Tomáš Zmeškal : « Ce qui m’intéresse dans l’écriture, c’est qu’elle arrive à me surprendre. »
Parmi les lauréats du Prix de Littérature de l’Union européenne 2011 qui récompense les meilleurs talents européens il y a aussi le Tchèque Tomáš Zmeškal, auteur du roman « Lettre d’amour en cunéiforme ». Les prix ont été décernés le 28 novembre dernier à Bruxelles. Chacun des douze lauréats a également reçu une somme de 5000 euros et la promesse que son livre sera traduit dans d’autres langues.
Le visage exotique de Tomáš Zmeškal trahit ses racines africaines. Fils d’une mère tchèque et d’un père congolais, ce professeur de littérature anglaise, est aujourd’hui un des écrivains les plus prometteurs de langue tchèque. Sa biographie commence en 1966 à Prague. Après des études de langue et de littérature anglaises à l’université Charles de Prague, il vit et étudie quelque temps en Grande Bretagne, travaille ensuite comme traducteur et interprète et devient finalement professeur de lycée. Il ne pense pas que la littérature puisse devenir son activité principale :
« Je me suis mis à écrire à environ 18 ans. Puis j’ai écris de la poésie mais c’était des textes courts que je ne considérais pas comme importants. En Angleterre j’ai étudié la littérature anglaise mais j’avais commencé à écrire encore avant mon départ pour l’Angleterre. Et puis j’ai écrit pendant mon séjour en Angleterre et aussi après mon retour. »
Ce n’est qu’en 2008, donc à l’âge de 42 ans, que Tomáš Zmeškal réussit à publier son premier roman intitulé « Milostný dopis klínovým písmem - Lettre d’amour en cunéiforme ». Il n’arrive qu’avec beaucoup de difficulté à surmonter la méfiance que suscite parmi les éditeurs ce texte original et insolite :
« J’ai proposé ce livre aux éditeurs pendant cinq ans mais personne n’en voulait. Maintenant c’est déjà beaucoup mieux. (…) Quand vous êtes inconnu, on ne vous prend pas au sérieux. Je pense que la raison principale de ce refus a été dans la composition du texte, dans sa structure. Et puis aussi le sujet ne semblait pas attractif aux éditeurs. Ils pensaient que ce n’était pas intéressant pour les lecteurs. Et puis la troisième raison : j’étais un inconnu. C’est ce qu’ils m’ont dit d’ailleurs un jour : ‘Personne ne vous connaît, le livre est épais et coûterait beaucoup d’argent. Nous n’allons pas le publier bien que le texte nous semble finalement assez bon.’ »
La parution du livre révèle aux lecteurs et à la critique un auteur courageux qui n’hésite pas à briser la forme classique du roman, qui ne respecte pas la chronologie des événements et raconte son histoire par les voix de plusieurs narrateurs. L’écrivain crée ainsi une structure complexe qui reflète les vies des protagonistes du roman mais dans laquelle interviennent aussi de nombreux personnages secondaires. Il n’est pas facile pour le lecteur de s’orienter dans ce labyrinthe des vies, des événements et des personnages qui forment pourtant un ensemble, une œuvre littéraire, un roman. Il n’est pas non plus facile de le résumer. L’auteur lui-même l’a fait en ces termes :
« C’est l’histoire d’une famille de la fin de la Deuxième Guerre mondiale jusqu’aux années 1990. Nous suivons deux générations de cette famille qui vit à Prague et à la campagne, en Bohême de l’Ouest. La ligne principale de cette histoire est la relation entre les époux Květa et Josef et leur ami Hynek qui se retrouvent séparés par la barricade politique et cherchent une issue à leur situation. Hynek deviendra partisan du régime totalitaire et en profitera d’une certaine façon. »
Josef Černý, héros du livre, a connu sa femme Květa avant la guerre à l’université pendant les cours du professeur Bedřich Hrozný ayant déchiffré l’écriture cunéiforme des Hittites. L’histoire et les mythes des Hittites, peuple ayant vécu en Asie mineure au IIe millénaire avant J.-C., deviendront comme un leitmotiv de toute la vie amoureuse de Josef et Květa. Hynek, leur ami commun, est lui aussi amoureux de Květa mais elle lui préfère Josef. Dans les années 1950, période de la terreur stalinienne, Josef est arrêté et emprisonné et Hynek devient collaborer de la police communiste. Květa restée seule avec une petite fille, s’adresse à Hynek et le supplie de l’aider et de la conseiller. Et Hynek finit par abuser de la vulnérabilité et de l’obéissance de la femme du prisonnier politique pour réaliser ses fantaisies sado-masochistes. Cette faute de Květa, que Josef n’arrivera pas à lui pardonner, pèsera pour toujours sur la vie des deux époux, passera à la génération suivante et se répercutera encore dans la vie de leur fille.La politique intervient pratiquement sans cesse dans la vie de cette famille. Pourtant Tomáš Zmeškal se défend d’être un écrivain politique et affirme que la politique ne l’intéresse pas. Il s’intéresse par contre à tout ce qui intervient dans la vie de ses personnages :
« Quand quelqu’un tombe amoureux c’est plus important pour lui que toute la politique du monde. Mais quant aux personnages de ce livre, il leur est arrivé que la politique soit entrée dans leurs vies. Et ils sont obligés de lui faire face, de se mesurer avec elle. C’est cette façon de se mesurer avec la politique qui m’intéresse. »Le roman a apporté à son auteur beaucoup de succès et d’honneurs officiels. En 2009 il est nominé pour le prix Magnesia Litera et remporte le prix Josef Škvorecký. Et en 2011 il est récompensé du Prix de Littérature de l’Union européenne. Désormais Tomáš Zmeškal jouit aussi du respect des éditeurs qui n’ont pas hésité à publier son deuxième opus, un roman intitulé « Biographie d’un agneau blanc et noir ». L’écrivain semble avoir franchi une étape importante dans sa vie littéraire et dépassé les obstacles qui freinaient son envol :
« Ce qui m’a vraiment bloqué c’était le fait d’avoir enseigné la littérature anglaise à l’Université. Et quand vous enseignez la littérature ou quand vous êtes théoricien de la littérature, vous voyez le texte avec les yeux d’un théoricien et vous vous censurez énormément. C’est contre cela que j’ai lutté en écrivant mon premier livre. J’ai fini par éliminer les 60 premières pages et j’ai tout repris depuis le début. Je suis donc un théoricien de littérature à la retraite mais cela n’est pas sans avantage parce que quand vous êtes critiqué, vous réalisez tout de suite quel est le point de départ de votre critique. Mais franchement, pour votre travail d’écrivain, cela ne sert pratiquement à rien. »Il ne sera pas facile maintenant pour ce romancier de rester dans ses prochaines œuvres à la hauteur de son premier roman. La forme et le style de son deuxième ouvrage témoignent d’une tendance vers le récit moins expérimental, plus classique, plus linéaire. Le romancier mûrit et semble s’assagir, ses moyens changent. Quelle est donc sa méthode littéraire ? Tomáš Zmeškal n’arrive pas à répondre à cette question. Il se borne à constater que sa façon d’écrire évolue avec le temps :
« Mon premier livre qui a été primé est ce que les critiques appellent le postmodernisme. Il est influencé par le postmodernisme. Par contre le deuxième livre est chronologique, plus traditionnel, plus classique. Ce qui m’intéresse dans l’écriture c’est qu’elle arrive à me surprendre. Je ne sais jamais quelle sera la fin. Je ne veux pas que l’écriture ne soit pour moi qu’une routine. »