Tourné par un chef opérateur français, le film Saving One Who Was Dead de Václav Kadrnka sort en salles
« Saving One Who Was Dead », en tchèque « Zpráva o záchraně mrtvého » est le nouveau film du réalisateur Václav Kadrnka qui vient de sortir en salles en République tchèque. Ce drame familial semi-autobiographique au style minimaliste constitue le troisième volet de ce que le cinéaste tchèque de 49 ans, un des plus intéressants de sa génération, appelle la « trilogie sur l’absence d’un être aimé ». Dans cette émission, Václav Kadrnka et son chef opérateur français Raphaël O’Byrne nous parlent de leur film sur le monde transitoire entre la vie et la mort, dont le tournage dans un hôpital tchèque a été perturbé par la pandémie de Covid-19.
Après un grave accident cérébral, un homme tombe dans le coma. Sa femme (Zuzana Mauréry) et son fils adulte (Vojtěch Dyk) viennent le voir tous les jours au service de soins intensifs et cherchent des mots pour le réveiller, alors que les médecins ne leur donnent que très peu d’espoir. Telle est l’histoire du troisième long-métrage du réalisateur, scénariste et producteur Václav Kadrnka.
Né en 1973 à Zlín, en Moravie, il a étudié le théâtre à Londres, où sa famille s’est exilée à la fin des années 1980. Diplômé de l’école de cinéma pragoise, la FAMU, Václav Kadrnka a tiré de cette expérience le sujet son premier film, « Quatre-vingt lettres » qui raconte une journée dans la vie d’une mère et de son fils qui essaient de quitter la Tchécoslovaquie communiste pour rejoindre le père de famille en Grande-Bretagne. « Saving One Who Was Dead » est également un film semi-autobiographique, comme explique le réalisateur :
« En 2016, quand je travaillais sur la post-production de mon deuxième film, ‘Le Petit Croisé’ (Globe de cristal du meilleur film au Festival de Karlovy Vary en 2017, ndlr), mon père a été atteint d’un AVC. Il a été opéré avec succès, mais on lui a retiré une partie du cervelet. Les médecins nous ont dit qu’il serait comme ‘dans un château’, c’est-à-dire que son corps serait là, mais son esprit serait ailleurs, très loin. Avec ma mère, nous avons tenté de le réveiller, en lui parlant. Et nous avons cherché les mots appropriées pour le faire revenir, ne sachant même pas s’il fallait parler ou plutôt nous taire. Au bout de quelques jours, mon père s’est effectivement réveillé et a commencé à réagir. Ce qui était incroyable, c’est qu’il se souvenait de tout ce que nous lui avions raconté et même de la musique nous lui avions fait écouter. »
« Ce film est né de la même manière que tous mes précédents films : j’ai pris des notes des images que j’ai vues à l’hôpital, des situations, des bruits, de mes impressions. Je ne voulais pas partager avec le spectateur ma peine qui n’est pas vraiment intéressante. Ce qui m’intéresse, moi, ce sont les batailles que l’on gagne en son for intérieur. Je voulais tourner un film sur une situation difficile, mais qui est pleine de lumière et d’espoir, qui est enrichissante. C’est pour cela que mes personnages sont déterminés, ils veulent se battre et font tout pour ramener le père à la vie. »
Václav Kadrnka a signé un film au style dépouillé et aux éléments théâtraux, où la communication passe le plus souvent par un simple regard, où le visuel, le mystère et l’imaginaire deviennent plus importants que la parole. Une expérience pas comme les autres pour l’actrice slovaque Zuzana Mauréry qui joue le rôle de la mère :
« Je me suis retrouvée dans cette histoire, parce que j’ai vécu des moments similaires, au chevet de mon père malade. Sauf que lui a choisi de s’en aller. J’ai trouvé assez curieux que finalement, mon expérience personnelle ne m’ait pas sur tout servi lors du tournage. Ce film offre un regard tout à fait différent sur cette situation. En plus, ce film est extrêmement minimaliste au niveau du jeu d’acteurs. Souvent, Václav nous incitait à ne rien faire, à être là sans gestes et sans regards, à avoir juste une pensée. C’était vraiment libérateur et réjouissant ! »
Raphaël O’Byrne : « Je ne voulais pas rentrer à Paris et abandonner le tournage »
Le film « Saving One Who Was Dead » a été tourné au format portrait, vertical. Le réalisateur Vaclav Kadrnka a confié ce travail au chef opérateur français Raphaël O’Byrne, venu à Prague à l’occasion de la sortie du film. Il revient sur les débuts de leur collaboration et sur le tournage du film, interrompu pendant le premier confinement de 2020.
« Notre collaboration a commencé il y a quelques années à Paris. J’ai reçu un coup de fil du réalisateur Eugène Green, avec qui je travaille depuis toujours. Il buvait un café avec Václav Kadrnka qui était lui-même à Paris pour quelques jours. Václav lui a parlé d’un nouveau film qu’il préparait et pour lequel il cherchait un chef opérateur. Eugène m’a appelé et j’ai rencontré Vaclav le lendemain. Il m’a parlé de son projet et raconté son histoire. Une semaine après, il m’a envoyé le script et le story-board, parce qu’il a l’habitude de dessiner chaque plan de son film, avec des répliques dessous. C’est comme une bande dessinée. »
Ce n’est pas contraignant pour un chef opérateur ?
« Non. En fait, cela ressemble beaucoup à la manière dont travaille Eugène Green, sauf que lui, il ne fait pas de dessins. Dans ses scénarios, tous les plans sont décrits très précisément aussi. Alors je suis venu à Prague environ un mois après, pour rencontrer l’équipe et la cheffe décoratrice. Il fallait notamment que j’aille à l’hôpital d’Olomouc, où l’équipe avait déjà commencé à travailler dans le décor de la chambre de soins intensifs. Dès notre premier rendez-vous, Václav m’avait parlé de son désir de travailler dans un format vertical. Il fallait donc qu’on fasse des essais de cadrage, avec une caméra que nous avons empruntée à Bratislava, ainsi que des choix de couleurs du sol et des murs. Ensuite, nous sommes revenus à Prague et projeté ces essais à la société qui s’occupait de l’étalonnage et de la post-production. Je suis revenu en Tchéquie pour le tournage qui a démarré en février 2020. Nous avons travaillé quinze jours, puis tout s’est arrêté du jour au lendemain à cause de la pandémie. »
Vous êtes resté en République tchèque, vous étiez coincé ici…
« Je n’étais pas vraiment coincé, j’aurais pu rentrer à Paris, mais Václav m’a demandé si je pouvais rester. On ne savait pas combien de temps ça allait durer cette histoire. Moi, je n’avais pas envie d’abandonner ce travail, ce qui se serait surement passé si rentrais en France. Vaclav m’a alors proposé de rester à Zlín, où habitent ses parents et où on pouvait être hébergés avec ma compagne qui m’a rejoint le jour de la fermeture des frontières. Nous sommes restés un mois et demi, en attendant une meilleure situation. »
« Zuzana, l’actrice principale, était repartie à Bratislava, mais comme les frontières avec la Slovaquie étaient fermées, elle ne pouvait pas rentrer. Du coup, Václav n’était pas sûr de pouvoir finir le film. A un moment donné, il a pensé rechercher une autre actrice en Tchéquie ou alors tourner une sorte de documentaire avec ses parents, parce que le film raconte leur histoire personnelle. »
« Après un mois et demi, la situation s’est amélioré en Tchéquie, les hôtels ont rouvert et toute l’équipe tchèque a pu revenir à Olomouc. Nous avons repris le travail comme si rien ne s’était passé. Nous avons réussi à aller au bout du film, ce qui était vraiment un miracle. Je pense qu’on a été les premiers à reprendre un tournage à ce moment-là, dans de telles conditions. »
Qu’avez-vous fait pendant ce confinement de plus d’un mois à Zlín ?
« J’ai emprunté les guitares de Václav et j’ai passé du temps à jouer (rires). On faisait de grandes balades dans la forêt derrière notre appartement. On a vu le printemps arriver et c’était une très belle période en fait. »
Comment avez-vous été accueilli à l’hôpital d’Olomouc, où a été tourné la plupart du film ?
« Très bien. Nous avons travaillé dans un vieux bâtiment pratiquement désaffecté qui est situé au cœur du grand complexe hospitalier d’Olomouc. Il n’y avait pas de patients, juste quelques bureaux. L’espace était à nous, c’est comme si on tournait en studio. C’était juste un peu compliqué pour la lumière : pour avoir une continuité lumineuse pour toutes les grandes séquences, nous avons mis des échafaudages tout autour de la chambre et nous avons tout bâché, pour avoir le noir total et pouvoir refaire complètement la lumière à l’intérieur de la chambre. Heureusement, cet hôpital avait des plafonds très hauts. Dans la chambre des soins intensifs, il y avait des fenêtres verticales, ce qui était parfait pour moi, ça marchait très bien avec le format choisi. »
Les regards comme un jeu de billard
Vous dites avoir travaillé avec un triangle mère-fils-père. C’est ainsi qu’on les voit dans le film : le corps immobile du père, le fils s’un côté, la mère de l’autre côté.
« Oui, le défi était de rentrer ce triangle toujours mouvant dans le rectangle qui était donné par le format du film. C’était un jeu de regards entre les trois personnages, y compris le non-regard du père. Cela m’a rappelé le jeu de billard. Mon travail était de transmettre cette énergie triangulaire, même si les regards étaient hors champs parfois. »
Très personnels et éloignés du cinéma populaire, les films de Václav Kadrnka sont plutôt exceptionnels dans le contexte du cinéma tchèque actuel. Comment ce film vous parle à vous ?
« Václav m’a parlé de l’histoire de ses parents, il m’a raconté comment son père a retrouvé la vie. C’était émouvant. Comme il aime les films d’Eugène Green, je m’attendais à une dimension métaphysique de son œuvre. C’est quelque chose qui ne m’effraie pas, au contraire.
Quelle est la place que ce film occupe dans votre filmographie ?
« Je ne travaille pas en fiction, j’ai fait beaucoup de documentaires autour de la culture, la musique et la peinture. Mon travail avec Eugène Green, dont j’ai tourné tous les films, est très particulier. Ce film s’inscrit dans mon parcours atypique d’un cinéma hors normes. Mais je me sens bien dedans, c’est un cinéma qui me plaît et que j’ai envie de défendre. Des propositions cinématographies de ce genre sont rares et précieuses. »
Le film de Václav Kadrnka « Saving One Who Was Dead » n’a pas encore trouvé de distributeur français. En attendant, il a été présenté début février au festival Travelling de Rennes et cette semaine au Festival du film d’Europe centrale et orientale de Rouen.