un salon de haute couture, est situé dans le prestigieux Palais Lucerna. L'intérieur est très sophistiqué : des meubles de luxe, des fleurs à profusion, marbre rose et poignées dorées. Il a fallu dix ans de travail dur et acharné pour que H. Podolska arrive vraiment au top du top. Elle comprend très bien le système de la publicité. Elle organise des défilés en petit comité pour les V.I.P. et participe régulièrement aux concours hippiques en compagnie de mannequins vêtus de ses modèles.

Photo: Archives du Musée des arts décoratifs de Prague
Mais la vie privée de la grande dame de la mode tchécoslovaque est bafouée par le destin. Son mari Viktor meurt accidentellement en 1926 au cours d'une partie de chasse d'une balle égarée et Milos, son fils aîné, décède d'une septicémie. Tous ces malheurs ne l'empêchent pas de survivre avec courage à la Deuxième Guerre mondiale. Ce sera le coup d'Etat de 1948 qui la mettra à terre. Son salon de haute couture est confisqué par les communistes et prend le nom de Maison d'habillement Eva (Odevni sluzba Eva). Les contacts avec l'étranger sont évidemment à tout jamais rompus. C'est seulement grâce à l'épouse du premier président tchécoslovaque Klement Gottwald, la grosse Marta, que Madame Podolska est autorisée à continuer de travailler dans son ex-maison pour un salaire risible. Son fils cadet émigre sans jamais plus contacter sa mère. Hana Podolska reste seule comme un piquet. En 1954, les autorités communistes l'obligent à prendre une retraite anticipée. Elle se referme sur elle-même et ne communique qu'avec quelques rares amis qui sont de moins en moins nombreux. Pourtant de ses dernières forces elle travaille, on peut dire clandestinement, pour son ex-maison de haute couture.

Hana Podolska est décédée le 15 février 1972. Tous ses biens sont revenus à l'assistante sociale qui s'occupait d'elle au cours des ultimes années de sa vie. Pourtant elle reste immortelle car son nom s'est à tout jamais inscrit dans l'histoire tchèque, tout comme ses modèles intemporels.

Les modèles d'Hana Podolská,  photo: Milena Štráfeldová