Près de deux siècles de présence tchèque dans le Banat roumain
Dans l'émission d'aujourd'hui, nous allons exceptionnellement quitter le territoire de la République tchèque pour nous rendre à des centaines de kilomètres plus à l'est, en Roumanie, et rencontrer les membres de la minorité ethnique tchèque du Banat.
C'est dans cette région du Banat, aujourd'hui sur le territoire roumain près de la frontière serbe, que des dizaines de familles venues de Bohême se sont installées il y a près de deux siècles. Cette semaine, nous allons à la rencontre des descendants de ces émigrés, toujours fiers de leur identité tchèque, et qui ont su préserver leur langue et leurs traditions au fil du temps.
« Je pense qu'à chacune de nos visites présidentielles, nous nous devons de rencontrer non seulement les représentants officiels de la Roumanie mais aussi avec la communauté tchèque. En 1993, j'étais déjà venu en tant que Premier ministre, et je me souviens qu'avec mon épouse nous avions alors réalisé qu'il existait ici une communauté tchèque remarquable. Et nous avions déjà à l'époque discuté de l'aide à apporter à vos villages éloignés, de l'amélioration des routes qui y mènent, et j'espère que nous avons pu aider un petit peu. »
C'était le président de la République tchèque, Vaclav Klaus, lors de sa visite officielle à Bucarest le 11 juillet. Ce jour-là, une quinzaine de représentants de la communauté tchèque avait fait le déplacement depuis le Banat jusqu'à la capitale roumaine, un voyage d'une dizaine d'heures.Pourtant, le voyage et la chaleur n'ont pas entamé la bonne humeur de tous ces Tchèques de coeur, qui ont accueilli « leur » président à l'ambassade avec de la slivovice locale, des gâteaux cuisinés selon une vieille recette de Bohême, le tout au son de la musique de l'orchestre Bohemia et avec des costumes traditionnels.
« Ce sont des gâteaux tchèques, dont la recette a été amenée de Bohême par nos arrière-grands-mères. C'est important pour nous de conserver les traditions, cela nous permet de renforcer notre identité tchèque. Nous les transmettons à nos enfants ; deux cents ans que cela dure, et on espère que cela va durer encore. »
Alena Gecse veut rester optimiste. Elle enseigne à l'école de la ville de Moldova Noua et connaît bien l'histoire de la minorité tchèque dans la région du Banat. Avec son mari historien, ils ont écrit un livre sur le sujet. Il y a environ deux cents ans, le Banat, province de l'empire austro-hongrois, était une région partiellement inhabitée. Seules des garnisons militaires y avaient pris position pour protéger l'empire contre d'éventuelles attaques ottomanes.Petit à petit, l'administration militaire austro-hongroise a commencé à faire venir des colons pour peupler la région. Allemands du Palatinat et de Saxe rejoignent les Alsaciens et les Lorrains envoyés par Marie-Thérèse dans la plaine du Banat. Les terrains accidentés entre le Danube et la rivière Nera restent sauvages mais un riche entrepreneur du nom de Magyarly a l'idée d'envoyer des agents en Bohême, chargés de recruter de la main d'oeuvre pour travailler sur cette terre.
« Ils ont réussi à convaincre beaucoup de gens en leur promettant des terres, des greniers, du bois gratuit pour construire leur maison, des exonérations fiscales pour une durée de dix ans, et des dispenses de service militaire. C'était un peu la terre promise pour les familles de Bohême, allemandes et tchèques. Certaines ont pris la route, mais en arrivant sur place après ce long voyage, les gens ont réalisé que c'était loin d'être le paradis promis. Ils ont d'abord dû se creuser des sortes de huttes dans la terre, et y habiter jusqu'à ce qu'ils se construisent des petites maisons en bois et le premier village, Svata Helena en 1823. Puis il y a eu une deuxième vague d'émigrants de Bohême et cinq autres villages ont été fondés : Svata Elizabeta, Gernik, Eibental, Bigr, Rovensko et Sumice. »Ces villages sont ethniquement homogènes et composés uniquement de descendants de Bohême. Emil Flaska est du village d'Eibental, où vivent 500 personnes d'origine tchèque, selon un dernier recensement :
« Les traditions se perpétuent d'autant mieux dans le Banat que nos villages sont isolés. Nous sommes dans les collines, il est difficile d'accéder aux villages, mais les traditions restent. Pendant des fêtes, on essaie de faire en sorte que les Tchèques des villages du Banat travaillent ensemble et se rencontrent. »
Dans d'autres villages de la région, communautés tchèque, roumaine et parfois serbe cohabitent. Petr Lubas vient d'un de ces villages multi-ethniques du bassin danubien :
« Je viens de la commune de Lubkova, sur les bords du Danube. Nous vivons tous ensemble avec des Roumains et des Serbes et les Tchèques sont des pêcheurs. Et puis on a notre église. On a aussi 22 maisons, et nos enfants vont dans une école serbe, mais je me suis arrangé pour qu'ils aient des cours de tchèque au moins deux heures par semaine pour qu'ils l'apprennent bien. Et puis on se retrouve souvent entre Tchèques de la région. En septembre, il y aura une kermesse à Lubkova, tout le monde viendra ici, et puis nous irons chez eux. »Mais à cause de cet isolement et de la mauvaise situation économique dans la région, l'avenir des villages tchèques du Banat n'est pas assuré, et jeunes et moins jeunes ont tendance à partir vers les villes et surtout vers la République tchèque pour y trouver une vie meilleure.
Selon les estimations, il ne reste qu'entre 2000 et 3000 personnes d'origine tchèque dans le Banat, des « krajane » comme on les appelle à Prague, une expression qu'on pourrait traduire en français par « compatriotes », même s'ils sont citoyens roumains. Nous reviendrons dans quinze jours sur les problèmes de cette petite communauté qui disparaît peu à peu.