Samantha de Bendern : « Veveří, le château morave dont mon grand-père a hérité du baron Hirsch et où a séjourné Churchill »

Journée Winston Churchill au château de Veveří à Brno

Plusieurs centaines de personnes ont participé ce week-end à la Journée Winston Churchill au château de Veveří à Brno. L'événement était organisé pour commémorer le 150e anniversaire du célèbre homme d'État britannique, qui a habité dans ce château à trois reprises au début du siècle dernier. Construit au tout début du dernier millénaire, ce château a été la propriété de plusieurs grandes familles, tchèques, autrichiennes et même suédoises, avant d’être racheté en 1881 par Maurice de Hirsch, dit le baron Hirsch. Samantha de Bendern est son arrière-petite-fille. Chercheuse à l’Institut royal des affaires internationales, Chatham House, la descendante de cet ancien propriétaire était également au château de Veveří ce week-end et a répondu aux questions de Radio Prague International juste après son retour à Paris.

Samantha de Bendern | Photo: X de Samantha de Bendern

Samantha de Bendern : « Ce château appartenait à ma famille. Mon grand-père était le fils adoptif - et, par la suite, on a compris qu’il était en réalité le fils naturel - du baron Hirsch, qui lui avait légué ce grand château en Moravie. Mon grand-père en a hérité. Il s’appelait Maurice de Forest, puis il est devenu Maurice Arnold de Bendern, et il était un grand ami de Winston Churchill. Ils ont fait une partie de leurs études ensemble et sont devenus très proches. Mon grand-père l'invitait souvent chez lui. »

Baron Maurice Arnold de Bendern | Photo: George Grantham Bain Collection/Library of Congress/Wikimedia Commons,  public domain

« Ils ont fait une partie de leurs études universitaires ensemble, puis ils se sont rapprochés via la politique. Il y a un décalage générationnel dans ma famille, car mon grand-père était très âgé quand mon père est né, et mon père avait 60 ans quand je suis née. Donc, les membres de ma famille ont souvent 30 ou 40 ans de plus que moi. »

Comment avez-vous découvert cette histoire en Moravie ? Quand vous êtes-vous rendue pour la première fois au château de Veveří ? Il me semble qu’il y avait un autre bien du patrimoine du baron Hirsch à Rosice, non loin de là…

Baron Maurice Hirsch | Photo: Library of Congress/Wikimedia Commons,  public domain

« Oui, c’est exact, il y avait une grande sucrerie, si je ne me trompe pas. J’ai découvert tout cela très jeune, quand j’étais enfant. À la maison, nous avions des livres, et à l’intérieur de ceux-ci, il y avait une étiquette avec le dessin d’un château. J’ai demandé à mon père ce que c’était, et il m’a dit que c’était le château du baron Hirsch, puis celui de mon grand-père. Je voulais aller le voir, mais il m’a dit que ce n’était pas possible parce qu’il se trouvait de l’autre côté du rideau de fer. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire de l’Europe, au rideau de fer, au travail du baron Hirsch, et ensuite au rôle de mon grand-père, surtout à son amitié avec Churchill. J’avais moins de 10 ans et j'étais déjà fascinée par cette histoire. »

« Je suis allée pour la première fois au château seulement en 2014, car la vie a fait que cela a pris du temps. J’ai eu des enfants jeune, j’ai travaillé, j’ai vécu un peu partout en Europe de l’Est, mais pas en République tchèque. Finalement, j’y suis allée en 2014. »

Château de Veveří | Photo: Ivan Holas,  ČRo

Lune de miel morave pour les époux Churchill 

Depuis quelques années, une plaque rappelle que Winston Churchill a même passé une partie de sa lune de miel dans ce château de Veveří, qu’on appelait à l’époque Eichhorn de son nom allemand (qui signifie écureuil comme en tchèque).

La plaque rappelle que Winston Churchill a passé une partie de sa lune de miel dans le château de Veveří | Photo: Harold,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0

« Oui, c’était aussi une grande histoire de famille, car tout le monde plaisantait un peu en disant qu’il avait passé plus de temps à chasser avec mon grand-père qu’avec sa nouvelle épouse, ce qui était assez typique des hommes de l’époque. Mais il semble qu’il ait quand même passé un peu de temps de sa lune de miel avec sa femme… »

Le château de Veveří a été nationalisé peu après la création du nouvel État tchécoslovaque en 1918. Il me semble que votre grand-père avait reçu une compensation à l’époque…

« D’après ce que j’ai su, il était très mécontent, furieux qu’on l’oblige à vendre son château. Il a été plus ou moins nationalisé. Mon grand-père était un baron austro-hongrois, et la nouvelle Tchécoslovaquie voulait récupérer ce château, estimant que les aristocrates étrangers n’y avaient plus leur place… »

Château de Veveří | Photo: Hana Ondryášová,  ČRo

Churchill, Munich en 1938 et l'Ukraine aujourd'hui

Comment s’est déroulée cette journée dédiée à Winston Churchill en Moravie ?

« C’était très émouvant pour de nombreuses raisons. Winston Churchill symbolise aujourd’hui la résistance contre la tyrannie, et je crois que nous en avons bien besoin en Europe. À quelques centaines de kilomètres à l’est du château de Veveří, la guerre fait à nouveau rage avec un peuple qui lutte contre le retour de la tyrannie. Pour les Tchèques, cela rappelle Munich en 1938, quand, pour éviter la guerre, le Royaume-Uni et la France ont autorisé Hitler à prendre les Sudètes. »

« Comme Churchill l’a dit : ‘Ils avaient le choix entre la guerre et le déshonneur. Ils ont choisi le déshonneur et ils auront la guerre.’ Je ne connais plus la citation exacte, mais c’était l’idée. Mais pour éviter la guerre, il faut parfois accepter de se battre. »

Vous avez vécu quelques années à Prague, mais vous êtes désormais en France. Percevez-vous une différence de point de vue entre l’Europe centrale et la France concernant le conflit en Ukraine ?

Winston Churchill avec sa fiancée Clementine Hozier peu avant leur mariage en 1908 | Photo: Wikimedia Commons,  public domain

« Oui, absolument. Pour les Tchèques, du moins ceux avec qui j’ai discuté ce week-end, il y a un vrai sentiment que les Russes sont tout près. Ils se souviennent de l’occupation soviétique, qui pourrait aujourd'hui se transformer en occupation russe. Ils pensent que si l’Ukraine devait perdre cette guerre, ils seraient en première ligne, à la frontière entre une Europe qui retournerait vers la dictature et une Europe libre. C’est aussi pour cela qu’ils organisent ces journées de commémoration pour Churchill et qu’ils prévoient de le refaire dans les années à venir. Ils veulent évoquer les accords de Munich, mais aussi ce qu’ils perçoivent comme un second Munich qui menace de se reproduire aujourd’hui. »

Dernière question : le château de Veveří a subi les vicissitudes de l’histoire de la région au XXe siècle, d’abord occupé par les nazis, puis réquisitionné par les communistes. Depuis 1999, il est géré par l’Institut du patrimoine national tchèque. Dans quel état est-il aujourd’hui ?

Château de Veveří | Photo: Hana Ondryášová,  ČRo

« Je l’ai trouvé en bien meilleur état qu’en 2014. Ils ont restauré presque tous les toits, car le château est constitué de plusieurs bâtiments. Ils ont commencé à recréer les intérieurs, avec des meubles qui ont soit été achetés, soit obtenus en location dans d’autres châteaux de la région. Ils ont vraiment fait un effort pour étudier le style de meubles qu'il y avait à l’époque. Il y a de très beaux tableaux flamands, des portraits des rois de Luxembourg, qui ont, si je ne me trompe pas, été propriétaires du château à une époque. Il y a également des portraits de mes grands-parents, et j’ai trouvé cela très touchant. La population locale semble très fière de ce château, qui est ouvert au public. Ils veulent que cela reste ainsi. Plusieurs personnes ont voulu l’acheter pour en faire un hôtel, mais les autorités ont refusé, estimant que c’est un patrimoine national qui doit rester accessible à tous. »

Château de Veveří | Photo: Ben Skála,  Benfoto/Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0
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