Histoire des jeunes Tchèques envoyés par le Troisième Reich dans le Nord
C’est un chapitre peu connu de l’histoire sombre de la Deuxième Guerre mondiale. Un livre publié récemment aux éditions Pavel Mervart sous le titre Posláni na sever - Envoyés dans le Nord retrace l’aventure dramatique des jeunes Tchèques réquisitionnés pendant la guerre par l’occupant allemand et transférés en Norvège. Pour ces jeunes Tchèques ce fut un temps de dures épreuves mais aussi une expérience qui les a marqués à vie et a été à l’origine d’amitiés durables.
Un projet de coopération entre chercheurs tchèques et norvégiens
Les auteurs du livre Vendula Hingarová et Zdenko Maršálek ont réussi à réunir d’innombrables documents et photos qui leur ont permis d’évoquer en détail l’expérience de ces jeunes Tchèques réquisitionnés en Norvège et d’en tirer un témoignage passionnant. Le livre est l’aboutissement d’un assez long processus qui a commencé lorsque Vendula Hingarová, spécialiste en études scandinaves, cherchait un thème pour un projet de coopération entre les universités de Prague et de Trondheim :
« Pendant longtemps j’ai entretenu une relation avec une famille tchéco-norvégienne. Le grand-père avait fait la connaissance de la grand-mère de cette famille pendant la guerre en Norvège. Le grand-père avait été réquisitionné par l’occupant allemand dans le cadre du service du travail obligatoire et envoyé en dans le nord de la Norvège. Et quand j’ai découvert dans les archives que des dizaines de milliers de personnes avaient ainsi été réquisitionnées dans divers pays européens, y compris la Tchécoslovaquie, et avaient été obligés de travailler en Norvège, j’ai décidé d’examiner ce chapitre inconnu de notre histoire commune. »
La Norvège, un bastion stratégique
Quelque 600 000 Tchèques ont été obligés de travailler pour l’Allemagne nazie pendant la guerre dont 1500 à 2000 ont été transférés en Norvège qui revêtait une grande importance stratégique dans les plans militaires d’Adolf Hitler. Vendula Hingarová explique que l’Allemagne manquait de main-d’œuvre pour la réalisation de ses plans mégalomaniaques :
« La Norvège avait une position privilégiée dans les plans allemands d’édification de la nouvelle Europe. Elle devait protéger le Troisième Reich contre un blocus maritime et servir aussi de base pour les opérations de la marine militaire et de l’aviation allemandes dans la Mer du Nord et dans l’Arctique. Il s’est vite avéré que la main-d’œuvre norvégienne était absolument insuffisante et, un an après l’occupation de la Norvège, on a décidé de faire venir des renforts de l’étranger. »
Des jeunes gens à peine sortis de l’enfance
Les premiers réquisitionnés tchécoslovaques partent pour la Norvège en décembre 1942. Tout d’abord il s’agit des jeunes gens nés entre 1918 et 1922, puis l’Allemagne réquisitionne les jeunes nés en 1924 et finalement, lorsque la fin de la guerre approche, les nazis envoient aussi dans le Nord les travailleurs nés en 1927 et 1928 donc des adolescents de 17 et de 16 ans. Zdenko Maršálek constate que c’étaient en général des travailleurs non qualifiés :
« Tous les ouvriers qualifiés travaillaient déjà dans l’industrie de guerre et c’est pourquoi les nazis réquisitionnaient des jeunes. Ils envoyaient donc en Norvège les jeunes juste après la fin d’apprentissage pour les faire travailler dans le bâtiment. C’était les travaux manuels les plus durs et non qualifiés. Ils faisaient du bétonnage, travaillaient dans des carrières, construisaient des chemins de fer et des fortifications. »
La rude besogne, le froid arctique et la malnutrition
Les conditions de travail des jeunes réquisitionnés sont extrêmement difficiles. Ils doivent s’habituer au climat nordique. Ils vivent et travaillent dur dans le froid et l’humidité. Ils dorment dans des baraques en bois qui ne les protègent pas contre le froid et dans des dortoirs où il y a souvent une trentaine de couchettes superposées. Plus rarement, ils sont logés chez l’habitant et parfois même sous les tentes des Sami, cette ethnie autochtone des régions arctiques. La nourriture qu’ils reçoivent est d’abord relativement convenable mais avec le temps sa qualité se détériore et sa quantité diminue. Parfois ils souffrent de la faim, parfois ils n’arrivent pas à avaler les denrées avariées. Après le travail, ils jouissent cependant d’une certaine liberté. Vendula Hingarová ajoute :
« Ils travaillaient habituellement douze heures par jour. Un dimanche par mois était chômé. Ceux qui étaient dans les villes, pouvaient aller au cinéma, à la campagne ils pouvaient aller à la pêche. Avec le temps, ils ont pu nouer des amitiés avec des Norvégiens. Ensemble, ils faisaient aussi des excursions. Certains ont trouvé en Norvège des partenaires de vie qui les ont accompagnés après la guerre lors de leur retour en Tchécoslovaquie. »
Des travailleurs de plusieurs nationalités
Au total, 150 000 travailleurs de nationalités diverses sont envoyés en Norvège par les autorités allemandes pendant la guerre. Outre les Tchèques, ce sont notamment des Hollandais, des Belges, des Français mais aussi des Polonais, des Yougoslaves et des Soviétiques. Tandis que la situation des réquisitionnés venus des pays d’Europe de l’Ouest est relativement supportable, les travailleurs polonais et soviétiques sont réduits pratiquement à l’esclavage. C’est ainsi que les Allemands se vengent des ressortissants des Etats qui ont eu le courage de leur résister. Zdenko Maršálek constate que les contacts entre les Tchèques et les travailleurs d’autres pays étaient plutôt rares :
« Les Tchèques n’avaient pas beaucoup de contacts avec des travailleurs d’autres nationalités parce qu’ils n’en avaient pas beaucoup l’occasion. D’autant plus cordiales étaient leurs relations avec la population locale. Les Norvégiens n’ont pas tardé à comprendre que les personnes réquisitionnées pour le service de travail obligatoire étaient victimes de l’occupant comme eux. Les témoignages sur la serviabilité et la gentillesse des Norvégiens ne manquent pas dans les souvenirs des Tchécoslovaques et dans leurs journaux intimes qui sont parvenus jusqu’à nous. »
Des amitiés et des amours tchéco-norvégiennes
L’accueil chaleureux que les Norvégiens réservent aux travailleurs tchèques ne restera pas sans conséquence. De nombreuses amitiés et liaisons amoureuses se nouent entre de jeunes Norvégiennes et des hommes tchèques réquisitionnés. Une quarantaine de liaisons nouées dans ces conditions difficiles aboutiront à des mariages et le nombre d’enfants nés de cette effusion d’amitié tchéco-norvégienne est évalué à 70. Après la fin de la guerre, les jeunes Norvégiennes suivront leurs maris tchèques lors de leur retour en Tchécoslovaquie. Zdenko Maršálek rappelle cependant qu’après la capitulation de l’Allemagne le rapatriement de ces hommes du Service du travail obligatoire a été une chose bien compliquée :
« Le transfert entre la Norvège et la Tchécoslovaquie a duré généralement quelques mois. Tout d’abord ils devaient être retrouvés et enregistrés par des officiers de rapatriement venus de Tchécoslovaquie et puis, progressivement ils étaient regroupés et transportés vers le sud de la Norvège. Là, ils embarquaient dans des bateaux qui les amenaient dans les ports allemands et ensuite ils regagnaient la Tchécoslovaquie en train. Certains ont été rapatriés par avion, d’autres ont regagné la Tchécoslovaquie en traversant l’Union soviétique. La majorité a été rapatriée avant septembre 1945, mais certains n’ont pu rentrer qu’à la fin d’année. »
Un trésor de souvenirs et de documents précieux
Les amitiés qui sont nées entre les réquisitionnés tchèques en Norvège allaient se montrer extrêmement solides. Après la guerre ils se rencontrent pendant des dizaines d’années, organisent des rassemblements réguliers et gardent soigneusement les souvenirs, les lettres, les journaux et les photos qui leur rappellent cette période difficile. Aujourd’hui ils ont presque tous disparus mais leurs enfants continuent à garder ces documents considérés comme un trésor familial. C’est surtout grâce à ces documents que Vendula Hingarová et Zdenko Maršálek ont pu rédiger leur livre. C’est grâce à ces documents qu’ils peuvent montrer l’aventure des réquisitionnés tchèques en Norvège non seulement comme un chapitre de l’histoire mais aussi comme un enchaînement de destins individuels, comme le récit poignant d’une étape difficile de la vie de gens concrets.