Slovaquie : des élections importantes pour l’avenir des relations avec la Tchéquie

Scrutin très scruté ce samedi en Slovaquie voisine : les élections législatives anticipées s’annoncent cruciales pour la future orientation du pays.

« La guerre en Ukraine n’a pas commencé hier, elle a commencé en 2014 quand les nazis et les fascistes ukrainiens ont tué des Russes dans le Donbas et à Luhansk » : les mots employés par Robert Fico à la tribune lors d’un récent meeting à Nitra en disent long sur son positionnement pendant une campagne électorale où l’invasion russe de l’Ukraine voisine a été l’un des principaux sujets débattus.

Robert Fico | Photo: Bureau du Gouvernement tchèque

Pour celui qui a déjà été Premier ministre pendant 10 ans, il est hors de question de continuer à aider militairement l’Ukraine, s’il parvient à reprendre le poste dont il a dû démissionner après le choc provoqué par les assassinats en 2018 du journaliste Ján Kuciak et de sa compagne.

La rhétorique de Robert Fico suscite des craintes à Prague, où le soutien à Kyiv est une constante depuis février 2022, pour la coalition gouvernementale en place ainsi que pour le nouveau chef de l’Etat, Petr Pavel, qui n’a pas caché que les relations avec Bratislava pourraient être mises à mal par le retour au pouvoir d’un homme « qui voit différemment certains sujets fondamentaux ».

Dans une vidéo postée en réponse, Robert Fico a critiqué cet avertissement lancé par le président tchèque et indiqué que le fait qu’il soit défavorable aux sanctions prises contre la Russie ainsi qu’à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ou bien qu’il ait pris position contre la livraison d’armes à l’armée ukrainienne n’étaient que de potentiels choix souverains de la Slovaquie qui ne pouvaient remettre en cause les excellentes et extraordinaires relations avec la Tchéquie, en ajoutant que « l’Union européenne ne devrait pas suivre les intérêts américains aveuglément et sans critiques ».

Une future alliance entre Viktor Orban et le gouvernement slovaque ?

Co-fondateur du think-tank Euro Créative basé à Bratislava et à Paris, Romain Le Quiniou estime que ce scrutin slovaque - et les négociations post-électorales -peuvent déterminer si la Slovaquie va suivre ou non le même chemin que la Hongrie de Viktor Orban, pour l’instant isolée au sein du groupe de Visegrad (V4) qui regroupe aussi la Pologne et la Tchéquie :

Romain Le Quiniou | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

« Je pense que c’est encore assez flou. La chose qu’on peut dire aujourd’hui est que d’un côté on a les Tchèques qui sont assez effrayés par ce qui pourrait se passer à la fois en Slovaquie et en Pologne, avec de l’autre côté les Hongrois qui sont impatients de voir une victoire de Robert Fico. Force est de constater que les élections slovaques sont pour Viktor Orban la possibilité de sortir de son isolement au sein du V4. »

« Cela dit, il faut attendre de voir si Fico gagne véritablement, quelle coalition sera formée par son parti Smer et quelle orientation elle aura. Sera-t-elle pro-Orban ? Sera-t-elle modérée ou non ? Cela reste à voir. »

« En Pologne, le PiS est en position de gagner les élections d’octobre mais aura de grandes difficultés à former une coalition. Le gouvernement actuel a des positions controversées par rapport à l’Ukraine, tout simplement pour mobiliser son électorat et essayer peut-être de diminuer le soutien à la Konfederacja d’extrême-droite. »

Vous faites référence ici à la controverse liée à l’interdiction de céréales ukrainiennes, qui concerne également Slovaquie et Hongrie…

« Absolument. Et à Prague cela pose un gros problème parce qu’on sait que la position de Bratislava ne sera pas celle de ces derniers mois. La Tchéquie a été l’un des pays leaders pour le soutien à l’Ukraine et pouvait compter sur le soutien de Varsovie et Bratislava, avec des déclarations parfaitement claires d’aide à l’Ukraine, à ses réfugiés et au bloc occidental. Cela pourrait se compliquer si on avait une alliance entre Orban et un futur gouvernement slovaque et une Pologne moins vocale et claire sur ses relations extérieures. »

M. Fico soutenu par MM. Klaus et Zeman

De Prague, ce sont les deux anciens présidents considérés comme russophiles, MM. Klaus et Zeman, qui ont très concrètement apporté leur soutien à Robert Fico ces derniers jours, tandis que selon le président en exercice M. Pavel, ancien dirigeant de l’OTAN à Bruxelles, son retour au pouvoir à Bratislava pourrait compliquer les relations tchéco-slovaques. Le chef de la diplomatie hongroise vient encore de s’afficher à New-York avec son homologue russe, qui lui a déjà remis une distinction d’État dans le passé, et cette attitude a creusé un véritable écart entre Varsovie et Budapest. La relation à la Russie devient-elle l’unique critère pour un groupe cohérent au centre de l’Europe ?

« Je ne pense pas que cela devienne l’unique critère. Le groupe de Visegrad a toujours été un sujet de fantasme politique, notamment en Europe occidentale, sur sa puissance. Le V4 a été utilisé depuis son origine pour coordonner les transitions économique et démocratique. Il a notamment permis à la Slovaquie de passer ce moment difficile pendant le gouvernement dirigé par Vladimír Mečiar pour coordonner les adhésions à l’OTAN et à l’UE. »

Bratislava | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

« Ensuite, il y a eu un véritable fait d’armes du V4 qui a été la coordination des positions sur la crise migratoire en 2015. Du point de vue de ces pays cela a été un vrai succès. En dehors de ce sujet, les quatre pays ne sont pas vraiment parfaitement coordonnés. Aujourd’hui on parle surtout de la Russie parce qu’il y a des visions irréconciliables entre les gouvernements actuels, mais les choses peuvent changer aussi, notamment donc en Slovaquie. On peut s’attendre aussi à des rapprochements de vue sur une future potentielle crise migratoire, notamment au niveau des quotas. Cela risque d’être très compliqué pour Prague de tenir une position de coopération avec Bruxelles. Cela a été fait cette année en laissant la Tchéquie en dehors des quotas en raison du nombre très important de réfugiés ukrainiens. »

« Ce qu’on peut dire de manière générale est que c’est très peu souvent que les quatre États du V4 sont alignés sur des enjeux à fort intérêt politique. À voir aussi ce qu’apportent les élections européennes de l’année prochaine de ce point de vue-là. »

Le groupe de Visegrad, « une coquille vide »

Le journaliste français Vivien Cosculluela est basé à Bratislava, où il travaille pour la version slovaque de Forbes après avoir été notamment rédacteur en chef adjoint du quotidien économique Hospodarské noviny :

« Certains partis, surtout du côté du gouvernement actuel ou du côté progressiste, considèrent les Tchèques comme des alliés et si on se déplace sur le spectre politique du côté de Robert Fico et de partis regroupés autour de lui, là c’est plutôt la Hongrie d’un point de vue politique et aussi la Pologne dans une certaine mesure. Le V4 est un peu une coquille vide, assez faible d’un point de vue politique malgré des sommets réguliers. Je pense que pour la population slovaque ce n’est pas un réel sujet de discussion. »

Dans cette campagne électorale, Robert Fico a joué à fond la carte anti-LGBT, anti-ONG, anti-migrants et anti-OTAN, prônant aussi la fin des sanctions contre la Russie. Si d’aventure il revenait au pouvoir à Bratislava, est-ce exagéré d’affirmer que Viktor Orban aurait un nouvel allié au sein de l’Union européenne ?

Bratislava | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

« Je pense que c’est la réalité, ils seront alliés. Ils se sont toujours compris, la rhétorique, la manière de fonctionner et les attentes de leurs électeurs sont assez semblables. Le passé historique très différent fait qu’il y a encore un problème avec la « Grande Hongrie » donc il y a certaines différences. Le sud de la Slovaquie avec une forte minorité magyare pourrait provoquer des différends, mais à part ça la politique anti-progressiste ou anti-LGBT en fera des alliés au sein de l’UE. »

Si Smer parvient à former une coalition, faut-il s’attendre à ce que Slovaquie et Tchéquie prennent des chemins différents ?

« Je remarque chez les journalistes tchèques qui connaissent bien la situation politique slovaque une sorte de peur de ce qui pourrait se passer à Bratislava. Mais je pense que si Robert Fico n’arrive pas à mettre en place une majorité au parlement et donc un gouvernement, au contraire les deux pays se rejoindront car ce sera au Parti Slovaquie progressiste (Progresívne Slovensko-PS) de former un gouvernement. »

Slovaquie et Tchéquie très interconnectées

Ivan Štefunko est le fondateur de Progresívne Slovensko, un parti pro-européen favorable à la poursuite du soutien à l'Ukraine voisine, au coude-à-coude avec Smer dans les derniers sondages :

« On a eu des succès dans le passé : on a fait élire la première femme et la première écologiste à la présidence de la République, on a gagné à deux reprises la mairie de Bratislava et nos candidats ont fait beaucoup pour faire appliquer nos principes. Mais on a aussi eu une mauvaise journée il y a près de quatre ans avec 926 voix qui nous ont manquées pour obtenir les 7% nécessaires à notre coalition…  Samedi on a une nouvelle chance et j’espère qu’on va faire mieux. »

« La Tchéquie et la Slovaquie sont de jeunes pays et les démocraties post-communistes ne sont toujours pas très stables où les idéologies ne jouent pas un rôle d’ancrage – les électeurs peuvent changer leur choix d’un scrutin à l’autre. Parfois, les Tchèques sont plus modernes, parfois c’est nous comme avec notre présidente Zuzana Čaputová : elle est admirée en Tchéquie et l’était d’autant plus avec l’ancien président en fonction à Prague. »

Ivan Štefunko | Photo: Alexis Rosenzweig,  Radio Prague Int.

« On est très interconnecté et on suit bien la politique tchèque en priorité ici, comme la politique slovaque est bien suivie en Tchéquie. J’ai vu un sondage dans lequel l’actuel président tchèque Petr Pavel était l’homme politique étranger le plus respecté en Slovaquie. Je crois qu’Emmanuel Macron était en troisième position. »

Le président de votre parti, Michal Šimečka, a été reçu au début du mois par Emmanuel Macron à l’Elysée. Progresívne Slovensko et le parti fondé par le président français sont dans le même groupe, Renew Europe, au parlement européen. Robert Fico est quant à lui dans le groupe qui s’appelait auparavant Parti socialiste européen et dénommé aujourd’hui Groupe S&D (ou Groupe de l'Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates, où siègent aussi entre autres des eurodéputés français du Parti socialiste et de Place publique, ndlr)…

« Cela me paraît bizarre et je ne sais pas ce que fait le Smer de Robert Fico dans ce groupe. J’ai tendance à être d’accord avec plusieurs points du programme de ce groupe où j’ai d’ailleurs plein d’amis. Je ne comprends même pas pourquoi ils le tolèrent. Il n’a rien en commun avec eux, ni la vision européenne ni la vision solidaire ni celle du progrès, de l’éducation ou de la tolérance. Je ne sais pas s’ils sont conscients que ce que fait ou dit le Smer n’a rien à voir avec une social-démocratie, qu’elle soit moderne ou traditionnelle. »

Et vous vous sentez proche de LaREM d’Emmanuel Macron ?

« Oui, même si chaque pays a ses propres défis. Je pense qu’il est important de rebattre un peu les cartes et le projet de M. Macron était disruptif. Notre parti est un peu dans cette disruption, en même temps social et pro-entrepreneuriat – c’est un peu le fond commun que nous partageons. »

Dans votre groupe Renew Europe se trouve également le parti ANO de l’ancien Premier ministre tchèque Andrej Babiš…

« De la même manière que j’ai dit que je ne comprenais pas pourquoi le Smer de Robert Fico faisait partie du Groupe S&D, je ne comprends pas ce que fait Andrej Babiš chez les libéraux… »

C’est donc un problème pour vous ?

« Ce n’est pas la position officielle du parti PS mais je suis surpris qu’ALDE et Renew Europe ne fassent pas quelque chose. Mais c’est vrai que les eurodéputés du parti s’expriment différemment qu’Andrej Babiš devant le public national. C’est d’ailleurs ce que font les trois eurodéputés du Smer de M. Fico, qui votent en faveur de textes très progressistes qui sont complètement en contradiction avec ce que M. Fico fait. Donc la politique européenne des partis est complètement détachée de leurs politiques internes. »


Andrej Babiš | Photo: Martin Vaniš,  Radio Prague Int.

Après cet entretien réalisé avec Ivan Štefunko, Andrej Babiš a diffusé jeudi soir une vidéo enregistrée en slovaque à Bratislava, sa ville natale, pour torpiller le programme de Progresívne Slovensko, estimant que c'était « le pire qui pouvait arriver aux Slovaques le comparant « aux Pirates tchèques contre le droit de veto à Bruxelles, pro-migrants, fous écolos, qui veulent augmenter les impôts, baisser les retraites et nous convaincre de combien de genres nous avons et de légaliser les drogues. »

« Je veux lui rappeller qu'il appartient lui-même au même groupe politique des libéraux européens que le PS, qu'il critique. Je pense que cela pourrait l'amener à réfléchir sur sa volonté d'appartenir encore à cette famille politique », a notamment répondu Michal Šimečka dans la foulée sur les réseaux sociaux.