Petr Kral: Je ne me reconnais plus dans les villes mais plutôt dans le souvenir de ce que les villes étaient

Petr Kral

« Je suis un passant dans les villes, » dit le poète Petr Kral et en effet le paysage urbain est pour lui une importante source d'inspiration. Né en 1941 à Prague, il a vécu à partir de 1968 à Paris et est devenu poète tchèque de langue française. Influencé par le surréalisme, cet amateur du cinéma et de Buster Keton s'est mis à édifier une oeuvre poétique discrète qui se nourrit du quotidien et rafraîchit la réalité par un regard à la fois pénétrant et distant. Le poème n'est pas pour lui un simple objet esthétique à admirer, mais un moyen pour révéler quelque chose qui permet aux autres de repenser voire prolonger certaines expériences. Il publie successivement toute une série de recueils de poésies et de livres prosaïques qui reflètent entre autres ses nombreux voyages. Aujourd'hui Petr Kral vit de nouveau à Prague et ses rapports avec la littérature et la culture tchèque sont rétablis. Traducteur et auteur d'anthologies de poésie tchèque, il est un véritable ambassadeur de cette poésie en France. Ses livres, eux aussi, sont souvent publiés en français et en tchèque. Et les villes restent le thème privilégié de ses poèmes.

Quelles sont les villes qui ont joué un rôle important dans votre vie ?

« Prague et Paris, parce que ce sont les villes où j'ai vécu assez longtemps, mais aussi des villes que je visitais avec une certaine régularité, qui m'attiraient au point que j'y revenais presque tous les ans, des villes européennes notamment. Et je ne sais pas pourquoi beaucoup de ces villes commencent par un B, Bruxelles, Barcelone, Brno, par exemple. »

Qu'est ce qu'une ville doit avoir pour vous inspirer un poème ?

« Ah... N'importe quelle ville peut inspirer un poème. Le poème peut être inspiré par un instant. Mais les villes qui ont une attirance plus stable, plus permanente pour moi sont sans doute les villes qui gardent un mystère, j'allais dire un mystère dans leurs structures mêmes. C'est à dire les villes richement articulées avec différents quartiers, différents mondes qu'elles enferment et avec suffisamment de caractère, de couleur, même si cette couleur peut être le gris d'une certaine intensité. «

Vous êtes un passant urbain, comme vous dîtes. Etes-vous aussi un explorateur, quelqu'un qui cherche quelque chose de nouveau ? Quand vous vous promenez dans une ville, vous vous laissez tout simplement imprégner par cette ville ou vous avez déjà un certain objectif, vous voulez trouver quelque chose ?

« On s'invente des objectifs mais je pense que ce sont au fond des prétextes qu'on se créé pour pouvoir revenir dans la ville. J'ai un exemple : lors de mon premier - peut-être deuxième - séjour à Barcelone, je me suis installé dans une petite pension qui était juste en face d'un petit magasin que je me promettais d'explorer en détail pendant tout mon séjour. Mais j'ai constaté à la fin que je ne l'avais pas fait, et que le jour où je partais, le magasin était fermé, donc que je n'allais pas l'explorer cette fois-ci. Mais j'étais presque soulagé parce que je me disais que c'était un bon prétexte pour revenir dans la ville. »

Est-ce que vous ressentez quelque chose qu'on pourrait appeler 'nostalgie des villes' ?

« Actuellement oui, parce que ce qui m'attirait dans les villes disparaît progressivement comme de la neige qui fond au soleil. Depuis quelques années, depuis disons une quinzaine d'années, les villes sont de plus en plus uniformes, elles perdent, ce qui est encore pire, leur côté rafistolé, deviennent non seulement uniformes mais aussi unies, se ressemblent les unes aux autres. Elles se ressemblent aussi à l'intérieur, un quartier s'approche de l'autre. En plus on les remet à neuf de façon à effacer dangereusement les traces de la mémoire qui sont un des premiers attraits de la ville. Bref je ne me reconnais plus dans les villes mais plutôt dans le souvenir de ce que les villes étaient. Et je crois que je ne suis pas seul, que même les touristes qui achèvent la destruction des villes, ne trouvent même plus les traces du passé qu'ils viennent chercher. »


Vous avez récemment publié un recueil qui s'appelle « Enquête sur des lieux », y est-t-il aussi question de villes ?

« Ce n'est pas un recueil, c'est une prose, même si elle comporte aussi quelques poèmes en supplément. Les villes sont importantes dans ce livre. C'est une sorte de trajectoire que je trace, des premiers lieux qui m'ont marqué jusqu'à d'autres qui sont plus récents, et ce sont presque toujours des lieux urbains. Pas seulement des maisons mais aussi des entrepôts, des hôtels, parfois de simples vitrines mais c'est pour la plupart dans les villes que cela se passe. »

Peut-on être plus concret? De quelles villes s'agit-il ?

« Il y a Prague et Paris forcément, Paris où j'ai écrit ce livre. Mais il y a aussi un troisième P, cette fois Pilsen-Plzen où j'ai fait mon service militaire, et où, pour me libérer, pour respirer un peu plus librement que les casernes ne me le permettaient, je me suis inventé quelques explorations urbaines particulièrement troublantes peut-être. »

Vous avez vécu à Prague, puis vous êtes parti pour Paris, et puis vous êtes revenu à Prague. Comment expliquer ce grand retour ?

« Il n'y a pas tellement de mystère ou alors je l'ignore moi-même. Le temps avait mûri suffisamment pour que, un jour, je sente que ce retour était devenu naturel. Mon départ s'est fait avec une spontanéité semblable à celle, avec laquelle, il y a de longues années, j'avais pris la route de Paris. Je n'ai pas vraiment réfléchi, sinon pour des raisons pratiques, pour organiser mon déménagement. Je fais assez confiance à ces intuitions qui m'ont guidé pendant toute mon existence. »

Vous n'avez pas la nostalgie de Paris, maintenant ?

« Non, cela va peut-être venir, ça va venir sûrement pour certaines choses, mais dans l'ensemble je ne peux pas le dire, non. Je réapprend à vivre à Prague, ça m'occupe suffisamment, j'y trouve aussi suffisamment, comment dire, de points d'attrait ou d'attraction, donc je suis suffisamment occupé par Prague pour penser trop à Paris. »

La seconde partie de l'entretien avec le poète Petr Kral sera diffusée dans cette rubrique samedi prochain.