Tereza Bonnet-Šenková : au Moulin Rouge, être professionnelle avant tout
Tereza Bonnet-Šenková a 28 ans. C’est une ex-danseuse du Moulin Rouge qui aujourd’hui, s’est reconvertie en professeur de yoga bikram, dans un studio flambant neuf au centre de Prague. Mariée à un Français, elle a tenté sa chance en France il y a quelques années, et s’est retrouvée ainsi sur le podium du célèbre cabaret parisien, immortalisé par le peintre Toulouse-Lautrec. Avec elle, dans cette émission, nous évoquerons les souvenirs de ses six années de vie parisienne, dont trois au sein de cette établissement, ainsi que son retour en RT.
« A l’époque je cherchais à avoir une expérience de la danse contemporaine et ici, en RT, c’était quand même difficile, hormis les stages d’été où, à l’Académie de musique, ils invitaient des profs étrangers. Donc l’idée d’aller à Paris était super pour moi. J’ai trouvé un cursus d’études au studio Harmonique à la Bastille, où je voulais étudier la danse contemporaine. Mais en France, toutes ces études, c’est payant, il fallait donc gagner de l’argent. En plus, pour une fille de l’Est, s’expatrier en France, ce n’est pas facile : ils pensent tout de suite à la prostitution potentielle.
Au consulat, ils m’ont dit que la meilleure façon était de chercher un visa étudiant. Du coup, je me suis inscrite à une formation de diplôme d’Etat en France, et en plus j’étais autorisée à travailler 20h par semaine. Je me disais que tout aller bien se passer, que mon futur mari allait tenir le coup, que j’allais danser et étudier, pendant que lui irait au travail, et gagnerait de l’argent (rires) ! Je me disais, ça va être très cool pour la blonde ! Mais en fait non... Un soir, alors qu’il faisait ses entretiens professionnels, il m’appelle à deux heures du matin et me dit qu’il sort du Moulin Rouge. J’étais étonnée, parce qu’à l’époque pour moi, le côté Pigalle... Et le voilà qui m’annonce qu’il m’a pris un rendez-vous pour une audition privée au Moulin Rouge ! Je lui ai dit : ‘Ca va pas !’, mais il m’a expliqué que c’était une institution très connue, qu’ils pouvaient m’aider à légaliser mon séjour.
Même si ça ne plaisait pas trop comme idée à l’époque – je rêvais de danse contemporaine, d’art – la situation m’y a un peu forcée. Je suis allée à l’audition, et comme souvent, quand vous ne voulez pas réussir, ça s’est fait ! »
Mais alors quelle était l’image que vous aviez à l’époque du Moulin Rouge ?
« Pour tous les gens de l’Est, à l’époque, qui venaient, disons, une fois à Paris et passaient à Pigalle, voyaient tous les peep-shows autour, c’est difficile de savoir ce qui se passe à l’intérieur du Moulin Rouge... Personne ne nous disait que c’était en fait un cabaret avec des danseuses professionnelles, des ballerines qui ont fait le conservatoire mais qui, parce qu’elles étaient trop grandes, n’ont pas pu faire une carrière dans le classique... Moi, je savais que ce n’était pas un ‘bordel’, mais bon je ne savais pas trop à quoi m’attendre. »
Donc, vous vous retrouvez au Moulin Rouge, à passer une audition, comment cela se passe-t-il ? Qu’est-ce qu’on vous demande de faire ? Et quels sont les critères de sélection ?
« Pour passer une audition au Moulin Rouge, normalement la maîtresse de ballet et son assistante se déplacent à travers le monde pour auditionner les filles. Moi, c’était un peu spécial, car il y avait une danseuse qui venait de partir, ils avaient besoin de quelqu’un tout de suite, donc c’était une audition privée... Du coup, il y avait moi et peut-être sept ou huit filles. On essaye de voir si vous pouvez danser le cancan, il faut apprendre la chorégraphie assez vite. Il faut avoir quelque chose de spécifique. A l’époque, la maîtresse de ballet avec un caractère fort ! Tout le monde s’imagine que vous devez toutes vous ressembler, avoir toutes les mêmes têtes, les mêmes corps. Mais en fait non. Elle veut vraiment que tout le monde dégage une énergie spécifique, sur scène. Bien sûr, il faut que tout ça rende aussi une image très esthétique, pour qu’avec le costume, toutes ses plumes et ses bijoux, ça rende une image traditionnelle du Moulin Rouge. »
Donc vous avez été prise au Moulin Rouge... Pourriez-vous nous raconter vos souvenirs, vos impressions de l’époque, vos premières journées... D’ailleurs, quelle est la journée typique d’une danseuse au Moulin Rouge ?
« Vous commencez d’abord à répéter toute seule, avec la capitaine de danse. Les danseurs ne viennent au Moulin Rouge que le soir. Après avoir intégré la chorégraphie lors des répétitions, vous passez deux-trois soirées en coulisses pour voir comment ça se passe avec les changements de tableaux etc. Et puis, vous après, eh bien, vous montez directement sur scène... Pour moi, la première expérience était assez effrayante. C’est difficile, car tout le monde est en costume, tout le monde se ressemble d’un coup. Sur scène, vous ne faites plus la différence entre vos collègues. Il faut se repérer, ça prend quelques jours... Le premier spectacle, vous ne vous éclatez pas vraiment. Ca vient plus tard, quand vous connaissez bien la choréographie et les gens, vous êtes plus à l’aise. Au début, il faut savoir par où sortir de scène, quand les lumières s’éteignent, pour ne pas se cogner avec les filles, avec les grands costumes, parce que ça peut être dangereux...
Sinon vous répétez ensuite une fois toutes les deux semaines, tous ensemble, ce sont des répétitions dites de ‘nettoyage’ pour ‘nettoyer’ les choréographies. Parce que comme le spectacle est toujours le même deux fois par soir, on prend de petites habitudes...
Après, chaque fille fait quelque chose d’autre pendant la journée, il y en a qui vont prendre des cours de danse classique, de jazz, de moderne, du yoga ou de la musculation, pour s’entretenir. Ensuite, vous arrivez le soir, vous vous maquillez et vous vous chauffez vraiment bien pour éviter les blessures sur scène. »
Comment était l’ambiance avec les autres filles ? Il n’y avait pas trop de ‘crépage de chignon’ ?
« Je ne sais pas si on peut parler de crépage de chignon. Mais il faut être professionnelle, ça veut dire : vous allez au travail, vous dites bonjour à tout le monde et pour préserver votre vie privée et votre vie professionnelle, vous ne vous mêlez pas de ce qui ne vous regarde pas. C’est vrai que l’atmosphère avec les filles n’est pas vraiment amicale. C’est un mélange de cultures, de nationalités, de mentalités différentes. Et on vous fait sentir que chacune veut faire son chemin. Tout le monde a de l’ambition. »
Maintenant vous êtes à Prague, vous avez ouvert un studio de yoga bikram. Pour les néophytes, pourriez-vous préciser de quoi il s’agit ?
Ca veut dire que régulièrement, vous faites étirer, compresser, fortifier les tissus de votre corps, là où vous avez mal. Avec le temps vous progressez. Ce qui est spécifique pour le yoga bikram, c’est la chaleur. On pratique ces positions à 42 degrés, donc votre corps est beaucoup plus souple. Le corps transpire, et vous ne pouvez pas vous blesser. Les personnes qui ont eu des opérations, qui ont des problèmes chroniques, peuvent étirer tous les tissus de cicatrisation. »
C’était difficile pour vous de revenir en République tchèque, et ensuite de monter votre studio ?
« Oui, c’était difficile, parce qu’à Paris, je ne m’occupais que de moi-même, de mon ego, de ma carrière de danseuse etc. Après tout ce temps, il a fallu quitter Paris. Alors qu’au début je me plaignais tout le temps, je disais que je ne m’habituerais jamais, à la fin, je suis devenue un peu parisienne. C’était difficile, parce que tout mes amis, je les avais à Paris. En plus, ici, ce n’était pas qu’une question de m’occuper de moi-même, mais il fallait monter le studio, donc vous portez une responsabilité pour vous-même, pour le studio, pour les gens avec qui vous travaillez, et pour vos élèves. C’était un défi, mais je suis contente d’avoir franchi ce pas car la satisfaction est la même, peut-être même plus grande que quand vous êtes seule sur scène, à faire la star... Parce que vous voyez les gens venir au début, ils ont des problèmes, ils ont mal partout et deux mois plus tard, ils sont transformés. La satisfaction est énorme... »