Un aquarium géant à Letna

Le modèle de l'océanorium à Prague, photo: Oceanis Australia
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Les skateboarders de Prague risquent de perdre leur principale piste d'entraînement située dans le pac de Letná, qui domine la vieille ville. L'investisseur australien Underwater World Oceanarium projette d'y construire un gigantesque aquarium. Les Pragois perdraient ainsi l'un des derniers espaces publics de la capitale encore préservés des investisseurs.

Le contrat devrait être signé en juin entre la société australienne et la Mairie de Prague. Fini le free style, le roller hockey, le slalom de blade entre les cannettes : l'esplanade prisée par la jeunesse pragoise se prépare à un relooking qui la laissera méconnaissable. Un aquarium de 2,2 millions de litres d'eau de mer produite synthétiquement trônera désormais à Letná, à la place de l'ancienne statue de Staline, érigée en 1955 pour rappeler au peuple tchécoslovaque sa reconnaissance envers le « libérateur ». Un club de rock et de culture alternative s'était bien installé à la chute du régime dans les souterrains situés sous le socle de la statue, mais il a fermé au début des années 1990.

Les souterrains dans lesquels s'était installé le club de rock est l'un des problèmes de la Mairie de Prague : la surveillance des 60 000 mètres carrés qui courrent sous les fondations coûte cher à la ville, et les lobbyistes ont tôt fait de remarquer qu'il était dommage de ne pas exploiter commercialement un tel emplacement.

C'est Underwater World Oceanarium, un investisseur australien spécialisé dans la construction de zoo marin, qui remporte l'approbation de la Mairie lors de l'appel d'offre de juin 2000, écartant à l'époque trois autres projets. Le parc de Letná étant alors classé jardin historique dans le plan d'urbanisme de la ville, et de ce fait déclaré inconstructible, en 2005, les modifications nécessaires sont apportée au plan pour transformer le terrain en aire à fonction culturelle et sportive, cette fois ouvert aux entrepreneurs.

Martin Skalsky est chef de section à la division pragoise de l'association Arnika, dont l'une des missions est de protéger les espaces publics et défendre les citoyens.

« Historiquement, il existait un seul bureau de développement pour la ville de Prague, qui était responsable de l'ensemble de l'architecture. Aujourd'hui, cela correspond à un département de la municipalité, mais ce bureau n'a plus autant de pouvoir qu'avant. Chaque année, plusieurs centaines de modifications sont opérées sur le plan d'urbanisme. C'est le reflet des visions différentes des investisseurs. Le bureau du développement n'a pas de véritable politique, pas de stratégie, et cela pose problème. Les projets commerciaux sont privilégiés par rapport aux projets publics. »

Et de fait, depuis l'approbation du plan d'urbanisme de Prague, 480 modifications ont été proposées, dont 80% avaient pour but de transformer un espace vert en terrain constructible. Le débat est récurrent à Prague, et les associations de défense des citoyens démunies. Arnika ne s'est pas investie sur le problème de Letna faute d'impulsion citoyenne en amont. Les amateurs de street culture, les premiers concernés ici, font souvent preuve de frilosité vis à vis des structures organisées. Il n'étaient pas au courant de l'appel d'offre lancé il y a 7 ans, et risquent aujourd'hui d'être relégués à la périphérie de Prague.

Pankrac
Après la disparition de l'enclave alternative de Ladronka, de la colonie de maisonnettes de Stare Stresovice, ou encore du Bunkr rock de Petrske namesti, les lieux où l'on peut se retrouver et profiter de Prague sans se retrouver dans une queue de touristes fondent comme neige au soleil. L'un des autres quartiers que les investisseurs tentent d'investir est la place de Pankrac. Martin Skalsky en a fait l'une de ses priorités d'action.

Martin Skalsky
« L'esplanade de Pankrac est l'un des projets types dont nous nous servons comme modèle. Tous les problèmes se concentrent là. Il y a le problème de la construction de nouvelles tours sur un espace libre, auquel se greffe le problème du réseau automobile. Ce projet n'a pas fait l'objet d'une consultation avec le public. Les espaces verts et les lieux publics disparaissent au profit des terrains cosntructibles. Nous nous servons de cet exemple pour montrer que la stratégie d'urbanisme de Prague manque de clarté. Ceux qui résolvent les problèmes d'urbanisme ici, ce sont ceux qui peuvent proposer de l'argent à la Ville. On ne peut pas parler de vision à long terme. »

Tablant sur le fait que le deuxième lieu le plus visité à Prague après le Château est le zoo, la Mairie de Prague prévoit que 900 000 visiteurs viendront chaque année regarder les requins dans les yeux à Letna, dont 600 000 étrangers. Des escalators relieront l'aquarium au quai Edouard Benes, pour éviter un afflux trop massif de véhicules. Martin Skalsky regrette que la politique urbaine pragoise ne s'aligne pas sur celle des autres métropoles ouest-européennes.

« L'une des différences avec l'Europe de l'ouest réside dans l'accès du public aux négociations. Si un espace public doit être modifié, et qu'un bâtiment doit être construit sur ce terrain, la question fait l'objet d'une large consultation. Les gens peuvent s'exprimer, et leur avis est pris en compte, ce qui n'est pas le cas à Prague. Voilà les principales différences. »

Auteur: Diane Dupré La Tour
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