« Ruchadlo », une charrue tchèque presque piquée par un Allemand
De toutes les inventions dans l’histoire des Pays tchèques, c’est certainement une des moins connues. Pour la suite de notre série « Czech Made », c’est d’un engin agricole, une charrue révolutionnaire en son temps, qu’il est question.
Vous pouvez prendre tous les dictionnaires tchéco-français existants, essayer Google Translate, tenter toutes les combinaisons possibles sur les moteurs de recherche avec des mots-clés comme « charrue », « tchèque », « Bohême », « 19e siècle » ou encore « Veverka », ou bien encore consulter l’histoire de la charrue et même celle de toute l’agriculture dans l’histoire de l’humanité sur Wikipédia, rien à faire, vous ne trouverez pas la moindre trace d’un équivalent en français. Même en anglais, nous ne sommes pas plus avancés. Mais qu’est-ce donc que ce « ruchadlo » ? Une charrue, d’accord, mais après ?
Bien avant que les frères Čápek n’inventent le mot « robot », bien avant l’apparition des tracteurs et du matériel Zetor dans les champs du monde entier, et avant même l’invention du sucre en morceaux, comme vous l’avez découvert dans la première partie de notre série « Czech Made », deux paysans tchèques, l’un agriculteur et l’autre forgeron, deux cousins dénommés František et Václav Veverka, ont donc aussi inventé, dans la première moitié du XIXe siècle, un nouveau modèle de charrue, appelé « ruchadlo » en tchèque. Un instrument oratoire qui a permis d’améliorer l’efficacité du labour. Davantage que d’une invention, sans doute convient-il d’ailleurs de parler d’innovation ou de perfectionnement d’un outil, comme l’explique Jitka Taussiková, du Musée national de l’agriculture à Prague, là où le modèle original de ce fameux « ruchadlo » développé par monsieur et monsieur Veverka est exposé depuis quelques années :
« L’usage du ‘ruchadlo’ s’inscrit dans la suite des différents types de charrues que l’on connaissait déjà à l’époque. Celles-ci permettaient déjà, bien sûr, de découper une tranche de terre et même de la retourner pour certaines, mais il s’agissait de modèles encore primitifs dont la manipulation était assez pénible. La spécificité du ‘ruchadlo’ est qu’il permet de remuer la terre davantage en profondeur, de l’émietter, tout en enfouissant les mauvaises herbes et le fumier. Cela était possible grâce é la forme plus arrondie et allongée du soc avec pour résultat final une terre qui était plus aérée. »
A moins d’avoir l’œil expert, rien ne différencie à première vue vraiment le « ruchadlo » d’une autre charrue de l’époque. Le « ruchadlo » est lui aussi constitué d’un age, d’un coutre, d’un soc ou encore d’un versoir. L’étude du substantif nous permet néanmoins de noter que sa racine est formée par le mot « ruch », qui peut signifier « animation », « agitation », « mouvement » ou même « remue-ménage » et « branle-bas ». Autant de sens que l’on peut rattacher au moment de son invention, selon Jitka Taussiková:
« Effectivement, on parle là d’une époque qui elle-même était révolutionnaire, que ce soit dans le secteur de l’industrie ou de l’agriculture. Les deux étaient liées. De manière générale, c’est une période où les techniques pour accroître la fertilité des terres et améliorer leur labour se généralisent. Les cultures et leurs modes évoluent, on a besoin de rendements et d’une production plus importants, entre autres raisons parce que les populations quittent désormais les zones rurales pour aller s'implanter dans les villes. L’apparition du ‘ruchadlo’ s’inscrit donc dans ce contexte et participe à cet essor, car c’est un outil qui améliore et facilite le travail de la terre. L’idée est clairement de faire en sorte de ne plus avoir à répéter plusieurs fois une même opération dans les champs. »
Bien qu’à l’origine de cette nouvelle forme de soc plus performante, František et Václav Veverka, deux gars à l’esprit très terre à terre, n’ont jamais pris la mesure de leur esprit d’invention. Professeur à l’Institut des sciences historiques à l’Université de Parbudice, en Bohême de l’Est, à quelques kilomètres du village de Rybitví où vivaient les Veverka, František Šebek note d’ailleurs que s’il a fallu trois ans aux deux cousins pour parvenir à un résultat satisfaisant, jamais leur démarche n’a été guidée par un autre objectif que celui de disposer d’un outil pratique qui réponde à leurs besoins de cultivateurs :
« Le ‘ruchadlo’ a été inventé incontestablement en 1827. Malheureusement, il n’en existe aucune illustration, et pour cause : les cousins Veverka étaient de simples fermiers et aucun peintre ne s’est jamais intéressé le moins du monde à eux. Mais eux non plus n’avaient pas conscience de l’importance de leur invention. A leurs yeux, il s’agissait juste d’un moyen de travailler la terre plus efficacement en se donnant moins de peine. Cette invention, ils en ont d’ailleurs fait profiter les autres agriculteurs qui étaient en activité autour d’eux, mais sans jamais se douter qu’il s’agissait d’une grande trouvaille. »
C’est ainsi que les cousins Veverka n’ont pas eu l’idée de protéger leur innovation par un brevet afin de tirer profit d’une diffusion rapide partout dans les Pays Tchèques, dans l’Empire austro-hongrois dont ils dépendaient, et au-delà des frontières. Récupéré, le modèle a été présenté par un Allemand du nom de Johann Kainz à l’Exposition agricole à Prague en 1832 sous l’appellation « Kainzpflug » - littéralement « charrue de Kainz ». Ce n’est qu’au terme d’un litige long de plusieurs décennies, bien après la mort de ses deux pères, que le « ruchadlo », en 1883, a été reconnu comme une œuvre des frères Veverka.
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