Sous le pont Charles, les archéologues en quête des vestiges du premier pont pragois en pierre
A la mi-janvier, Pragois et touristes ont pu assister, depuis le pont Charles, à un spectacle inhabituel : trois jours durant, une équipe de scientifiques et de plongeurs a effectué des fouilles archéologiques dans la rivière Vltava. Ils y ont localisé, à l’aide d’un géo-radar, les restes du pont Judith, le premier pont en pierre qui a relié les deux rives de Prague, avant d’être remplacé, deux siècles plus tard, par le célèbre pont Charles.
Pionnière des recherches archéologiques subaquatiques en République tchèque, Barbora Machová de l’Institut d’archéologie de l’Académie des Sciences nous raconte l’histoire de ce pont construit au XIIe siècle et qui porte le nom de l’épouse du roi Vladislav II :
« Les fondations du pont Judith sont formés par une charpente en chêne et des blocs de grès. Il s’agit du premier pont en pierre construit en Bohême et de l’un des plus vieux ponts au nord des Alpes. Une crue a provoqué son effondrement vers la moitié du XIVe siècle. »
L’empereur Charles IV a alors décidé de construire le pont actuel, qui relie le quartier de la Vieille-Ville à celui de Malá Strana. Sa première pierre a été posée en juillet 1357.
L’objectif des fouilles archéologiques, menées systématiquement depuis 2014, est de localiser et de protéger les vestiges des anciens ponts qui risquent d’être endommagés par le transport fluvial de plus en plus dense. Barbora Machová :
« Il existe treize piliers du pont Judith. Les restes de ces piliers et des arches ont été conservés sur les deux rives de la Vltava. Ce qui nous intéresse particulièrement, ce sont les vestiges des constructions qui se cachent au fond de la rivière. Pour la première fois, nous avons localisé, à l’aide du géo-radar, le onzième pilier du pont qui, jusqu’alors, n’avait pu être que photographié. Nous avons ensuite découvert les traces des autres piliers et des murs. Enfin, nous avons cherché ce qui reste des vieux ponts en bois qui reliaient autrefois la presqu’île de Kampa à la Vieille-Ville de Prague. »Les recherches archéologiques en eau douce sont menées essentiellement pendant l’hiver, où le trafic sur les voies navigables est limité. Néanmoins, les récentes fouilles archéologiques dans la Vltava se sont déroulées dans des conditions météo peu propices à ce genre d’entreprise, comme nous le raconte Barbora Machová :
« Malheureusement, deux ou trois semaines avant le lancement des fouilles, la météo s’est dégradée : la pluie et la neige ont compliqué notre travail avec une très mauvaise visibilité et un courant particulièrement fort. Dans la Vltava, nous avons plongé à environ 2,50 mètres de profondeur où la température de l’eau avoisinait 2°C. Normalement, la température de plongée en hiver se situe autour de 4°C. Mais puisque nous étions assez proches de la surface de l’eau, nous avons eu froid (rires) ! Nous avons beau être équipés de combinaisons spéciales qui peuvent même être chauffées et de sous-vêtements spéciaux, nous avons froid en hiver… Voilà pourquoi la durée d’un plongeon ne dépasse pas une heure. »
A quoi ressemble alors le fond de la Vltava dans un endroit aussi touristique que le centre de Prague ?
« Vous y trouverez, sans surprise, des ordures de tous types (rires). Malheureusement, il n’y a que très peu de vie dans les tronçons régulés des cours d’eau. Nous n’y avons vu ni poissons ni plantes. C’est dommage, car dans les cours d’eau non régulés, l’eau est nettoyée par les plantes et la visibilité y est meilleure. Sinon, le fond de la Vltava est assez agréable pour un archéologue plongeur, car il n’est pas boueux, mais caillouteux, avec peu de sédiments. »Dans la suite de l’interview de Barbora Machová, que nous vous proposerons ce jeudi, nous parlerons des traces du passé dans les autres rivières tchèques, ainsi que de son expérience d’archéologue sous-marine.