Pavel Macek : « Quand je suis à Limoges je fais des gravures de la Bohême, quand je suis à Prague, je fais des gravures du Limousin »

Limousin

Pavel Macek est un graveur d’origine tchèque qui vit en France, dans le Limousin, depuis les années 1970. Sa région d’adoption, mais aussi Prague et les paysages de Bohême comptent parmi ses sources d’inspiration, il a aussi l’imagination vagabonde et a choisi par exemple de représenter Franz Kafka dans des lieux et des situations incongrues. Il a également réalisé des livres de gravures qu’il publie à compte d’auteur... L’Institut français de Prague expose ses gravures jusqu’au 4 mars prochain. Rencontre.

« Je suis ébéniste de formation. J’aimais bien travailler le bois. Effectivement, je suis autodidacte, j’ai inventé une technique qui s’appelle ‘à bois perdu’. J’ai appris plus tard que c’était une technique qui existait. Mais je l’ai réinventée. »

En quoi consiste cette technique ?

« On utilise la même planche pour toutes les couleurs. Les gravures ont en général entre trois et sept couleurs. J’imprime d’abord la plus claire, et ensuite je retravaille la même planche. Donc c’est ‘à bois perdu’ parce que je ne peux pas réimprimer, au fur et à mesure le bois disparaît, à la fin il ne me reste de support que pour la dernière couleur, en général la plus foncée. »

Vous dites que c’est une technique originale. Comment cela se passe-t-il pour les autres gravures, pour que les auditeurs comprennent ?

« Il y a d’autres techniques où on prépare une planche par couleur, on fait un essai et si on est satisfait on imprime, si on n’est pas satisfait on ajoute une planche ou on modifie quelque chose et après on fait autant d’exemplaires qu’on veut. Avec ma technique, j’imprime une dizaine de feuilles, et dès que j’ai recommencé à travailler le bois pour la deuxième couleur, je ne peux plus en ajouter. A la fin je ne numérote que les épreuves qui sont réussies. »

Il faut réussir du premier coup...

« Oui, ça m’arrive de plus en plus souvent mais ça arrive que je sois à la troisième couleur et que je doive tout mettre au feu parce que je ne suis pas satisfait. »

C’est un travail de patience...

« Oui, pour moi... et pour mon épouse ! »

Combien de temps passez-vous à la confection d’une gravure ?

« Pour une grande gravure, environ une semaine. Disons, il faut compter une couleur par jour. J’y arrive en général mais en général ça traîne parce que je ne fais pas que cela. »

Pour revenir un peu sur votre parcours, vous disiez que vous aviez une formation d’ébéniste. D’où êtes-vous et comment vous êtes-vous retrouvé en France dans les années 70 ?

« J’ai une formation d’ébéniste mais je n’ai jamais travaillé comme tel. Pendant dix ans, j’ai travaillé à l’hôpital à Prague. Après j’ai connu mon épouse, on s’est marié et au bout de trois ans on est parti en France. On s’est d’abord installés à Grenoble d’abord où j’étais d’abord plus ou moins sans travail, puis j’ai trouvé du travail à l’hôpital de Limoges. On pensait que c’était pour six mois, et finalement et ça fait trente-deux ans ans qu’on s’y trouve. »

Allons voir ces gravures que vous exposez à l’Institut français de Prague, ce qui est frappant quand on regarde c’est qu’il y a énormément de thèmes qui sont consacrés à Prague. C’est votre source d’inspiration première ?

« Je pense qu’il y a autant de gravures de Prague que du Limousin. J’ai rarement fait ou jamais, des gravures de Limoges mais le Limousin, oui, notamment le plateau des Millevaches. Ca m’inspire beaucoup : les landes, les tourbières... Mais sinon, oui il y a des gravures de Prague. En général, quand je suis à Limoges je fais des gravures de la Bohême, de Prague et quand je suis ici, car je travaille à Prague de temps en temps, je fais des gravures du Limousin ou d’ailleurs. Mais il n’y a pas que ça, il y a d’autres sujets, il y a plusieurs gravures de la Roumanie, de la région du Banat. »

Précisons que le Banat est une région en Roumanie où se trouve une minorité tchèque jusqu’à ce jour...

« Tout à fait, c’est au Sud, au bord du Danube, où se trouvent cinq ou six villages habités par la population tchèque depuis 180 ans. »

C’est un endroit où vous vous rendez souvent ?

« C’est un endroit où je suis allé plusieurs fois, cinq-six fois. »

Pouvez-vous me montrer certaines gravures, chères à votre coeur, et me les décrire ?

« Je ne sais pas vraiment parler de mes gravures. Là, on est devant une série de gravures. Je ne l’ai pas faite spécialement pour l’exposition, je ne le fais jamais, je travaille tout le temps. C’est une série sur Franz Kafka, qui se ballade dans des endroits que les gens ne soupçonneraient même pas ! »

Par exemple ?

« Sur la première gravure, il marchande un tapis à un marchand de tapis à Marrakech. Personne ne se doute qu’il a nourri des pigeons dans les jardins du Luxembourg ! Je ne sais pas si les historiens apprécieraient ces gravures mais moi, c’est comme ça que je le vois... »

En tout cas, on sait qu’il a été à Paris réellement. Là on le voit en Turquie !

« On le voit acheter un verre d’ayran devant Sainte-Sophie à Istanbul. Ici, il y a une série qui est assez récente. C’est une série avec une technique nouvelle, j’aime bien changer. C’est toujours le ‘bois perdu’, mais c’est un peu plus colorié que ce que je faisais il y a dix ans. C’est une série sur la route. Il y a un homme avec une jeune fille, la deuxième c’est la traversée du désert et les tziganes assis au bord de la route. J’aime bien les séries, c’est pourquoi je fais aussi des livres, ce qui me permet de faire plusieurs gravures sur le même sujet. J’ai créé une collection qui s’appelle ‘Leçons de géographie’, sans prétention aucune mais ça me permet d’illustrer des régions que j’ai visitées. Je pense avoir fait 13 ou 14 livres dans cette collection. Il y a 5 à 12 gravures par livre. Le texte en général est gravé dans le lino parce que c’est plus facile mais c’est la même technique. »

Vous avez également illustré un livre qui s’appelle Le cirque Hippolythe, un ouvrage qui est le fruit d’une collaboration avec un auteur. Pouvez-vous me parler de ce projet ?

« J’ai un ami, Petr Pazdera Payne avec qui je voyage souvent dans le Banat ; il a écrit un très joli conte plutôt pour enfants, avec pour intention de l’illustrer avec mes gravures. Il m’a proposé le texte, j’ai fait neuf gravures et on l’a édité chez un ami qui a une maison d’édition à Zbraslav, qui s’appelle Cherm. »

Une édition qui est parue en français et en tchèque...

« C’est le seul livre paru en français et en tchèque dans cette maison d’édition. »

Quelles sont les qualités d’un bon graveur ?

« D’avoir une épouse patiente... Sans ça ce n’est pas possible. D’être soi-même patient parce que c’est très minutieux. C’est pour cela que de temps en temps je laisse la gravure et je fais de la peinture. Ceci dit, ce n’est pas plus facile mais ça peut être plus rapide parce qu’ici, avant d’imprimer la dernière couleur, je ne sais pas à 100% si je vais garder la gravure ou si je vais la jeter. Ca m’arrive rarement mais ça m’arrive que je ne sois pas content au milieu ou à la fin de l’impression. »

Cela doit être rageant...

« Mais en général quand je jette quelque chose, c’est déjà avec une autre idée. »

Et preuve que Pavel Macek n’est pas à court d’idée, il a tenu également à évoquer une autre forme de création qu’il a commencé à mettre en oeuvre...

« A part la peinture et la gravure, je fais également des boîtes mécaniques que j’espère exposer un jour à Prague. Ce sont des boîtes magiques. On regarde par une petite fenêtre, il y a une manivelle, on la tourne, on regarde à l’intérieur et il y a à peu près la même chose que je fais sur mes gravures c’est-à-dire un monde un peu fantastique. J’ai une vingtaine de boîtes, il y en a des petites qui marchent avec une manivelle, il y en a d’autres que j’ai montées sur le pied d’une machine à coudre. On fait tourner la roue avec les pieds et on regarde à l’intérieur... Ca peut être un cirque, un théâtre ou autre chose. C’est assez volumineux donc pour les exposer à Prague il faut avoir un espace. J’en ai six avec le pied d’une machine à coudre, il faut un mini-bus pour les transporter. J’ai d’autres boîtes qui font 50 sur 50. Ce sont des choses que j’ai exposées récemment en France. A la première exposition j’ai vendu quelques boîtes, mais après j’ai décidé que non, que je voulais les garder pour animer mes expositions. »