Pascal Rabaté: « inspiré par les pays en dépression »
Pascal Rabaté connaît bien la République tchèque où il est venu à plusieurs reprises ces dernières années. Son dernier film, Du goudron et des plumes, était dans la compétition officielle de la 49è édition du festival de Karlovy Vary qui s’achève ce samedi soir. Il s’agit cette fois d’une comédie avec Isabelle Carré et Sami Bouajila sur une descente aux enfers d’un commercial de province d'origine algérienne. Déjà vainqueur du prix de la mise en scène à Karlovy Vary en 2011 avec son précédent long-métrage, Ni à vendre ni à louer, Pascal Rabaté a été très applaudi après la première. Au micro de Radio Prague, il a parlé de cinéma et aussi, évidemment, de BD.
Qu’a apporté le prix reçu ici à votre précédent film, Ni à vendre ni à louer ?
« D’abord beaucoup de plaisir. Il avait moins marché en France que le précédent, Les petits ruisseaux. Quelques mois après ce prix au festival de Karlovy Vary on a appris que le film avait été vendu dans quinze pays, dont beaucoup de pays de l’Est notamment, en Russie, en Géorgie, en République tchèque, en Roumanie… Je pense que le festival a eu un impact direct avec pas mal de communication autour, c’est un festival de catégorie A, le Cannes des pays de l’Est… ».
A propos de pays de l’Est, vous avez indiqué avoir puisé de l’inspiration en Russie pour ce dernier film, Du goudron et des plumes
« Oui, j’avais été faire un voyage avec un photographe il y a dix ans sur les traces de Tchekov, jusqu’à Sakhaline. De ce voyage de deux mois je suis revenu dans un état étrange. J’ai lu quelques textes de sociologues qui parlaient de la Russie et de la Roumanie comme des pays en dépression. Ça m’avait intrigué, et quelques années après j’ai retrouvé les symptômes décrits par ces sociologues dans la société française. En fait c’est ça qui a donné naissance à ce projet de film sur des gens qui commencent à perdre pied, n’ont plus d’idéaux auxquels se rattacher et qui reviennent à un point de vue purement individualiste. »
Ce n’est pas dans la même veine que votre dernier film, qui avait un côté plus burlesque
« Oui, mais je pense que je parlais un peu de la même chose. il y avait quelques choses sur la fin des congés payés, si on peut dire. C’est vrai que c’était beaucoup plus décalé dans le précédent, mais avec aussi la fin de quelque chose, la famille qui se désagrège. Du goudron et des plumes est un peu plus dépressif, tout au moins les personnages le sont et le constat sociétal encore plus. »Le titre anglais, Patchwork family, ne correspond pas au titre français Du goudron et des plumes, qui fait penser à Lucky Luke. Une petite scène rappelle un peu les Dalton d’ailleurs dans le film. Est-ce que le titre anglais vous convient ?
« Oui parce que je trouve qu’il a une petite note décalée et humoristique. C’est aussi ça, avec une famille recomposée et des pièces de puzzle. Le titre français faisait plus allusion au lynchage public. J’avais envie de ne pas donner toutes les clés dans le titre. Je n’avais pas pensé aux Dalton mais c’est assez drôle parce qu’il y a plein de petites touches qui ont été pensées pour faire penser aux westerns : les chevaux devant le commissariat, le rond-point pistolet, la potence du jeu télévisé et même la voiture du héros qui est pensée un peu comme un véhicule d’arracheur de dent, des docteurs qui vendaient toute sorte d’élixirs d’escrocs dans le grand Ouest. »
Vous évoquiez les ronds-points et « la France des sous-préfectures » ; est-ce facile de faire comprendre à un public étranger le contexte de ces zones périurbaines en province ?« Je ne me suis pas posé la question mais c’est vrai que j’avais envie que les images parlent très vite, avec des couleurs assez marquées. Je pense que ça parle parce qu’il y a ce côté décalé, notamment ces ronds-points, décorés pour ce film. »
Des questions que vous posent ici les journalistes tchèques et étrangers pensez-vous que le sujet de l’immigration et les différences entre première et deuxième générations est universel et facilement compréhensible ailleurs ?
« Je l’espère. Ce n’est pas la même immigration par exemple en Allemagne, avec les Turcs. En France on a eu plusieurs vagues. Je pense que ça doit parler aux gens, l’Europe s’élargit, les populations bougent. Il se pose à un moment des problèmes d’intégration, des problèmes de racisme qui ressurgissent. C’était un peu une couleur du scénario du film. Le personnage principal (interprété par Sami Bouajila) n’est pas clair avec lui-même et avec ses origines. Il joue avec de temps en temps pour évacuer le débat. Dès qu’il y a un problème avec un voisin il balance cette carte du racisme pour clore le débat, mais le jour où le coach lui sort une phrase déjà entendue dans des partis d’extrême droite, ‘évacuer la vermine’, il se rend compte de tout ce qu’a pu vivre son père et c’est pour ça que sa réaction est violente. »Son prénom est violent d’une certaine manière : fils d’Algériens né en France, il s’appelle Christian et son frère s’appelle Patrick. Ce n’est pas involontaire
« Non ce n’est pas involontaire. J’avais envie que le personnage de Daniel Prévost se soit battu pour des choses aussi futiles que la participation à l’équipe de foot de l’usine. Ça a mis du temps, et il a tellement voulu devenir français qu’il a donné des prénoms français à ses enfants, pensant ainsi les couper de leurs origines. »
Quand vous venez à Karlovy Vary avez-vous l’occasion de voir des films ?
« Là ça va être dur, je parle très mal anglais en plus. Mais je regrette, je trouve que les photos des films sur la rivière sont magnifiques et donnent envie. Je reviens avec le catalogue pour essayer de voir comment les récupérer ou voir ce qui va être distribué en France. Il y a beaucoup de films qui donnent envie, dans les compétitions ou même dans les rétrospectives Petri et Friedkin. Ce sont des gens qui ont fait acquérir ses lettres de noblesses au 9è art – non au 7è art je voulais dire, le 9è c’est la BD, je confonds ! »