Illustration : père de Médor le Maxichien, Jiří Šalamoun est mis à l’honneur au Musée Kampa
Grand nom de l’illustration et du cinéma d’animation tchèques, Jiří Šalamoun, 86 ans, est à l’honneur jusqu’à fin octobre au Musée Kampa, sur les berges de la Vltava, à Prague. La monographie de cet artiste dont les dessins accompagnent les livres de Dickens, Cooper, Tolkien, Poe ou Saroyan et qui a créé le célèbre personnage de dessins animés Médor le Maxichien, a paru en français au printemps 2021.
Pour parler de Jiří Šalamoun et de son exposition au Musée Kampa, qui ravit autant les enfants que les adultes, nous avons invité au micro deux femmes qui connaissent bien le plasticien et son œuvre : en France, nous avons joint Delphine Beccaria, une passionnée de l’illustration tchèque qui écrit un livre sur le sujet. Mais tout d’abord, c’est Terezie Zemánková, l’une des commissaires de l’exposition pragoise, qui nous parle de son rapport à l’artiste :
« Comme toute ma génération, j’étais accompagnée dans mon enfance par Médor le Maxichien, ce personnage culte des dessins animés. Mais ce que j’apprécie le plus chez Jiří Šalamoun, c’est l’énorme variété de son expression plastique. Il a illustré une centaine de livres pour enfants et adultes. Il a su changer de style afin qu’il corresponde à l’histoire du livre, et pourtant, il est toujours resté lui-même : quand on voit son dessin, on reconnaît tout de suite qu’il a été fait par Šalamoun. On voulait montrer cela dans l’exposition. »
Illustrateur et créateur d’une quarantaine de films Jiří Šalamoun est aussi typographe et auteur d’innombrables lithographies, dessins et affiches. Né en 1935 à Prague-Vinohrady, dans la famille d’un ingénieur agricole, il se passionne dès son plus jeune âge pour le dessin : « Je dessinais des animaux, mais surtout tout ce qui avait un rapport à la guerre : des avions, des chars, des parachutes… tout ce que je voyais autour de moi », se souvient-il.
Après avoir étudié à l’Académie des Beaux-Arts de Prague au milieu des années 1950, Jiří Šalamoun passe par la prestigieuse Haute Ecole de Graphisme et de l’Illustration de Leipzig. Dans les années 1960, l’artiste travaille comme illustrateur et maquettiste pour plusieurs maisons d’édition tchèques. Il se marie avec la plasticienne allemande Eva Natus et le couple s’installe dans une maison sur la place de la Vieille-Ville. Un peu plus tard, l’artiste aura son atelier non loin de là, dans la rue Pařížská.
Au milieu des années 1970, Jiří Šalamoun collabore à plusieurs films d’animation, parmi lesquels la fameuse série « Maxipes Fík » (Médor le Maxichien, en français) adaptée de ses propres livres écrits par Rudolf Čechura. Les aventures du chien Fík et de sa maîtresse, la petite fille Alenka, sont des petites merveilles d’humour débridé.
Pour la petite histoire : en inventant ce personnage canin, Jiří Šalamoun s’est inspiré de ses souvenirs de Londres, où il avait fait des recherches pour ses illustrations des livres de Charles Dickens. C’est donc devant un musée londonien qu’il a vu une dame promener son bobtail, ce chien de berger anglais, de grande taille et au poil abondant. Par la suite, Jiří Šalamoun achètera un bobtail à sa fille Barbara à Prague et immortalisera cette race dans ses livres et dessins animés. Beaucoup plus tard, en France, Delphine Beccaria a découvert Jiří Šalamoun justement grâce à Médor le Maxichien :
« En 2013 a été publié en France, aux éditions La Joie de lire, le premier volume de Médor le Maxichien, donc Maxipes Fík. J’ai été très étonnée par la qualité du dessin, du trait qui était vif, qui avait une véritable énergie et en même temps un humour incroyable. J’ai admiré la liberté du trait qui était très moderne, même en 2013 ! J’ai ensuite appris que le travail de l’artiste était très large, qu’il avait fait des affiches, des dessins animés… Mais j’ai vraiment découvert Šalamoun à travers Maxipes Fík, ce dessin animé totalement décalé qui a un double niveau de langage et de compréhension. »
Un passionné de polars
Les deux auteurs de Maxipes Fík, l’écrivain Rudolf Čechura et l’illustrateur Jiří Šalamoun, ont été des passionnées de polars. Le roman noir, le mystère et l’horreur sont aussi présents dans l’exposition au Musée Kampa. Sur un panneau, Jiří Šalamoun explique :
« Je suis né en 1935 et la peur a toujours était présente dans ma vie. L’avantage, c’est que dans notre métier, on peut travailler avec, la mettre en valeur. J’aime les polars, où il est question de crime, de péché, de châtiment, de la conscience, de la tentation, du diable, de la mort, mais aussi de l’amour - ce sont les thèmes essentiels que le roman policier évoque peut-être plus que les autres genres. »
Le mordant et le grotesque
La noirceur, mais aussi le grotesque et la métaphysique sont explorés dans la monographie de Jiří Šalamoun intitulé « Possibles visions du monde » dont la parution en français aux éditions MeMo a été initiée par Delphine Beccaria. Nous lui avons demandé de décrire le style de l’artiste :
« Il n’a pas véritablement un style établi. On reconnaît sa patte, son dessin. La façon dont il s’approprie le livre, l’espace de la page est totalement en liaison avec l’écriture, la typographie et le dessin. Il a une marque de fabrique très particulière entre l’art brut et la bande dessinée. Il mêle les arts appliqués, la peinture… C’est un très grand artiste tchèque, mais également européen et mondial. Mais pour l’instant, son œuvre n’a pas vraiment franchi les frontières tchèques. »
« Ce que j’aime dans son dessin, c’est son humour, son ironie, le mordant et le grotesque qui prédominent dans toutes ses images. »
« Personnellement, ce qui m’a le plus émue dans le travail de Jiří Šalamoun, c’est la façon dont il s’approprie l’espace du livre. Je me suis d’ailleurs mise à collectionner ses livres, j’ai un peu plus de 100 ouvrages à la maison…. Quand il va interpréter une œuvre, que ce soit un récit de Ch. Dickens, J.R.R. Tolkien ou F. Cooper, il envisage l’illustration, la typographie et la mise en page. Il voit le livre dans sa globalité. Du coup, cela donne une force à ses représentations qui n’ont pas d’équivalent. »
« Aussi, il fait dialoguer le dessin avec l’histoire du livre et il nous demande à nous aussi de participer à cette conversation. C’est précisément cela qui interpelle dans le dessin de Šalamoun. »
Peut-on comparer la création de Jiří Šalamoun à d’autres artistes du monde du livre francophone ?
« Je pense à deux artistes. A André François, disparu il y a quelques années, qui était lui aussi graphiste et affichiste. Il travaillait pour les éditions Delpire, c’est lui qui a créé Les Larmes de Crocodile. Je trouve beaucoup de points communs dans leur travail. Mais aujourd’hui, c’est l’artiste belge Benoît Jacques que je trouve très proche de Šalamoun dans la façon de dessiner et de fonctionner autour du livre. »
Nommé professeur d’université par le président Václav Havel en 1992, Jiří Šalamoun a dirigé l’atelier de l’illustration à l’Ecole supérieure des Arts appliqués (UMPRUM) de Prague et enseigné dans des écoles artistiques à l’étranger avant de mettre fin à sa carrière en 2003. La santé de Jiří Šalamoun ne lui permet plus de se déplacer à l’étranger, mais ses œuvres continuent à voyager.
Cet été a été publiée aux éditions pragoises KAVKA une nouvelle monographie de l’artiste, intitulée « Nic k zahození » et disponible également en anglais. Jiří Šalamoun a assisté à l’inauguration de son exposition au Musée Kampa, ouverte jusqu’à fin octobre. Delphine Beccaria a eu, elle aussi, l’occasion de le rencontrer à plusieurs reprises :
« J’ai eu la chance de boire un thé avec lui en 2015 (rires). C’est un vieux monsieur assez incroyable. Je l’ai recroisé ce printemps à Prague. Il m’a montré sa collection de livres, de polars surtout. J’étais très émue. »