Tomas Garrigue Masaryk - un nationaliste tchèque ou un Européen?

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En décembre dernier, M. Alain Soubigou, maître de conférence à l'Université de Paris I, a participé à Prague à une conférence sur le thème « Masaryk et l'Europe ». M. Soubigou est l'auteur d'une biographie de Masaryk récemment publiée en France et en République tchèque, ainsi que d'une traduction en français de La Nouvelle Europe. Depuis plus de 15 ans, M. Soubigou a comme sujet d'études le personnage du premier président tchécoslovaque. Ce qui l'a étonné en travaillant dans les archives sur Masaryk, c'est qu'il s'est rendu compte que dans son propre pays, il est relativement méconnu, on fonctionne sur les clichés, sur les oppositions:

Homme de gauche ou homme de droite, conservateur ou progressiste, spiritualiste ou indifférent en religion. A l'extérieur on le considère comme un dirigeant nationaliste. Un paradoxe est qu'à l'intérieur de son pays, Masaryk était la cible continue des nationalistes tchèques qui le qualifiaient de cosmopolite. Il est tchèque pour certains, allemand pour d'autres. M. Soubigou s'est concentré sur les questions de savoir si Masaryk était un nationaliste comme beaucoup de dictionnaires occidentaux l'affirment et quelqu'un qui a détruit l'Autriche-Hongrie. Ecoutons les principaux extraits de sa conférence, tenue à l'Institut français de Prague:

"Il faut se pencher sur la biographie de Masaryk pour réfléchir à cette idée que Masaryk n'est même pas un nationaliste au sens positif. Masaryk est un véritable Européen. Masaryk, tout d'abord, est issu d'une famille qui est tout sauf nationaliste: son papa était Slovaque, sa maman était Tchèque de langue allemande. Il a commencé par fréquenter une école primaire tchèque. Ses études secondaires puis supérieures, de philosophie à Vienne, sont en allemand. Par sympathie pour les Polonais, il apprend le polonais, puis il apprend le français, le russe, et à l'Université, il apprend le latin et le grec. Après qu'il rencontre sa future épouse américaine, il apprend l'anglais et s'intéresse à la pensée anglo-saxonne. Lorsqu'en 1899, il apprend qu'un Juif en Bohême de l'est, dans la région de Polna, est accusé d'un meurtre rituel, ce qui déclenche en Bohême une affaire Dreyfus, il sera sur place. Le Juif, il s'appelle Hilsner, est accusé de manière injuste. Masaryk fait une campagne de presse en faveur de Hilsner, et il témoigne au procès. Vous imaginez ce que les nationalistes ont pu penser d'un Masaryk qui prend la défense d'un Juif. Pour eux, il était un antinational.

T. G. Masaryk
En 1912 - 1913, Masaryk, en sa qualité de député, voyage dans les Balkans et essaie de calmer les tensions nationales entre les Slaves du sud - on les appelle encore Yougoslaves, et les autorités de Vienne. Il le fait dans un esprit de concorde, de paix, qui font qu'en 1912 - 1913 beaucoup de gens pensent à lui pour devenir prix Nobel de la paix.

Est-ce que cela change avec la guerre ? Est-ce que Masaryk devient nationaliste, et responsable de la destruction de l'Autriche-Hongrie, ce que disent beaucoup d'historiens allemands et autrichiens:

Dans son travail, M. Soubigou est allé chercher dans les archives la date exacte du moment où Masaryk ne croit plus à la possibilité pour l'Autriche-Hongrie de continuer d'exister. Les vacances de l'été 1914, Masaryk les passe en Allemagne. Il assiste à la montée des tensions, puis aux déclarations de guerre et aux mobilisations. Il voit la façon dont l'Allemagne mobilise, les soldats vont de manière disciplinée aux casernes, obéissant aux ordres. Il franchit la frontière pour entrer en Autriche-Hongrie et il tombe sur une mobilisation en Autriche-Hongrie, mais qui est désastreuse: Les soldats, en particulier des soldats slaves, sont saouls, ils ne veulent pas aller à la guerre. Dans le train qui le ramène de Dresde à Prague, il se dit mais cette Autriche-Hongrie, c'est catastrophique, elle déclenche la guerre par cet ultimatum à la Serbie et elle n'est même pas capable de faire une mobilisation convenable de ses soldats. Il a vu la différence avec l'Allemagne. Et, progressivement, dans le courant de l'été 1914, il croit encore comme l'historien Palacky que l'Autriche-Hongrie, ce n'est pas une bonne solution historique, mais puisque cela existe, il faut faire avec, mais dans le courant de l'été 1914, il se rend compte que l'Autriche-Hongrie est une impasse historique. A la fin du mois d'août 1914 après avoir discuté avec des hommes politiques austro-hongrois, il prend la décision de la rupture. Mais c'est seulement en ce moment-là. Il a été loyal à l'Autriche-Hongrie jusqu'au mois d'août 1914, jusqu'à 2 mois après le déclenchement de la guerre. Mais 2 mois après l'entrée en guerre, il dit il faut trouver une autre solution. C'est seulement à partir de ce moment là qu'il joue une carte de l'émancipation des Tchèques de l'ensemble de l'Autriche-Hongrie. Donc c'est une fausseté historique de dire que Masaryk était un nationaliste qui a voulu la destruction de l'Autriche-Hongrie. L'Autriche-Hongrie s'est suicidée et Masaryk n'a pas voulu mourir dans ce suicide. Il a saisi l'opportunité historique de construire une alternative à l'Autriche-Hongrie et c'est le point de départ de la constitution de la Tchécoslovaquie et donc, de la République tchèque."