« Un été capricieux » enfin traduit en français
Certaines œuvres littéraires défient et découragent les traducteurs en raison de leur caractère, de leur style ou de leur structure. Parmi ces œuvres considérées par d’aucuns comme intraduisibles figure sans doute « Un été capricieux » (Rozmarné léto), un ouvrage en apparence modeste que son auteur Vladislav Vančura a sous-titré « Roman humoristique ». En signant cet opuscule, l’auteur ne pensait certainement pas que cette œuvre mineure allait devenir un des livres tchèques les plus populaires et les plus souvent cités. Ecrit dans une langue archaïque et métaphorique qui jure avec la simplicité quasi banale de son sujet, ce petit livre a longtemps attendu son traducteur en français. C’est finalement l’écrivain, traducteur et ancien professeur de l’Université libre de Bruxelles Jan Rubeš qui a relevé le défi. Voici ce qu’il a dit au micro de Radio Prague à propos de cet ouvrage et des difficultés de sa traduction en français :
« Evidemment je pensais au public francophone, aux lecteurs en France, en Belgique, au Canada, parce que je considère que ce roman fait partie du fonds d’ouvrages essentiels de la littérature tchèque et qu’il est le temps de compléter les traductions existantes de grands auteurs, comme Kundera, Hrabal, Seifert, Holan, par les auteurs que tous les Tchèques connaissent, par les livres qui sont considérés comme très importants pour l’histoire de la littérature tchèque et qui ne sont pas traduits en français. »
Comment présenter sommairement Vladislav Vančura ? Plaçons d’abord cet auteur dans le contexte de la littérature tchèque de la première moitié du XXe siècle.
« Vladislav Vančura est lié d’abord à l’avant-garde tchèque. C’est un romancier qui, curieusement, est considéré comme le père spirituel de jeunes poètes, de jeunes auteurs avant-gardistes, mais qui finalement prendra une certaine distance par rapport à eux, pas seulement du point de vue d’engagement politique, parce que lui-même comme toute l’avant-garde politique tchèque se situe résolument à gauche sur l’échiquier idéologique de la Tchécoslovaquie de l’entre-deux-guerres, mais par le fait qu’il se consacre au roman, à la nouvelle. C’est un prosateur et dans la majorité des cas ces jeunes auteurs sont poètes, évidement liés aux autres avant-gardistes, peintres, cinéastes, etc. On peut dire que c’est un écrivain plutôt solitaire, qui vit en dehors de Prague dans une ville qui s’appelle Zbraslav. Médecin, il abandonne son cabinet peu avant 1930 et se consacre exclusivement à la littérature. Il publie un certain nombre de romans, je dirais, de dimensions sociales. C’est un écrivain de sensibilité sociale et de ce point de vue-là, le roman dont nous parlons ici, ‘Un été capricieux’, est un ouvrage qui sort de cette lignée. Il s’agit d’un roman plutôt amusant, une sorte de passe-temps, que l’auteur s’est accordé entre de différentes œuvres qui sont plus engagées. »
En République tchèque « Un été capricieux » est relativement connu grâce aussi au réalisateur Jiří Menzel qui l’a porté à l’écran. Mais le lecteur francophone ne connaît sans doute ni ce texte, ni cet auteur. Essayons de présenter ce livre pour donner au lecteur francophone l’envie de le lire.« C’est un petit roman d’une centaine de pages dont l’histoire est très simple. C’est l’arrivée d’une jeune femme qui accompagne un saltimbanque dans une petite ville pour donner quelques spectacles. Et les trois hommes qui ont l’habitude de se réunir au bord de la piscine d’un des protagonistes de ce roman, vont essayer, chacun à son tour, de séduire cette belle Anna qui est tout à fait charmante, mais cet acte de séduction n’aboutira jamais. Le fond de ce roman n’est pas l’histoire elle-même mais plutôt la façon dont elle est racontée. Il y a la ligne du sujet d’un côté, et puis il y a la langue qui contredit un peu, je dirais, la banalité de l’histoire, cet échec de séduction. C’est un langage plutôt baroque et archaïque qui est très complexe et a des tons amusants. Et je crois que c’est la langue qui est le facteur humoristique de ce roman. »
L’intérêt et le charme de ce texte résident donc dans son style. Quelles sont les particularités de ce style ?
« Je dois dire tout d’abord que c’est un livre qui a été très difficile à traduire et qui m’a donné beaucoup de peine, beaucoup de sueurs froides, beaucoup de questionnements. C’est une langue qui est archaïque et compliquée du point de vue stylistique déjà pour l’époque à laquelle ce texte a été écrit. Pour le situer, ce roman a été écrit en 1927. »
Certains passages du livre ont été très souvent cités et sont devenus très populaires. Il y a des répliques qui sont devenues presque proverbiales. Comment as-tu traduit par exemple la célèbre phrase « Tento způsob léta zdá se mi poněkud nešťastným » prononcée par le maître-nageur Důra quand le temps est à la pluie et la température baisse ?
« Il y a un phénomène particulier de ce roman. Certaines phrases, certaines locutions sont effectivement devenues très connues, certains passages sont entrés dans le contexte communicatif et il est évidemment très difficile de les transférer dans le contexte communicatif d’une autre culture. La phrase que tu viens de citer peut être citée par tout le monde, parce que tout le monde la connaît. J’ai été obligé de la traduire de la manière tout à fait normale, mais évidemment, sa signification en tchèque est beaucoup plus profonde, beaucoup plus connotée que dans le contexte français. Donc la phrase est traduite de manière suivante : ‘Ces manières de l’été me semblent plutôt pitoyables’. Les Tchèques connaissent cette phrase mais je doute que les Français la considèrent comme quelque chose qui fait partie du langage courant. »Quelle est la source de l’humour très spécial de ce livre ? Est-ce le contraste entre la langue archaïque, maniérée et solennelle de Vladislav Vančura et la petite histoire de petits habitants d’une petite ville qu’il nous raconte ?
« Bien sûr, c’est le contraste entre la langue qui est une langue presque artificielle, très cultivées avec un certain nombre d’archaïsmes, en français ça donne lieu à des subjonctifs du passé qu’on n’utilise pas dans le langage courant, et une sorte de la banalité quotidienne qui est décrite dans le roman. Mais au-delà de cela il y a certaines histoires qui sont grotesques en soi, par exemple, les scènes de séduction, qui n’aboutissent pas, font sourire. Ce sont des scènes qui sont comiques et qui sont très bien transmises d’ailleurs, dans la ‘traduction’ cinématographique de Menzel. »
Comment vois-tu les héros de cette histoire rocambolesque ? As-tu été influencé par le film de Jiří Menzel et les acteurs qui ont incarné ces personnages à l’écran ? Est-ce que les personnages du roman ressemblent un peu dans ton imagination aux acteurs de ce film ?
« Une fois qu’on a vu le film, qui est excellent, je dois dire, on a beaucoup de mal de faire abstraction du visuel par rapport au texte. Alors j’ai essayé évidemment d’utiliser le texte en soi, en tant que seule et unique source d’inspiration pour me traduction, d’autant qu’un grand nombre de passages ne figurent pas dans le film. Malgré la brièveté du roman il y a certains chapitres qui n’ont pas été repris dans l’adaptation pour le cinéma. Cela m’a permis de créer un visuel un peu différent parce que cela ne se rapporte pas au film. Mais d’autre part les caractères des personnages dans le film de Menzel sont tellement prononcés, tellement typés qu’il est très difficile de faire abstraction de leurs physionomies, de leurs comportements, de leurs voix, et on est obligatoirement influencé par ces personnages. »Est-ce que le français, la langue française, se prête bien à ce genre de traduction. Était-il difficile de trouver les équivalents français pour les finesses de la langue de Vančura ?
« D’une part, il y a la difficulté de donner la même valeur en français aux phrases, que nous avons citées et qui sont devenues presque des élocutions courantes pour les Tchèques. D’autres part, il y a évidemment un certain nombre de locutions pour lesquelles j’ai eu beaucoup de mal à trouver des équivalents. J’ai décidé à me faire soutenir par quelques amis français qui, soit parlent tchèque, soit sont des lecteurs cultivés, en leur soumettant le texte pour la lecture, et je dois dire que mon ami Xavier Galmiche m’a un peu aidé dans le choix des locutions qui correspondaient mieux au style de Vančura. Je l’ai fait lire également à une amie, qui est éditrice elle-même, qui a apprécié le roman et a fait, finalement, très peu de remarques mais qui m’a dit : ‘C’est un roman qui ne va jamais intéresser les lecteurs français, parce que son style, son atmosphère, ce côté dépassé, ce genre de situations où on rit plutôt tout doucement pour soi-même, cela ne correspond pas au style de l’humour français. C’est plus l’humour anglais, peut-être, qui est dans les finesses de la langue. Dans les scènes grotesques on imagine difficilement Louis de Funès dans un film qui pourrait être tourné d’après cette nouvelle, mais avec ce genre de l’humour on imagine plutôt un film anglais.’ Elle a été donc assez sceptique sur le succès de ce roman en France et je suis de son avis. Je pense que c’est quelque chose qui correspond plutôt à l’humour tchèque qu’à la typologie de l’humour français. »
C’est un roman qui ne va jamais intéresser les lecteurs français, parce que son style, son atmosphère, ce côté dépassé, ce genre de situations où on rit plutôt tout doucement pour soi-même, cela ne correspond pas au style de l’humour français.
Comment un lecteur francophone peut se procurer ce livre ?
« Evidement, c’est la plus grande question qui se pose. J’ai proposé ce roman a plusieurs éditeurs en France et certains ont lu la traduction, ont été assez hésitants et ont renoncé finalement à la publier en France et en Suisse, d’autres ont hésité alors qu’ils ont habitude de publier des livres tchèques. J’ai été assez surpris par ce côté hésitant, par cette indécision de prendre le risque de publier ce roman en France mais je les comprends pour les raisons que je viens d’expliquer. Je crois que c’est un style qui ne correspond pas au sous-titre du livre, c’est-à-dire ‘roman humoristique’. Finalement le seul éditeur qui s’est proposé sont les Editions Karolinum, maison qui correspond à peu près aux Presses universitaires en France. C’est donc l’éditeur de l’université Charles de Prague qui a décidé de publier en traduction française un certain nombre d’ouvrages considérés comme essentiels pour l’histoire de la littérature tchèque. On a déjà publié ‘Saturnin’ de Zdeněk Jirotka. C’est le premier roman paru dans cette collection, Vančura est le deuxième, et d’après l’accord que j’ai avec l’éditeur, on va continuer et publier à Prague d’autres romans tchèques en français espérant qu’un éditeur en France les reprendra et publiera pour le public français parce que, évidemment, la diffusion en France de ces romans publiés à Prague sera difficile. »