Vives critiques après l’annonce d’un projet de criminaliser les sans-abris en Tchéquie

Avec l’arrivée de l’hiver, les initiatives se multiplient, en Tchéquie aussi, pour venir en aide aux sans-abris, dont le nombre s’élève à plus de 20 000 selon les autorités. Dans ce contexte, la récente proposition du sénateur Zdeněk Hraba de faire de « la vie dans la rue » un délit passible de sanctions, a provoqué une vive polémique dans les médias nationaux.

« Je veux que l’on traite en Tchéquie le phénomène des sans-abris au comportement problématique dans les espaces publics. Je souligne qu’il faut traiter ce problème dans sa complexité, c’est-à-dire qu’il faut absolument aider les sans-abris qui le souhaitent, qui veulent se faire aider », a déclaré Zdeněk Hraba, avocat et sénateur indépendant depuis 2018, réélu à la Chambre haute du Parlement cet automne sur la liste du parti conservateur ODS. Installé avec sa famille en Bohême centrale, où il occupait auparavant des fonctions de conseiller municipal et régional, Zdeněk Hraba affirme s’appuyer sur cette expérience et souhaite notamment veiller à la sécurité de ses concitoyens :

Zdeněk Hraba | Photo: ČRo

« Des problèmes avec les sans-abris ont été signalés à Říčany ou à Benešov [en Bohême centrale]. Les maires disent que dans leurs communes, les enfants refusent de prendre le bus pour aller à l’école parce que des sans-abris dorment aux arrêts de bus. C'est un problème qui se pose dans tout le pays, les gens m’écrivent depuis Ostrava, Plzeň, depuis le nord de la Bohême et le sud de la Moravie : partout, ils demandent à ce que ce problème soit résolu. »

Le sénateur entend élaborer une loi qui rendrait le « sans-abrisme » de facto illégal, s’inspirant entre autres du système mis en place depuis 2018 en Hongrie, où les sans-abris qui refusent une assistance sociale encourent des peines de prison. Zdeněk Hraba explique :

« Vous pouvez infliger une amende à un SDF qui a un comportement problématique, mais cela ne sert à rien, car il ne la payera pas. Les gendarmes essaient d’y faire face : ils demandent aux personnes qui défèquent dans les parcs, qui crient sur les enfants ou qui mendient de quitter ces lieux publics. Mais ils reviennent. Il faut alors trouver des moyens de sanction efficaces. (…) Quand on réfléchit, on se rend compte que ce qui peut marcher, ce sont les travaux d’intérêts généraux, voire la prison qui reste quand même l’ultime solution. L’argument des prisons surpeuplées ne compte pas pour moi (…). L’Etat doit tout simplement garantir la sécurité des citoyens. »

Photo illustrative: Klára Stejskalová,  Radio Prague Int.

Pour Eliška Černá, chercheuse à l’Université d’Ostrava, le projet du sénateur est « complétement détaché de la réalité » :

« Monsieur le sénateur a mal compris la nature du problème auquel sont confrontés les sans-abris. Son discours repose sur l’idée que les gens se retrouvent dans la rue de leur propre faute, ce qui est une affirmation simpliste et fausse, de même que celle qu’une personne qui vit dans la rue  a choisi ce mode de vie. Je travaille avec les sans-abris depuis 2008 et je n’ai jamais rencontré un tel individu. En affirmant que les gens ne font pas assez d’efforts pour s’en sortir, on néglige complètement les obstacles réels auxquels ils sont confrontés. En Tchéquie, il s’agit surtout de la pénurie de logement financièrement accessible, ainsi que des problèmes de santé… Dans notre pays, il n’existe pas vraiment de données sur la criminalité des sans-abris, mais nous avons en revanche des études qui démontrent qu’ils sont fréquemment victimes d’agressions physiques, de menaces ou de moqueries. »

Interrogé lui aussi par la Radio tchèque, le sociologue Tomáš Kostelecký a ajouté une remarque sur le rapport des Tchèques aux personnes vivant dans la rue :

Photo illustrative: Drahomíra Bačkorová,  ČRo

« La société tchèque est beaucoup plus égalitaire que les autres pays européens, mais la classe moyenne, très nombreuse, n’aime pas les extrêmes. Les personnes appartenant à la classe moyenne ont tendance à être critiques envers les plus riches comme envers les plus pauvres. Quant à ces derniers, les Tchèques moyens peuvent les traiter avec très peu de tolérance et de pitié. »

Parmi les nombreuses voix qui se sont élevées contre le projet de criminaliser les sans-abris, celles de l’antenne tchèque de l’Armée du Salut qui y voit un parallèle avec les persécutions des personnes défavorisées sous le régime communiste. Pour sa part, l’association a lancé récemment la 9e édition de sa campagne inédite « nocleženka » qui permet aux Tchèques d’acheter un coupon pour un prix symbolique de 100 couronnes (4 euros) et d’« offrir » ainsi une nuit au chaud à une personne sans-abri. Malgré leurs réticences à l’égard des plus pauvres, les Tchèques sont généralement nombreux à répondre à cet appel à la générosité : depuis début novembre, 5 000 coupons ont ainsi été achetés.