Les deux vies de Vladislav Vančura
Les deux vies de Vladislav Vančura - c’est ainsi qu’on pourrait résumer sommairement le livre que l’historien Petr Koura a consacré à un des plus grands écrivains tchèques du XXe siècle. Son livre retrace non seulement l’itinéraire de Vladislav Vančura (1891-1942) mais aussi sa vie posthume et les changements d’attitude de la société vis-à-vis de sa personnalité et de son œuvre.
Un caractère droit et sans compromis
Le livre de Petr Koura est intitulé Vladislav Vančura a nacismus, to jsou hluboké protiklady - Vladislav Vančura et le nazisme, ce sont de profondes contradictions. Petr Koura explique qu’il s’agit d’une citation tirée du discours prononcé à Londres par le journaliste Josef Kodíček quelques jours seulement après la mort de l’écrivain fusillé par les nazis :
« J’ai rassemblé des centaines d’articles sur Vančura et quand j’ai cherché par la suite un titre poétique pour mon livre, j’ai choisi cette citation de Josef Kodíček qui exprime parfaitement l’attitude de Vladislav Vančura vis-à-vis du nazisme. »
Lors d’une cérémonie commémorative à Londres Josef Kodíček a dit entre autres :
« Son caractère était droit et sans compromis. Vladislav Vančura et le nazisme, ce sont des contradictions aussi profondes qu’elles ne pouvaient pas exister l’une à côté de l’autre." »
Une biographie incomplète
La mort de Vladislav Vančura est aussi la mort d’un symbole. Ce médecin sympathisant du Parti communiste n’était pas seulement un homme de lettres hors du commun mais aussi un exemple d’intégrité, de patriotisme et de courage. Sa vie, sa mort et son œuvre seront largement commentées et analysées par la suite et pourtant il reste des lacunes importantes dans sa biographie. Petr Koura cherche donc à les combler :
« Depuis de longues années, je fais des recherches sur la résistance tchèque au nazisme et je suis particulièrement intrigué par la personnalité de Vladislav Vančura. On sait qu’il a été exécuté par les nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale, mais les informations sur ses activités dans la Résistance sont plutôt rares dans la littérature spécialisée. C’était donc ma motivation. Je désirais apprendre plus de choses sur les raisons pour lesquelles cet écrivain célèbre avait été arrêté et exécuté. »
Médecin, journaliste, écrivain, cinéaste
Vladislav Vančura est né en 1891 en Silésie. Fils d’un père protestant et d’une mère catholique, il rêve de devenir peintre mais n’est pas reçu à l’Académie des Beaux-arts. Il commence à étudier le droit, mais après quelque temps il change d’avis et s’inscrit à la faculté de médecine. Promu docteur en 1921, il commence une carrière de médecin qu’il va abandonner progressivement pour pouvoir se consacrer à la littérature, mais aussi au journalisme et au cinéma. Tandis que ses films ne rencontrent qu’un succès mitigé, ses romans et ses contes s’imposent bientôt par l’originalité de leur style.
Figure importante des avant-gardes tchèques, Vladislav Vančura ne cache pas ses sympathies pour le communisme, mais en 1929 il est exclu du Parti communiste pour avoir protesté contre sa bolchévisation. Dans les années 1930, il dénonce publiquement le caractère criminel du nazisme allemand et après l’occupation de la Tchécoslovaquie, il entre dans la Résistance. Petr Koura constate :
« Vančura n’a pas été poursuivi dès début de l’occupation en 1939 comme l’a été Josef Čapek écroué le 1er septembre 1939. Bien que les positions antifascistes de Vančura aient été connues, il ne figure pas parmi les premières cibles de la répression et les nazis essaient de le gagner à leurs projets. Ils l’invitent même à participer au voyage des représentants de la culture tchèque dans le Reich, mais il décline cette invitation. »
Le courage de vivre et de mourir
Arrêté en mai 1942 après le démantèlement de son réseau clandestin par la Gestapo, Vančura est une des premières victimes de la vengeance nazie après l’attentat contre le protecteur du Reich Reinhard Heydrich. Il est fusillé avec d’autres accusés le 1er juin 1942. Sa vie n’a duré que 51 ans, mais il reste vivant dans ses livres et dans les souvenirs. Petr Koura consacre à cette seconde existence de l’écrivain une grande partie de son livre :
« Dans la deuxième partie de mon livre, je relate les répercussions de la mort de Vladislav Vančura dans la société et je démontre aussi comment sa personnalité a été perçue après la Libération en 1945. C’est ce que les historiens appellent la deuxième vie d’une personnalité. »
A la recherche d’un nouveau héros
Le privilège des grands artistes est de revivre dans leurs œuvres même après leur mort. Apres la guerre, Vladislav Vančura est doublement présent dans l’esprit des Tchèques. C’est un écrivain qu’on aime et apprécie et aussi un héros de la Résistance. Son image prestigieuse devient un atout pour les forces politiques qui se disputent le pouvoir dans le pays libéré et préparent une nouvelle dictature. Les chefs communistes cherchent d’abord à exploiter les sympathies de Vančura pour le communisme malgré sa rupture avec le parti en 1929 mais c’est quand même une tache indélébile dans la biographie de celui qu’on aimerait présenter comme un communiste exemplaire.
Dès que les communistes prennent le pouvoir, l’attitude officielle vis-à-vis de l’écrivain change. Après le coup de Prague en 1948, celui qui a été d’abord encensé comme un héros national, est progressivement relégué au second plan. Et Petr Koura constate que les autorités commencent à favoriser un autre homme de la Résistance :
« Il s’avère que l’homme dont le sort a croisé à maintes reprises celui de Vladislav Vančura dans sa première et aussi dans sa deuxième vie, était Julius Fučík. Comme je l’écris dans mon livre, cela donne l’impression que leurs vies étaient comme des vases communicants. Après la guerre, Vladislav Vančura a été porté aux nues par le Parti communiste comme un héros exemplaire, mais après 1948 il a été en quelque sorte éclipsé par Julius Fučík. »
Arrêté presqu’en même temps que Vančura, le journaliste et résistant Julius Fučík sera exécuté en 1943 à Berlin. Pendant son incarcération, il réussit à rédiger et à faire passer à l’extérieur un texte intitulé Reportage écrit sous la potence. Dans ce texte, il décrit sa vie en prison et avoue avoir parlé lors des interrogatoires. Pour hisser Julius Fučík sur son piédestal de héros, les communistes décident donc d’effacer cet aveu et ne publient qu’une version censurée du texte. Pendant longtemps, l’image héroïque de Julius Fučík restera donc immaculée. La version intégrale de ce Reportage écrit sous la potence ne sera publiée qu’après la chute du communisme en 1995.
Le privilège des grands artistes
Entre-temps l’image de Vladislav Vančura évolue dans l’esprit des Tchèques, mais ne se ternit pas. On le considère peut-être moins comme un personnage symbolique, moins comme un héros mais surtout comme un grand auteur, comme un écrivain au style inimitable, comme un artiste qui ne manquait ni d’émotion ni d’humour. Plusieurs générations de lecteurs se sont déjà délectés à lire ses romans dont nombre ont été portés à l’écran. Onze monuments qui lui ont été érigés dans des villes et villages tchèques et 77 rues qui portent son nom, témoignent du fait qu’il reste présent dans les esprits et que sa vie posthume est donc encore loin d’être finie.