A Prague, sur les bords de la Vltava, un jeune cuisinier tchèque diplômé de l’Institut Paul Bocuse
Créé dans la première moitié du XIXe siècle, Občanská plovárna est aujourd’hui à Prague le plus ancien lieu encore existant qui, autrefois, permettait de se baigner dans la Vltava. Si la fonction de l’endroit a bien évolué depuis, le bâtiment historique de ces bains, classé et situé dans le quartier de Malá Strana, à côté du siège du gouvernement et en dessous de la colline de Letná, permet toujours de profiter des charmes de la rivière. Un restaurant s’y trouve désormais, avec à sa tête un jeune chef, Jan Mužátko qui est un des trois cuisiniers diplômés de l’Institut Paul Bocuse à Lyon exerçant leur talent en République tchèque. Nous l’avons rencontré.
« Nous ne sommes pas pas les premiers à vouloir ouvrir un restaurant ici, mais nous sommes les premiers à le faire avec la volonté de respecter le cadre qui nous entoure. »
Avez-vous défini le type de cuisine que vous vouliez proposer par rapport à l’histoire du lieu ?
« Quand nous avons ouvert il y a un an, nous avons vraiment voulu rester dans l'esprit de la Première République tchécoslovaque en proposant des plats tchèques mixés à la cuisine française. Car à l’époque, la cuisine tchèque était très proche de la française et nous avons donc voulu poursuivre sur cette voie. Avec la crise dans le monde ces derniers mois, nous avons été un peu obligés de changer notre fusil d'épaule et de modifier notre offre, mais le but reste néanmoins de retrouver cette voie tchèque-française dans le futur, disons en l’automne-hiver. »
Une cuisine tchèque avec un savoir-faire français, qu’est-ce que cela signifie plus concrètement ?
« Par exemple, nous proposions du fromage de tête - ‘tlačenka’ en tchèque -. Nous le préparions plus ou moins comme cela se fait en République tchèque mais avec des ingrédients et des arômes plus typiques de la cuisine française. Je trouve que la cuisine tchèque essaie depuis quelques années de faire exactement la même chose que la cuisine française: d'utiliser des produits du terroir et le maximum que la région nous donne pour, ainsi, pratiquer cette authenticité. Ceci dit, je pense qu’il n’existe pas vraiment de recettes tchèques, ou purement tchèques. La cuisine tchèque est plutôt une combinaison, beaucoup de recettes sont reprises des cultures qui nous entourent. Par exemple, pour la ‘svíčková’ (un plat en sauce à base de viande de bœuf et de légumes), si vous décomposez la recette, vous constatez qu'elle se compose d’un morceau de viande et d’une sauce aux légumes que l’on peut préparer comme on le veut. »
Vous parleriez donc plutôt d’une cuisine d’Europe centrale ?
« Exactement, elle s’inspire des autres cultures qui nous sont proches, car le climat est semblable. Nous mangeons la même chose que les autres, comme en Pologne pendant l’hiver. »
Vous êtes un jeune cuisinier de 25 ans, quel a été votre parcours ?
« J’ai grandi à Prague, j'ai fréquenté le Lycée français de Prague depuis le CM2 jusqu’au Bac. J’ai ensuite cherché une école francophone ou internationale, car je voulais partir pour découvrir ce qui se fait au-delà de nos frontières. Et puisque ma famille travaille dans le domaine de la restauration et de l’hôtellerie depuis 25 ans, j’ai cherché des écoles focalisées sur la cuisine. J’ai participé à la journée portes ouvertes de l’Institut Paul Bocuse et j’ai adoré ce qu’ils faisaient là-bas, le château de Vivier, le côté historique, et j’ai donc postulé. Grâce aux résultats d’évaluation, j’ai été accepté! »
Qu’est-ce que ces trois années passées à Lyon vous ont apporté ?
« Beaucoup! Premièrement, j’ai beaucoup appris sur la culture française. Car quand on vit à Prague, même si on étudie au Lycée français, on n’apprend finalement pas grand-chose de cette culture. Or, c’est vraiment quelque chose qu’il faut vivre: pas seulement le savoir-vivre, mais aussi voir comment fonctionne la société, parce que c’est très différent de ce que nous connaissons en République tchèque. La cuisine française possède une très longue tradition, ce qui est bien. C’est quelque chose qui s'apprend et que l'on peut améliorer même si c’est un travail dur. La cuisine, c’est un travail d’éducation pour toute la vie. Cette formation en France m'a permis de vivre des choses extraordinaires, et j’ai mangé des plats que je ne pensais pas avoir la possibilité de manger un jour. »
Votre séjour en France ne s’est toutefois pas résumé à Lyon, puisque vous avez également travaillé dans d’autres restaurants dans d’autres régions...
« Exactement, j’ai travaillé par exemple à Nice, où j’ai d'abord fait pas mal de saisons avant d’être pris à l’Institut. J’ai ensuite travaillé au Pays Basque pour le chef Cédric Béchade à Saint-Jean de Luz, puis je suis resté sur Lyon. J’ai visité un peu toute la France mais pas forcément pour travailler. »
C’était une réelle volonté, déjà avant votre départ en France, de revenir à Prague ?
« Je ne voulais pas forcément rentrer à Prague, mais la situation familiale et personnelle imposait que j’y retourne. Et depuis je suis resté... »
Vous avez donc participé à l'ouverture de ce restaurant, et depuis le mois de mai il y a également un concept qui a été lancé dans les jardins juste à coté, qui s’appelle ‘Molo’. Il paraît que vous êtes l’initiateur de ce nouveau ‘pop-up gastro-culturel’. Qu’est-ce que ce qui cache derrière tout ça ?
« Molo est un projet qui a été inventé pendant la période du Covid-19, car il fallait trouver quelque chose qui puisse amener plus de gens de différents âges et classes sociales à Občanská plovárna. Je voulais ouvrir un bar qui attire un peu plus de gens et aussi une clientèle qui peut penser qu'Občanská plovárna est un endroit réservé aux catégories plus aisées, ce qui n’est pas le cas. Molo est un bar qui est ouvert à partir de 17h jusqu’à minuit et qui propose des plats qui sont préparés très rapidement mais qui sont de bonne qualité. Nous utilisons les mêmes produits qu’au restaurant, simplement différemment. Depuis, des jeunes viennent ici pour boire un verre et passer une bonne soirée. »
Molo a été ouvert à la fin du mois de mai, soit une période qui correspond au début de la levée des différentes mesures de restriction et à la réouverture progressive des bars et restaurants. Est-ce que cela tourne comme vous l’espériez ?
« Ça tourne plutôt bien, mais les projets comme celui-ci qui sont lancés rapidement en réponse à une situation ont besoin de plus de temps. Nous avons ouvert fin mai, ce qui fait que nous n’avons pas eu beaucoup de temps pour proposer des choses aux Pragois, et puis les vacances ont commencé. C’était difficile de trouver des groupes de musique, des troupes de théâtre ou autre pour attirer la clientèle. Mais je pense que le potentiel est là, les intérieurs que nous avons rénovés sont très sympas et il y a une superbe vue sur la rivière. Il y a des possibilités et nous avons un potentiel qui, probablement, sera mesuré dans les années à venir. En attendant, il fallait bien commencer quelque part. »
Comme vous qui avez suivi votre formation en France, on voit de plus en plus de jeunes cuisiniers tchèques qui partent à l’étranger. Est-ce une nécessité par rapport aux possibilités de formation qui existent en République tchèque ?
« C’est bien que les jeunes apprentis de la cuisine partent à l’étranger, car la culture dans les pays européens ou en Amérique centrale et du Sud, la culture du ‘bien manger’, y est beaucoup plus présente. C’est quelque chose que l’on n’apprend pas ici, donc oui, je pense que c’est une chose à faire. Après, bien sûr, il y a pas mal de chefs qui, aujourd’hui, pratiquent leur cuisine à Prague après avoir passé dix, quinze ou vingt ans à l’étranger et qui sont revenus à Prague parce qu’ils estiment qu’ils ont assez d’expérience pour l’exploiter ici. Personnellement, je pense que c’est bien que les gens partent et il ne faut pas forcément aller très loin. Il suffit de partir en Allemagne, comme le font d'ailleurs beaucoup de Tchèques. Ce sont des expériences qui ne s’échangent pas et que l’on ne peut pas vivre ici. »
Diriez-vous que le métier de cuisiner gagne en prestige en République tchèque ?
« Je pense que c’est en train de changer un peu, grâce à Netflix, aux séries télévisées et aux documentaires où on montre que les métiers dans la gastronomie et la restauration sont très difficiles. Les gens commencent à comprendre davantage. Après, sont-ils capables de le valoriser? C’est une autre question. Malgré tout, je pense que ça commence à être un métier respecté même si ça reste un métier étudié la plupart du temps, surtout en République tchèque, par des élèves qui ne savent pas vraiment quoi faire dans la vie et qui se lancent dans cette voie, car c’est la seule école où ils ont été acceptés. Du coup, ils n’ont pas forcément la motivation nécessaire. »
Plus généralement, diriez-vous qu’il existe une volonté croissante aujourd'hui en République tchèque de mieux manger ?
« J’espère, sinon cela voudrait dire dire que nous faisons tout ça pour rien! Il ne faut pas oublier que le monde change. Personnellement, je dirais que, bientôt, nous en serons à 50/50 entre les carnivores et les végétariens ou végétaliens. Je trouve ça bien. Cela demande de la curiosité, de regarder ce qu’il se passe ailleurs dans le monde, de chercher des cuisines venues d’ailleurs. Après, au niveau de la qualité, c’est une autre question. »