L'école en ligne, une loupe qui grossit les inégalités
C'était il y a désormais plus d'un an. Enfants, parents et professeurs découvraient un nouveau rythme et de nouveaux outils : l'école en ligne. Si la quasi-totalité des écoliers européens ont été concernés au moins pour quelques semaines par la fermeture des établissements, la République tchèque figure parmi les pays qui ont le plus eu recours à l'école en ligne. Et ce n'est évidemment pas sans conséquence.
10 000. C'est le nombre d'enfants qui, selon un rapport de l'Inspection du ministère de l'Éducation tchèque publié mi-mars, seraient restés en dehors des radars des écoles au cours du premier confinement. Cela signifie qu'ils n'ont bénéficié à l'époque d'aucun suivi, ni d'aucun cours, parce que leur école ne proposait pas de solution en ligne. Selon ce même document, la situation reste aujourd'hui floue : « Même si les écoles ont déclaré une amélioration au cours des mois de janvier et février 2021, selon l'Inspection, la situation reste préoccupante pour de nombreux enfants – dont il est difficile d'établir le nombre. »
Pavla Gomba dirige la branche tchèque de l'UNICEF, le Fonds des Nations-Unies pour l'Enfance. Elle a pris connaissance du rapport :
« Ce n'est qu'une estimation car ils pourraient être davantage. Pour donner un regard global, ces 10 000 enfants font partie des 170 millions d'enfants qui, à l'échelle de la planète, ne suivent plus aucun enseignement ».
L'organisation internationale a également mené ses propres investigations en République tchèque :
« La conclusion principale était que les élèves continuent d'étudier. Parfois même davantage. En revanche, les jeunes nous disaient eux-mêmes que l'efficacité de l'apprentissage était considérablement réduite. Dans nos questionnaires, 6% des garçons et 8% des filles affirmaient que leur souhait le plus cher était de retourner à l'école. Et nous n'étions qu'en mai 2020. »
Pour la première fois depuis la guerre, l’UNICEF est actif en Europe
En République tchèque, l'UNICEF agissait principalement au travers de la récolte de fonds à destinations d'autres pays. La crise sanitaire a rebattu certaines cartes, redéfinissant les missions de la branche tchèque de l'organisation – sans que le niveau de détresse n'ait aucune commune mesure avec les terrains traditionnels de l'organisation. Une situation inédite, comme le raconte Pavla Gomba :
« Nous avons constaté qu'à cause de la crise, des pays qui n'avaient pas besoin de notre soutien jusqu'à présent, y ont eu recours. Et dans le même temps il y a toujours le Yémen, la Syrie, Soudan du Sud et d'autres pays qui sont dans une réelle urgence, et où la pandémie a rajouté une couche de problèmes. Pour nous, cela pose des problèmes opérationnels, pour maintenir nos équipes en sécurité et pouvoir continuer nos missions. Mais pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l'UNICEF est actif en Europe. Au printemps dernier, nous avons fourni de l'aide en Espagne, en Italie et même en République tchèque ou en Croatie. Cette situation est vraiment unique. »
Des inégalités déjà marquées avant la crise
Lorsque la question de l'école en ligne se pose, c'est souvent sous le prisme des inégalités. Et pour cause. Enfermés dans leur cercle familial, les enfants n'en sont que plus sensibles à leur milieu social.
En 2020, l'ancien ministre de l'Éducation et chercheur en sciences de l'éducation de l'Université Charles, Stanislav Štech a mené une enquête avec Irena Smetáčková sur les liens entre milieu social et école en ligne. Sans surprise, les enfants issus des familles aisées s'en sortent mieux :
« Je dirais qu'ils sont davantage dotés financièrement et matériellement. Ils sont mieux équipés. Mais ce qui est très important aussi c'est que dans ces familles, les parents sont plus disponibles pour accompagner et soutenir les enfants que dans les familles les moins favorisées. »
Comme le souligne également l'UNICEF, les inégalités ne sont pas nées avec la crise. En République tchèque, plusieurs facteurs jouaient déjà : origine sociale, géographique, type d'établissement fréquenté (avec par exemple le système de « gymnázium » ou lycée long, accessible sur concours).
« La crise sanitaire rend les inégalités plus visibles. Cela fait l'effet d'une loupe grossissante sur les traits qui existaient déjà avant. Mais en même temps, il y a ce que l'on appelle la ‘perte d'apprentissage’. On voit que le confinement, pour ceux qui viennent des familles favorisées, mène à une perte de quelques mois. Les deux confinements correspondent à une perte de 1 ou 2 mois. Mais quant aux familles défavorisées, un confinement pour la moitié d'une année scolaire génère une perte de 6 à 8 mois. »
L'occasion de refonder un système plus juste ?
Ces inégalités étant plus criantes que jamais, n'est-ce alors pas une occasion en or pour refonder un système plus juste ? Pour Pavla Gomba, il faut saisir la balle au bond :
« Une crise majeure, nous l'avons vu, est également une opportunité pour mieux reconstruire. Nous pourrions donc nous servir de cette situation pour rendre les écoles tchèques plus inclusives – c'est un sujet sensible en République tchèque. »
Même son de cloche du côté de l'ancien ministre Stanislav Štech :
« A long terme on voit que c'est une occasion de réfléchir aux contenus et au fait que la profession d'enseignant n'est plus celle ‘d'un cavalier seul’, mais de plus en plus collective. Il faut donc clairement changer à la fois les modes d'enseignement et les programmes pour faire face aux inégalités. A mon avis, la crise offre une occasion d'essayer de changer cela. »
Difficile de dire en revanche si ces souhaits se transformeront en décisions politiques. A court terme, la gestion de la crise et les élections en approche devraient accaparer les débats, d'autant plus qu'une refonte lourde du système scolaire semble peu probable et politiquement risquée. Pour l'heure, la priorité est donc à la réouverture des écoles – qui devrait partiellement débuter le 12 avril.