Rencontre avec Kristina Vlachova, une grande dame du film documentaire tchèque

Kristina Vlachova
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"Ce que doit faire, premièrement, une nation, c'est de mettre de l'ordre dans son esprit. Et appeler le mal par son nom. Un mal non dévoilé, non expliqué et excusé, est capable de produire d'autres maux. Il est plus important de bien savoir ce qui est infâme, que de punir des coupables. C'est une lutte pour l'esprit de la nation." Ces propos du journaliste et écrivain tchèque Ferdinand Peroutka sont le leitmotiv des films documentaires de Kristina Vlachova, sur les crimes du communisme non châtiés. Fin février, la réalisatrice en a présentés quelques-uns au public pragois, à la Bibliothèque municipale, lors d'une rencontre-débat à l'occasion du 57e anniversaire de la prise du pouvoir par les communistes, dans l'ex-Tchécoslovaquie.

Kristina Vlachova
...Un extrait du documentaire de Kristina Vlachova "Un petit poisson" sur Jaroslav Daniel, le premier enquêteur de l'ancienne police d'Etat communiste (StB) des années 1950 à avoir été condamné, en 1997, à une peine de prison. Des années 50, période des plus dures persécutions communistes, Kristina Vlachova en garde des souvenirs d'enfant. Elle se rappelle surtout du fameux procès politique des hauts responsables du parti communiste, dont Rudolf Slansky, condamné, avec dix autres personnes, à mort.

"Avant, je m'appelais Slanska, mon père était Jan Slansky. Tous les jours, à l'école, notre maître m'interrogeait sur mes parents, en pensant que Rudolf Slansky était de notre famille, mon oncle ou quelque chose comme ça. Moi, je ne comprenais rien à tout cela et j'avais très peur que mon père se fasse aussi exécuter uniquement à cause de son nom. A la maison, on parlait très ouvertement. J'entendais mon père dire que Staline était un voleur des trains, qu'il était pire que Hitler. Ma mère était très touchée par le destin de Milada Horakova, elle me disait : tu vois, les nazis ne l'ont pas pendue, et les communistes l'ont fait, une femme intelligente, courageuse et mère de famille. Mais elle ajoutait : à l'école, tu te tais, sinon, ils mettront papa en prison. Voilà le milieu dont je suis issue."

Jeu de la pomme
Cinéaste et scénariste, Kristina Vlachova collabore à plusieurs films remarqués, notamment au Jeu de la pomme de Vera Chytilova, sorti en 1976. La chasse aux signataires et sympathisants de la Charte 77 déclenchée, elle se voit coupée de l'univers du cinéma, jusqu'à la chute du régime. Après la révolution, Kristina Vlachova se met de nouveau derrière la caméra, pour tourner une série de documentaires, projetés aujourd'hui presque uniquement dans des festivals. Leur thème phare : les exactions et horreurs du communisme, dans les années 1950 notamment. Lorsqu'il y a quelques semaines, un groupe d'artistes engagés a lancé la pétition "Excluons les communistes" visant à interdire la propagation des symboles et de l'idéologie communistes, Kristina Vlachova n'a pu que les soutenir :

"Je trouve cette initiative très sympathique. Moi aussi, j'ai signé cette pétition, quoique... je ne veux pas dire qu'il soit trop tard pour faire une chose pareille, ça non. Je suis d'accord avec l'écrivain Ivan Klima, qui a dit à la presse que c'est comme si, en Allemagne, le NSDAP était toujours un parti politique légal, comme si on était autorisé à arborer la croix gammée. Avec le communisme, le KSCM et l'étoile rouge, c'est pareil. Il suffit d'aller sur les pages web du Parti communiste de Bohême et de Moravie, et on comprend que c'est toujours le même parti, qu'il n'a pas changé. Mais les gens ne le feront pas, tout le monde n'y a pas accès, et puis, ça ne les intéresse pas. Chez les jeunes, ça se comprend. Il est tout à fait normal qu'ils soient préoccupés par leurs histoires d'amour, qu'ils soient insouciants et heureux. Mais moi, je suis vraiment désespérée par la situation politique dans notre pays..."

Désespérée, Kristina Vlachova n'en a pourtant pas l'air. Ceux qui ont la chance de la côtoyer vous le confirmeront : malgré la gravité du sujet traité dans ses films, elle a un sourire permanent aux lèvres. Plus rare encore chez une Tchèque, elle ne se plaint de rien, alors qu'elle en aurait mille et une opportunités : si en République tchèque, le documentaire souffre, les films politiquement engagés que tourne Kristina Vlachova sont encore plus difficiles, peut-être, à financer. Depuis dix ans, la réalisatrice recueille du matériel sur un des chapitres les plus sombres de l'histoire tchécoslovaque, et tchèque : les activités, dans les années cinquante, à Uherske Hradiste, en Moravie du sud, d'un groupe d'enquêteurs de la police d'Etat, Alois Grebenicek en tête. Le père de l'actuel président du parti communiste, et ses collaborateurs, auraient torturé les détenus politiques à l'aide d'électrochocs. Alois Grebenicek, décédé en juillet 2003, a passé les dernières années de sa vie dans sa villa d'Uherske Hradiste, en se reposant, la plupart du temps, dans son jardin verdoyant, et en discutant, de temps à autre, avec des journalistes, venus le filmer derrière la clôture. Poursuivi, pendant plusieurs années, en justice, son jugement a toujours été reporté en raison de son mauvais état de santé. Le verdict n'a jamais été prononcé...

Kristina Vlachova ne se lasse pas de recueillir des témoignages sur l'affaire, de se poser des questions, de chercher la vérité... Tout cela en attendant que la Télévision tchèque lui accorde l'argent nécessaire pour la réalisation du film. "Plus longtemps ça dure, plus le film est intéressant", dit elle. Enfin, Kristina Vlachova semble avoir trouvé sa terre promise en Slovaquie : depuis un an, elle travaille au sein de l'Institut slovaque de la mémoire, institution qui fait défaut en République tchèque... Parallèlement, elle y réalise une quinzaine de documentaires sur les crimes du communisme.

Auteur: Magdalena Segertová
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