À Nelahozeves, à la maison natale d’Antonín Dvořák, une plongée immersive dans l’enfance du compositeur

La maison natale d’Antonín Dvořák

De sainte Ludmila ou de l’empereur Charles IV aux écrivains Jaroslav Seifert et Bohumil Hrabal, en passant par le peintre Josef Lada ou la gymnaste Věra Čáslavská et le hockeyeur Jaromír Jágr, les grands personnages originaires de la Bohême centrale, la région qui encercle Prague, sont nombreux et se sont illustrés dans les domaines les plus divers.

En matière de musique, Antonín Dvořák est indéniablement le plus célèbre d’entre eux. Mais avant de gagner ses lettres de noblesse en Angleterre puis en Amérique, et de devenir le compositeur mondialement connu qu’il est aujourd’hui, c’est à Nelahozeves, petit village situé sur la rive gauche de la Vltava, à une vingtaine de kilomètres au nord de Prague, que l’auteur notamment de la Symphonie du Nouveau Monde, est né, en 1841, d’un père boucher et aubergiste, et a passé les onze premières années de sa vie.

Cette enfance et ces origines modestes, qui par la suite ont souvent influencé l’œuvre de Dvořák, c’est précisément ce que propose de découvrir, depuis peu, une toute nouvelle exposition immersive dans sa maison natale elle aussi entièrement rénovée. Une exposition dont la musicologue Eleonore Kinsky est l’auteure et la commissaire. Dans un excellent français, elle a nous fait visiter les lieux.

Eleonore Kinsky | Photo: Guillaume Narguet,  Radio Prague Int.

« Je m’appelle Eleonore Kinsky et suis la commissaire de ce nouveau musée. J’ai fait des études de musicologie et c’est comme ça que j’ai eu la chance de travailler sur ce nouveau projet. La maison natale d’Antonín Dvořák est l’endroit où le compositeur a vécu depuis sa naissance jusqu’à l’âge de sept ans. Mais il a ensuite continué à vivre à Nelahozeves et compte tenu du fait que c’est dans cette maison que se trouvait l’auberge du village, on suppose, et certains documents nous le prouvent d’ailleurs, qu’il y est souvent revenu même lorsqu’il était adulte. »

Cette maison natale (Rodný dům Antonína Dvořáka) vient d’être récemment rouverte au public et l’exposition, dont vous êtes la responsable, est le fruit de cinq années de travail. Que peut-on donc y voir ?

Photo: Guillaume Narguet,  Radio Prague Int.

« L’idée générale est d’abord de montrer l’enfance de Dvořák, qui est beaucoup moins connue que les grands succès qu’il a eus par la suite. Ce qui est intéressant avec lui, c’est qu’il a commencé à avoir du succès assez tard dans sa vie et c’est pourquoi il est assez difficile d’imaginer qu’il est né au début des années 1840, à une période qui était très différente de la fin du XIXe siècle, que l’on associe au compositeur. Comme il reste très peu d’objets de son enfance, nous avons disposé d’une grande liberté pour installer une exposition un peu plus immersive avec beaucoup de choses que les gens peuvent toucher tout en montrant, bien évidemment, les parallèles avec la musique qu’il a composée plus tard dans sa vie. »

L’objectif de cette exposition est aussi de rapprocher la vie et l’œuvre de Dvořák à un public qui n’est pas nécessairement spécialiste de musique classique, y compris, par exemple, les groupes scolaires.

Photo: Guillaume Narguet,  Radio Prague Int.

« Tout à fait. À mes yeux de musicologue, ce qui a rendu ce projet particulièrement intéressant, était la possibilité de présenter les résultats de toutes les recherches que nous avons effectuées à un public le plus large possible, y compris aux enfants. Le fait que nous ayons abordé ce projet avec les yeux d’un enfant - car le Dvořák enfant n’était encore ni expert de musique ni compositeur -, nous a permis de simplifier pas mal de choses. Et au final, que l’on soit connaisseur ou pas, cela permet à tout le monde d’appréhender d’une manière ou d’une autre sa musique. »

Vous parlez souvent de cette exposition comme d’un travail de rêve...

La maison natale d’Antonín Dvořák | Photo: House of Lobkowicz

« C’est vrai. J’ai commencé à travailler pour les Collections Lobkowicz, à qui appartient cet endroit, en 2018, d’abord dans les archives en ne me doutant absolument pas que cela serait aussi passionnant. En tant que musicologue, de pouvoir participer à ce projet a été une chance. Ce travail est la symbiose de tout ce qui est intéressant dans mon activité. Il s’agit bien sûr de mener des recherches mais avec la volonté d’en montrer les résultats de façon beaucoup plus créative qu’à travers un article publié dans un magazine spécialisé de musicologie qui ne serait lu que par quelques personnes. Et puis c’est un travail qui demande beaucoup de compétences : il faut être capable de comprendre les espaces, de s’exprimer en public ou encore, par exemple, lors du montage de l’exposition, de bien faire comprendre ce que l’on veut vraiment à des équipes de travailleurs composées exclusivement d’hommes. Bref, c’est un travail avec plein de facettes différentes ! »

L’exposition à la maison natale d’Antonín Dvořák | Photo: House of Lobkowicz

De New York à Nelahozeves, une vie à rebours

On rentre maintenant dans le bâtiment et dans la première salle de l’exposition avec, tout de suite, un grand écran devant nous...

« Cette première salle propose un film d’introduction que l’on suit, comme d’ailleurs le reste de l’exposition, avec un audioguide. L’idée est d’abord de pouvoir situer Dvořák dans le temps, mais à rebours. On voit donc Dvořák à New York en train de diriger la Symphonie du Nouveau Monde qui se retrouve ensuite beaucoup plus jeune ici, à Nelahozeves, dans un contexte complètement différent. Ce que l’on veut à travers ce petit film, c’est amener le visiteur jusqu’à l’année de sa naissance, en 1841. »

L’exposition à la maison natale d’Antonín Dvořák | Photo: House of Lobkowicz

Dans ce film, l’on voit aussi le château de Nelahozeves, qui se trouve juste en face de la maison natale de Dvořák. C’est important de le préciser parce que si vous avez évoqué un travail de rêve, il faut aussi parler de ce très bel endroit qu’est Nelahozeves, surtout lorsque l’on y arrive en train depuis Prague en longeant la Vltava, une rivière dont le cours a beaucoup influencé différents compositeurs tchèques, et notamment bien évidemment Bedřich Smetana mais aussi Dvořák, durant l’essentiel du trajet...

Château de Nelahozeves | Photo: Jana Huzilová,  ČRo

« C’est effectivement un endroit magnifique juste au bord de la Vltava. Nous conseillons d’ailleurs souvent aux visiteurs de ‘faire’ à la fois le château et la maison natale de Dvořák. Peu importe l’ordre. Le château est intéressant. Il n’était pas en très bon état quand Dvořák était petit. Je me souviens que quand j’ai commencé à mener mes recherches, différents musicologues m’ont suggéré que Dvořák aurait pu découvrir une musique de cour au château, alors que ce n’était certainement pas le cas, car aucun membre de la famille Lobkowicz ne vivait là à cette époque. Le château était alors plein d’étables et de gens qui travaillaient dans les fermes, en tout cas il n’était pas occupé par les grandes familles comme on peut l’imaginer. »

Toujours dans ce film d’introduction, on voit le petit Antonín jouer du violon en étant habillé comme pouvait l’être un enfant d’un petit village de Bohême au XIXe siècle. C’est là vraiment le fond de l’exposition : l’influence qu’a eu cette enfance dans l’œuvre du compositeur...

L’exposition à la maison natale d’Antonín Dvořák | Photo: Markéta Kachlíková,  Radio Prague Int.

« Oui, bien sûr, même s’il faut quand même un peu nuancer. C’est difficile d’affirmer, par exemple, que Dvořák avait un rouet dans son enfance - même si c’était quelque chose de très commun à l’époque -, et que c’est grâce à ça qu’il a composé le poême symphonique Le Rouet d’or. Le but n’est pas d’extrapoler. Toutefois, nous aimons bien montrer les parallèles et je pense qu’il y a quand même pas mal de choses qui ont influencé le compositeur qu’il est devenu et que nous pouvons dire avec certitude. Par exemple, Dvořák était quelqu’un de très croyant et cette foi lui a été transmise durant son enfance de par l’éducation religieuse qu’il a reçue. C’était aussi un homme très humble qui préférait les auberges des villages aux grandes cérémomies officielles à Prague. On peut donc supposer, sans trop s’avancer, que toutes ces choses-là de son enfance ont influencé son caractère. »

L’exposition à la maison natale d’Antonín Dvořák | Photo: House of Lobkowicz

Dvořák est aussi bien connu pour la musique sacrée qu’il a composée. Est-ce également à Nelahozeves qu’il a appris à jouer de l’orgue ?

Le mémorial d’Antonín Dvořák à Zlonice | Photo: Miloš Turek,  Radio Prague Int.

« Ce qui est sûr, c’est que c’est à Nelahozeves qu’il a appris à jouer du violon et à chanter. Pour ce qui est de l’orgue, c’est possible également, mais aucun document ne le prouve. On suppose plutôt qu’il s’est mis à l’orgue et plus généralement aux instruments à clavier à Zlonice, qui est le village de Bohême centrale (quelques kilomètres plus à l’ouest de Nelahozeves) où il a poursuivi ses études après l’école à Nelahozeves. Ce que l’on sait beaucoup mieux dans sa biographie, c’est que durant les premières années de sa carrière de musicien professionnel à Prague, il jouait en tant qu’altiste dans un orchestre. Et ça, c’est quelque chose qu’il a appris ici, à Nelahozeves. »

L’enfance de Dvořák bientôt accessible aussi en français ?

Si Antonín Dvořák est un des compositeurs tchèques les mieux connus dans le monde, en Tchéquie en revanche, son œuvre n’a pas toujours été reconnue comme elle l’est désormais. Smetana était considéré comme étant davantage ‘tchèque’, que ce soit à travers ses opéras ou bien évidemment son cycle de poêmes symphoniques Ma Patrie, dans lequel figure Vltava (La Moldau), et sa musique est d’ailleurs encore omniprésente aujourd’hui. Quid de Dvořák ?

Antonín Dvořák en 1868 | Photo: public domain

« L’image de Dvořák dans les Pays tchèques a, je pense, beaucoup souffert au début du XXe siècle. Un musicologue, qui s’appellait Zdeněk Nejedlý, voulait épouser une fille de Dvořák, mais celle-ci a refusé, et c’est ce qui explique qu’il a gardé une dent contre Dvořák. Il a publié un certain nombre d’articles qui discréditaient sa musique. Cela a continué sous le régime communiste, entre autres raisons parce que c’était un compositeur très international. Contrairement à Smetana, il avait voyagé et il a rencontré son plus grand succès aux États-Unis, et non pas en Tchéquie. Il a souffert de tout cela de façon assez injuste, alors qu’inversement, à l’étranger, il a toujours été le compositeur tchèque le plus joué. »

« Aujourd’hui, Dvořák a regagné en importance en Tchéquie et je pense qu’il est au moins aussi populaire que Smetana, même si c’est vrai que, de manière générale, Vltava et Ma Patrie restent probablement l’œuvre la plus connue. Mais à part justement Ma Patrie et quelques opéras, le Tchèque moyen ne saura pas citer d’autres compositions de Smetana, alors que pour Dvořák, le nombre de ses compositons qui font partie des répertoires des musiciens est bien plus élevé. Par exemple, chaque violoncelliste a déjà joué son Concerto pour violoncelle. On peut dire la même chose de Rusalka (Roussalka), qui est un des opéras les plus joués au monde, de La Symphonie du Nouveau Monde, des Danses slaves ou encore des Humoresques, dont la mélodie est d’ailleurs utilisée par České dráhy (la compagnie des chemins de fer tchèque) pour faire ses annonces aux voyageurs. Pour l’anecdote, elle sert même pour annoncer les trains au Japon... Donc, voilà pour ce qui est du retournement d’opinion en Tchéquie concernant Dvořák. »

La maison natale d’Antonín Dvořák | Photo: Guillaume Narguet,  Radio Prague Int.

Inutile de préciser que la Maison natale d’Antonín Dvořák et son exposition méritent vraiment une visite, car il s’agit d’un endroit étonnant et exceptionnel où tout est beau et nouveau. Si l’on y vient en train, comme nous le conseillons vivement, précisons qu’il faut descendre à l’arrêt Nelahozeves-Zámek, qui se trouve au pied du château, et non à la gare de Nelahozeves. On peut aussi poursuivre la visite avec une promenade le long de la rivière pour s’imprégner encore davantage de cet environnement dans lequel Dvořák a grandi. Qu’ajouter d’autre pour les candidats ?

Château de Veltrusy | Photo: Lukáš Kohout,  Pixabay,  Pixabay License

« Le musée à la maison natale est ouvert toute l’année de 10 à 17 heures, à l'exception du lundi. En revanche, le château n’est, lui, ouvert au public que durant la saison estivale. Nous avons pas mal de visiteurs qui viennent depuis Prague en vélo en empruntant les pistes qui longent effectivement la rivière. C’est d’ailleurs la même chose dans l’autre sens en provenance de l’Allemagne et de Dresde (en longeant alors d'abord l'Elbe dans sa magnifique vallée, puis la Vltava). Je citerais aussi le très beau château de Veltrusy, qui se trouve juste à côté de Nelahozeves et possède également un magnifique parc. Bref, tout est facilement accessible et pas très loin. Les groupes scolaires sont les bienvenus mais, encore une fois, l’exposition est vraiment conçue pour tous les publics : aussi bien pour les musicologues passionnés que pour un enfant de 5 ans qui ne sait pas encore qui est Dvořák. »

L’exposition à la maison natale d’Antonín Dvořák | Photo: Markéta Kachlíková,  Radio Prague Int.

Seul petit regret que l’on pourrait formuler : l’audioguide permet de visiter l’exposition en tchèque, en anglais et en allemand, mais pas en français...

Photo: Guillaume Narguet,  Radio Prague Int.

« Pas encore... À vrai dire, nous ne pensions pas accueillir autant de visiteurs français. Or, ils sont très nombreux depuis l’ouverture et beaucoup ont un peu de mal avec l’anglais. Du coup, nous souhaiterions élargir notre offre de langues au français. C’est en projet, mais il nous faut d’abord trouver le budget pour pouvoir le réaliser. Ce qui est certain, c’est que c’est une chose à laquelle je donnerai la priorité ! »

L’exposition à la maison natale d’Antonín Dvořák | Photo: House of Lobkowicz
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