Souffler un peu sur les ondoiements des vagues de la Vltava

Přívoz P2 du côté de Podbaba, photo: Denisa Tomanová

C’est entre autres pour ses ponts qui joignent un côté de la ville à l’autre, que la capitale tchèque est admirée dans toute sa splendeur. Mais lorsque les ponts font défaut, il ne reste plus qu’une solution : le « přívoz », une barque en français, un petit bateau qui ondule, parfois paisiblement, parfois tumultueusement, sur les vagues de la Vltava. Par extension, celui qui transporte les passagers est appelé en tchèque « převozník », littéralement « celui qui fait traverser ». Radio Prague a rencontré deux de ces « převozník», « les nochers » en français, et ce à deux endroits distants de moins de deux kilomètres, situés aux confins nord de la capitale tchèque et de la Bohême centrale.

Přívoz P2 du côté de Podhoří,  photo: Denisa Tomanová
Le « převozník » ou le nocher le plus célèbre reste bien Charon. Mais nous ne nous trouvons pas en Enfers, mais dans une vallée des plus pittoresques, au nord de Prague. Si au total cinq endroits à Prague offrent la possibilité de transporter les personnes d’une rive à une autre, depuis sept ans, la société Pražské Benátky – Venise pragoise, en coopération avec la société des transports en commun de Prague (DPP), les fait fonctionner quotidiennement. Néanmoins, seuls deux d’entre eux sont en marche toute l’année, et ce précisément entre les quartiers de Podbaba dans le VIe arrondissement et de Podhoří dans le VIIe, appelé aussi P2, et ceux de Sedlec et de Zámky, connu sous P1. Ce transport en commun peu commun qu’est le « přívoz » est géré par plusieurs hommes en marinière et chapeau. L’un d’entre eux, Petr Spurný, qui navigue entre les rives de Podbaba et de Podhoří, nous a parlé de ses débuts :

« Je suis převozník - passeur depuis deux ans et demi à peu près, et ce après avoir répondu à une offre d’emploi. Les vingt dernières années, j’exerçais le métier de dessinateur-projeteur, et vu que je commençais à en avoir un peu marre, je me suis dit que je pourrais essayer autre chose. Par hasard, je suis donc tombé sur cette annonce, je n’ai pas hésité, je leur ai envoyé un mail qui se voulait drôle, disant que j’avais un t-shirt rayé et que j’étais prêt à me lancer dans ce travail. A l’époque, personne ne m’avait répondu, je m’y suis donc rendu personnellement. Ils m’ont dit pourquoi pas, mais que je devais tout de même avoir une licence de conducteur d’embarcations. »

Petr Spurný  (à gauche) et son collègue Tomáš,  photo: Denisa Tomanová
Après avoir obtenu sa licence et le certificat d’opérateur, permettant de se servir d’un poste de radio maritime, Petr Spurný a d’abord assuré le service dans le centre de Prague, où des embarcations plus touristiques circulent sur la Vltava, avant d’être transféré à son emplacement actuel de Podbaba-Podhoří. Il a révélé plus de détails sur les emplacements des autres « přívoz », tout en évoquant un petit chapitre de leur histoire. Petr Spurný toujours :

« Le premier přívoz se trouve entre Sedlec et Zámky. Nous sommes le deuxième. La troisième barque est gérée par une autre société et se trouve entre Žluté lázně et Lihovar. Le P4, qui circulait entre le Théâtre national et l’Ile des enfants, a été supprimé. Le P5 circule entre Výtoň, la prairie impériale et le quartier de Smíchov, et le P6 fonctionne entre Lahovičky et la gare de Modřany, au sud de la capitale. Quant à l’histoire de notre emplacement ici à Podbaba, la barque y a circulé pendant de nombreuses années, mais avait été supprimée dans les années 1980 avec le décès du responsable, un certain monsieur Červenka. Mais ce « přívoz » est un des plus vieux de Prague. D’après ce que l’on m’en a dit, il y avait, aux XVIIIe et XIXe siècles, des dizaines de « přívoz » à Prague. Les ponts n’étaient que dans le centre, comme le pont Charles ou le pont en fer appelé Rudolf, l’ancêtre de l’actuel pont Mánes. Avec le temps, la construction des ponts s’est multipliée et les « přívoz » fonctionnaient essentiellement aux périphéries de la ville. »

Přívoz P1 du côté de Zámky,  photo: Denisa Tomanová
Passeur depuis deux ans, Martin Peleška fait partie des převozník qui assurent le premier « přívoz » entre Sedlec et Zámky. Il a également évoqué l’histoire de cet emplacement :

« D’un point de vue historique, on peut dire que les « přívozy » ont pratiquement toujours fonctionné à Prague. Par exemple, à cet endroit, cette roulotte est historiquement la maison du passeur. Il y avait également une barque qui transportait des attelages de chevaux, on peut voir sous nos pieds un dallage spécifique. Je crois bien que la circulation sur la Vltava était beaucoup plus importante à l’époque qu’à l’heure actuelle. Il y avait beaucoup plus de barques, mais avec la multiplication des ponts, les « přívozy » se sont faits plus rares. »

Přívoz P2 du côté de Podhoří,  photo: Denisa Tomanová
C’est alors grâce à l’initiative du directeur de la société Pražské benátky, Zdeněk Bergman, que les « přívozy » sont revenus sur les cours d’eau de la Vltava, et ce avec la coopération de la société des transports en commun de la ville de Prague. Si le fonctionnement s’avère être plus ardu pendant l’hiver, lorsque les températures peuvent descendre jusqu’à -20° C, les deux emplacements qui fonctionnent toute l’année bénéficient chacun d’une maisonnette, où les passeurs se réchauffent et passent la nuit s’ils sont du service le lendemain matin. Mais qui sont les passagers de ces « přívoz » ? Petr Spurný répond :

« Trois passeurs se relayent à l’emplacement P1, dans la mesure où il s’agit d’un endroit moins fréquenté que le P2, que de nombreuses personnes empruntent pour se rendre au zoo de Prague ou au travail en provenance du quartier de Bohnice. Il y a également beaucoup d’étudiants qui se rendent à l’Université agricole (ČZU) dans le quartier de Suchdol. Je dirais que l’hiver, nous transportons 300 à 500 personnes par jour en moyenne. Et pendant l’été, où la fréquence s’accroît considérablement avec les visiteurs du zoo, les cyclistes et les patineurs qui utilisent les pistes cyclables qui vont jusqu’à la ville de Roztoky, nous transportons le week-end de 1 500 à 2 000 personnes par jour en moyenne, et environ 600 à 900 personnes pendant la semaine. »

La chapelle Saint-Venceslas,  photo: Denisa Tomanová
Effectivement, les deux barques se situent à un carrefour touristique, où tout un chacun peut y trouver son compte : non seulement les sportifs qui peuvent longer la Vltava jusqu’à la ville de Kralupy nad Vltavou, mais aussi les flâneurs pouvant visiter, du côté de Podhoří, la chapelle Saint-Venceslas datant de 1865, le château de Troja, le jardin botanique, ou tout simplement se promener du côté de Podbaba, afin d’apprécier un panorama peu connu de la capitale tchèque depuis le quartier de Baba.

Si Prague a souffert d’importantes inondations en juin dernier, les passeurs ont réussi à transférer les embarcadères et les barques dans des ports protégés à Podbaba et Smíchov, malgré quelques complications liées à l’accès. Après avoir obtenu une autorisation de la Société nationale maritime (Plavební správa), le service a ainsi pu reprendre début août. Quant aux nouveautés que les passeurs sont en train d’élaborer, Petr Spurný a fait savoir :

« Vu que la taille des barques n’est pas complètement satisfaisante eu égard au nombre de personnes transportées, il est prévu qu’un bateau plus grand les remplace prochainement, afin que l’accès soit plus facile pour les personnes à mobilité réduite, de même que pour les cyclistes ou pour les mamans et leurs poussettes. Le bateau devrait donc être beaucoup plus adapté pour ces cas précis. »

Et quelles sont les expériences que les passeurs vivent avec les voyageurs tout au long de leurs longues journées de travail, lesquelles commencent à 5h30 et se terminent à 22h ? Martin Peleška évoque :

« C’est un travail où on est en contact avec les gens. Mon point de vue sur les chauffeurs des transports en commun a complètement changé, par exemple. Je crois que la plupart des passagers sont aimables, ils sont contents d’embarquer. Mais, évidemment, parfois ils se comportent comme des troupeaux, il faut alors s’armer d’une grande patience. Il y a par exemple un panneau qui interdit de monter sur l’embarcadère, mais que certains ne voient pas. Lorsque nous y avons mis une corde, certains passaient tout de même par-dessus. Mais je crois que la plupart des personnes se comportent bien. Si on veut faire ce métier, on doit quand même aimer les gens dans une certaine mesure et savoir rester en bons termes avec eux. »

Přívoz P2 du côté de Podbaba,  photo: Denisa Tomanová
A ce même propos, notre passeur de la barque de Podbaba-Podhoří Petr Spurný conclut :

« Je crois que les expériences sont à 99% positives. La plupart des voyageurs ont les yeux écarquillés, dans la mesure où le « přívoz », c’est un peu de romantisme dans une Prague poussiéreuse. Et tout le monde nous aime bien. C’est super. »