Petr Vaclav : « Cesta ven parle aussi des problèmes de l’Europe »
Le mois dernier, « Cesta ven », le film de Petr Vaclav a littéralement raflé les prix de la cérémonie des Lions tchèques, récompensant les meilleurs œuvres cinématographiques. « Cesta ven », qui a été présenté en première au dernier festival de Cannes dans la section ACID, l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion, est alors devenu le dernier long-métrage tchèque présenté sur la croisette depuis 1998. Traduit en français par le nom de l’héroïne, « Žaneta », le film, qui relate l’histoire d’une jeune mère rom qui refuse d’accepter un statut social désavantageux et qui tente de construire une vie meilleure pour elle-même et sa fille, sortira également sur les grands écrans français le 6 mai prochain. Petr Vaclav, qui vit en France depuis 2003, est revenu au micro de Radio Prague sur cette aventure cinématographique et humaine, mais pas seulement.
Le film « Cesta ven » part à la découverte de la communauté rom
Votre film a été récompensé par sept Lions tchèques, dont notamment la meilleure réalisation et le meilleur scénario. Quelles ont été vos réactions pendant et après la cérémonie, vous y attendiez-vous ?« Non, on ne s’attendait pas à cela. On a bien entendu été contents. J’ai voulu faire un film sur des gens assez méconnus, et peu aimés, les Rom, que j’ai réussi à trouver, parfois même dans les bas-fonds de la République tchèque. J’ai réussi à les magnifier sur écran et j’ai réussi à porter l’actrice principale, Klaudia Dudová, qui a obtenu le prix du Lion. C’est une cérémonie très suivie, transmise en directe. Donc nous avons été contents pour le sujet, pour nous, mais surtout pour le sujet. On a été content d’avoir pu porter les Rom au-devant de la scène. »
Comment vous est venue l’idée, d’écrire un scénario sur la communauté rom, qui est souvent stigmatisée en République tchèque ?
« C’était assez simple. J’ai fait mon premier film Marian, il y a longtemps de cela (1996, ndlr) sur un enfant qui grandit à l’assistance publique. C’est un film qui raconte l’histoire assez exemplaire d’un destin d’un Rom de l’époque communiste, donc d’un enfant qui est plus ou moins pris de force par l’assistance publique, qui est obligé de grandir dans des orphelinats et dans les maisons de correction, et qui finit par vivre en prison, parce que c’était un peu ça le chemin obligatoire. Maintenant, j’ai eu envie de raconter ce qui est arrivé aux Rom de nos jours, dans ce monde post-industriel, où ils ont perdu leur travail. Comme il n’y a plus de logements HLM en République tchèque, les Rom ont été progressivement forcés à partir dans de nouveaux ghettos en ce début du millénaire. J’ai donc trouvé tout cela révoltant. Je suis allé en République tchèque pour me documenter un peu et j’ai assez rapidement écrit le scénario. Je suis allé à la recherche d’acteurs, donc les non-acteurs, ce qui était plus difficile. J’ai fait sept mois de casting sauvage. Je crois que grâce à cette petite histoire, que j’ai avec les Rom depuis le lycée, j’ai pu arriver à vraiment bien les comprendre et parler d’eux ni sans romantisme, ni sans condescendance, ni sans haine qui accompagne souvent le regard de la société majoritaire. »
« Les Rom m’ont intéressé depuis toujours. Quand j’ai grandi en Tchécoslovaquie c’était un pays fermé, c’était encore le rideau de fer. On ne pouvait pas voyager, on ne voyait quasiment pas d’étrangers. Les gens de couleur, ça n’existait pas ici. Donc les Rom représentaient une altérité excellente, la seule altérité visible. Et en même temps une altérité avec laquelle on ne parlait pas, c’était comme une loi non dite. On ne parlait pas aux Rom. On les voyait, par exemple, travailler dans des excavations, dans la rue, souvent au sol, car ils réparaient les trottoirs ou creusaient des trous pour l’électricité, pour les lignes de téléphone. Ils étaient là, sans que l’on puisse les approcher. Donc, c’est pour cela, je crois que le destin de ces inconnus m’intéressaient, m’intriguaient. »
De quelle façon s’est déroulé le tournage ? Où avez-vous tourné ?
« On a tourné à Ostrava, qui est une ville minière ou plutôt ancienne ville minière, parce que les mines ferment. Je pense qu’il n’y a plus beaucoup de mines qui fonctionnent encore, même si toujours un peu. Mittal n’est pas encore parti ailleurs, comme cela est arrivé en France. Mais c’est donc quand même une région en perte de vitesse. C’est une région qui vit le contexte de la mondialisation, que nous connaissons aussi bien ici, qu’en France ou ailleurs. J’ai donc amené à Ostrava les acteurs, que j’avais déjà trouvés auparavant un peu partout en République tchèque. Et sur place nous avons également trouvé d’autres Rom, que l’on voit dans le film.»Un long-métrage porté sur les épaules de non-acteurs
Comment avez-vous trouvé l’héroïne de votre film, qui a donc notamment été récompensée du prix de la meilleure actrice, et dont « Cesta ven » a été le premier film ?
« Klaudia Dudová, je l’ai trouvée lors d’une fête rom du vendredi soir. Je suis allé à cette fête parce que je savais qu’elle aura lieu dans une ancienne maison de culture. C’était une grande fête avec près de 500 à 600 personnes. J’ai parlé aux gens là-bas, je leur ai expliqué que je n’étais pas un espion. Ils m’ont très bien accepté. J’ai donc trouvé Klaudia Dudová, je l’ai photographiée. Mais cela a pris du temps, car comme elle n’avait jamais eu l’idée de faire du cinéma, elle avait un peu peur. On a discuté, il a fallu se connaître un peu, bien expliquer le projet. Et finalement, elle a été très contente. Elle a d’ailleurs dit une chose qui m’a beaucoup amusé. Elle a dit qu’au début elle détestait la caméra, elle en avait peur, mais qu’elle s’était trompée parce qu’au final elle a compris que la caméra était sa meilleure copine. Il y a ce magnétisme qui s’opère entre l’acteur et la caméra, et Klaudia a cette aisance devant l’objectif. Elle a aussi cette ambition de plaire à la caméra. Tout le monde ne l’a pas. »
Le 6 mai, votre film Cesta ven, sortira en distribution dans les salles de cinéma françaises. Quel est le message que vous voulez passer pour inviter le public français à venir le voir ?
« Question difficile. C’est une histoire sur les Rom tchèques et sur une femme en particulier. Donc cela leur permettra de découvrir le monde rom qui est intéressant. Même si ce ne sont pas des Rom tchèques, mais des Roumains ou des Bulgares, qui viennent de nos jours en France, je pense que les Rom sont un sujet d’actualité aujourd’hui, et c’est bien de mieux connaître d’où ils viennent, comment ils sont, quels sont leurs problèmes, leur mentalité, leur âme. Au-delà je pense que c’est un film qui parle aussi des problèmes de l’Europe d’aujourd’hui, c’est-à-dire la mondialisation, le départ des industries, la perte du travail, la montée des idées d’extrême droite aussi. Je crois qu’avec tout cela, le film peut parler assez bien aux Français. Ce n’est pas un film éloigné ou exotique. »Pour plus de soutien au cinéma tchèque
En République tchèque, Cesta ven a réalisé environ 5 000 entrées, mais a récemment fait son retour dans les salles. Est-ce que le fait d’avoir été récompensé a contribué d’une certaine façon à cette réintroduction dans les salles, et est-ce que le regard du public et des médias sur le film a changé ?
« Non je ne crois pas. Il faut dire que le destin de ce film est paradoxal. On a beaucoup écrit sur ce film, on a beaucoup parlé de ce film. Il est vrai qu’aussi grâce aux prix que l’on a eus, on a déclenché d’une certaine manière un débat sur la question. Le film était très peu vu au cinéma, mais il a été beaucoup vu à la télévision, avec des scores assez impressionnants. Le fait que le film n’ait pas été beaucoup vu au cinéma, je pense que cela démontre plutôt la manière de consommation du cinéma des Tchèques. Paradoxalement, le film a été beaucoup vu sur Internet, sur Youtube. Il échappe à notre contrôle, donc il a été beaucoup vu sur des réseaux clandestins gratuits. Je crois qu’il n’a pas été peu vu finalement. Comme je dis, Internet et la télévision ont donné une bonne visibilité au film. Mais on reste toujours dans ce paradoxe, dans la mesure où on parle du film mais on ne le connaît pas forcément. On reçoit énormément de commentaires de félicitations de la part de gens qui sont contents pour nous, parce qu’on a eu les prix. Mais ils n’ont jamais vu le film, c’est quand même incroyable. On voit aussi que la société aime recevoir des sujets, des thèmes, et en parler sans forcément connaître le film. Je ne dis pas que ça me fait plaisir, mais c’est comme ça. C’est la réalité. »
Qu’est-ce qui selon vous peut bousculer le cinéma tchèque vers quelque chose de plus ambitieux ? Dans la mesure où rares sont les films qui sont projetés à l’étranger, on ne les recherche pas tellement..
« Je crois qu’il y a des talents, il y a des idées, mais ce qui manque ici, c’est quand même le financement du cinéma, le soutien du cinéma, c’est aussi le nombre de salles, d’écrans. Je pense que comme ce pays ne s’est pas battu pour le cinéma depuis 1989, depuis 25 ans. Les financements ont été chaotiques, réduits. Tout le système de cinéma fonctionne mal, même si nous avons maintenant le Fonds pour le cinéma. C’est un environnement qui n’aide pas les auteurs, qu’ils soient jeunes ou âgés, à bien fonctionner. Après on ne peut pas tout mettre sur le compte du système et de l’argent. Mais comme on ne peut pas prévoir de miracles, la moindre chose serait de faire fonctionner le système. Ce sera déjà un premier pas pour aider le cinéma. Cela se situe aussi entre l’argent et le climat au sein de la société. Je ne sais pas pourquoi, le climat n’est pas favorable. On parle trop de la politique ici. On a encore une culture plutôt insulaire en République tchèque. C’est un pays fermé, encore aujourd’hui. Après, il y a des cinéastes, des gens qui ont envie de faire des choses, mais il faudrait aussi les soutenir. »Vous qui vivez à bascule, entre la France et la République tchèque, entre Paris et Prague, est-ce qu’il est pour vous plus simple de tourner des films en France ou en République tchèque ?
« Tout dépend du sujet, de vos désirs, de vos possibilités de faire un film, de vos possibilités d’avoir le financement. Mais au-delà de ça, je suis binational. Je peux travailler aussi bien ici que là-bas, voire ailleurs. »
Tournons-nous vers l’avenir. Quels sont vos projets à long et court terme ?
« Je termine à l’heure actuelle un film documentaire sur un compositeur tchèque, Josef Mysliveček, qui a été l’auteur le plus prolifique de l’opéra italien des années 70 du XVIIIe siècle et qui était très connu, très fashionable à l’époque, mais oublié depuis. C’est un auteur sur lequel j’ai travaillé quand j’étais pensionnaire à la villa Médicis et sur qui je veux aussi tourner un long-métrage, avec costumes et bougies, donc un film de fiction. Pour préparer ce gros film-là, j’ai donc d’abord voulu faire un documentaire sur lui. Et on termine également un film, que l’on a tourné cet été en Tchéquie, et qui s’appelle « Nous ne sommes jamais seuls ». D’ailleurs Klaudia Dudová y joue un rôle. C’est une histoire où je mélange deux Rom, qui ont joué dans Cesta ven, avec des acteurs tchèques connus. Je crois que cela donne un résultat assez intéressant. Nous sommes maintenant sur le point de clore le montage. »