Zuzana Růžičková, grande dame du clavecin et survivante des camps de la mort

Zuzana Růžičková

La claveciniste tchèque Zuzana Růžičková, première soliste au monde à avoir enregistré l’œuvre intégrale de Johann Sebastian Bach pour instruments à clavier, aurait fêté ses 95 ans le 14 janvier dernier. La musicienne entretenait ce qu’elle appelait « une relation de cœur » avec la France.

Zuzana Růžičková est née en 1927 à Plzeň, en Bohême de l’Ouest, dans une famille juive qui possédait un magasin de jouets. Petite, elle apprend l’anglais par l’intermédiaire de son père qui avait travaillé dans les années 1920 à Chicago, et se passionne pour la musique symphonique et l’opéra grâce à sa grand-mère qui l’emmène souvent au théâtre de Plzeň. Zuzana Růžičková se met au piano relativement tard, à l’âge de 9 ans, pour se consacrer vite au clavecin, sur les conseils de sa professeure.

Zuzana Růžičková | Photo: Paměť národa

La jeune Zuzana a même eu l’opportunité d’aller étudier le clavecin en France, à l’Ecole de musique ancienne de Wanda Landowska, mais la vie en a décidé autrement : en 1942, elle est déportée avec sa famille, d’abord à Terezín, où meurt son père, puis dans les camps de concentration d’Auschwitz-Birkenau, de Neuengamme et de Bergen-Belsen. Seules sa mère et elle survivent aux déportations, alors que dix-sept membres de sa famille ont disparu.

Zuzana Růžičková et Viktor Kalabis | Photo: Iria-castro,  Wikimedia Commons,  public domain

Après la Libération, Zuzana Růžičková se remet au piano et au clavecin et travaille assidûment au moins dix heures pas jours. Elle évoquerait plus tard dans ses souvenirs que ses mains étaient « complètement abimées » au retour des camps. Elle étudie à l’Académie des arts de Prague, avant de remporter un concours à Munich en 1956 qui lance sa carrière et lui permet d’étudier en France.

Comme elle l’a souligné dans de nombreux entretiens, la musique de Bach l’a aidée à surmonter le traumatisme de l’Holocauste. C’est d’ailleurs à Paris que la musicienne a enregistré, entre 1964 et 1975, chez Erato, l’intégrale de ses pièces pour clavecin.

Photo: Supraphon

Autorisée à quitter la Tchécoslovaquie communiste pour sa carrière, Zuzana Růžičková donne de nombreux concerts dans toute l’Europe et au Japon. Son grand mérite est d’avoir réhabilité le clavecin dans son pays où il avait été banni par le régime totalitaire, considéré comme un instrument féodal et religieux. Ce n'est que dans les années 1980 que Zuzana Růžičková est parvenue à convaincre l’Académie des Arts de Prague d’accepter le clavecin comme un instrument à part entière. En 1990 seulement, elle était nommée professeure de l’Académie, avant de recevoir, en 2003, la distinction honorifique de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres à l’ambassade de France à Prague.

Zuzana Růžičková | Photo: Tomáš Vodňanský,  ČRo

Le répertoire de Zuzana Růžičková, morte en 2017 à l’âge de 90 ans, s’étend de la Renaissance au XXe siècle et comprend de la musique française, italienne, anglaise, allemande et tchèque, y compris les pièces pour clavecin que lui a dédié son époux, le compositeur tchèque Viktor Kalabis (1923-2006). Dans ce Dimanche musical, nous allons écouter ses interprétations des œuvres pour clavecin de Johann Sebastian Bach, son musicien de prédilection.