Un petit patriote comme à la maison au centre centre d’art contemporain DOX
« Kde domov můj » : telles sont les premières paroles de l’hymne national tchèque, qui peuvent se traduire par la question « Où est ma patrie ? ». Le mot « domov » peut également signifier « maison » ou « chez-soi », et c’est autour de ce double sens qu’a été conçue l’exposition qui se tient actuellement au centre d’art contemporain DOX à Prague et qui s’intitule « Kde domov můj ? ».
Commissaire de l’exposition, Jaroslav Anděl souligne que son objectif était d’aller au-delà de la sphère privée ou de l’identité régionale afin de toucher à des choses publiques dans le sens plus général du terme. Il rappelle aux visiteurs que le projet aspire à dépasser les murs de la galerie. En effet, sur un site Internet mis en place à cette occasion, les citoyens peuvent soumettre leurs idées pour améliorer l’espace public.
Une coulisse sonore particulière accompagnait le vernissage de l’exposition. Fruit du travail de Pavel Klusák, il s’agit d’une compilation de plusieurs adaptations originales de l’hymne national. Le premier extrait est en effet l’hymne slovaque chanté en tchèque, œuvre du groupe Piča z hoven (dont il est préférable de ne pas traduire le nom en français).
Avant de donner la parole à une des artistes qui a exposé ses œuvres à DOX, écoutons encore un extrait de la réalisation inverse, l’hymne tchèque en slovaque, chanté par Petr Marek.
Après ce premier aperçu des manières innovantes de concevoir l’hymne national, nous allons découvrir les œuvres de l’artiste tchèque Mariana Alasseur. Inutile de justifier leur présence à l’exposition, ses œuvres évoquant systématiquement des symboles du pays : son drapeau, sa carte géographique et la fameuse montagne de Říp investie par Čech, figure mythique qui aurait fait venir les premiers Tchèques en Bohême et selon laquelle les Tchèques portent le nom. Mariana Alasseur explique ce qui lui permet d’aborder ces sujets de l’identité nationale avec plus de légèreté :« Pendant les quatre années que j’ai passées en France, j’ai près de la distance avec la Tchéquie. Je peux voir nos problèmes avec un certain recul et de l’humour. J’aime bien travailler avec les symboles de la République tchèque, notamment parce que je vis en bas d’une montagne typique, Říp, qui représente le pays. J’ai donc fait plein de tableaux et d’objets la représentant. »DOX présente le projet « Pour toi » (Pro Tebe) que l’artiste a réalisé avec son frère Jan Látal. Mariana Alasseur :
« C’est une idée qu’on a réalisée avec mon frère qui fait du cinéma documentaire. On a mis un grand drapeau devant le Théâtre national recouvert d’une couche de sable où chacun pouvait dessiner ou écrire ce qu’il voulait. Mon frère a mis la caméra sur le vieux bâtiment du Théâtre national et il a accéléré la vidéo au moment du montage, ce qui permet de voir les quatre jours et tous les dessins que les gens ont fait sur le drapeau tchèque sans forcément se rendre compte qu’il s’agissait du drapeau, parce que l’installation avait une surface de 70 m2. »
Cette vidéo est accompagnée de chants de l’hymne national, qui a une fonction précise dans tout le montage :« On voulait que ce soit vraiment des personnes de la rue, et on leur demande de chanter l’hymne national parce que dedans se trouvent les paroles ‘Où est ma patrie’. Ainsi, le son correspond au visuel. »
Autre installation de Mariana Alasseur présentée à DOX : une carte de la République tchèque ressemblant à du vomi. Nous avons demandé d’où lui est venue l’inspiration pour cette carte peu ordinaire :
« L’inspiration m’est venue quand j’étais assise devant mon ordinateur. Je voyais plein de choses dans les informations, la corruption dans la politique, etc., et en même temps j’avais mal au ventre. J’ai donc imaginé cette carte-là, qui est en plastique, mais je voulais qu’elle ressemble à du vomi réel dans les contours de la République tchèque pour illustrer les escrocs dans la politique. C’est un peu la catastrophe chez nous en ce moment. »En quittant Mariana, on ne s’éloigne pas pour autant d’elle, non seulement dans l’espace de l’exposition mais également par des liens familiaux, car nous avons interrogé son frère, Jan Látal, sur son autre projet. Mais avant cela, écoutons un troisième extrait d’une variation de l’hymne national, cette fois signée Přemysl Rut, qui s’intéresse en particulier à la chanson à texte.
Jan Látal et Jan Žaloudek, deux jeunes artistes, présentent à l’exposition une réponse plutôt intime à la question « qu’est-ce que ma maison ? ». Intitulé « Un jour dans la vie », leur projet consiste à exposer tous les objets appartenant à une personne sur le sol d’un hall, à commencer par ses slips et ses livres, son lit et jusqu’à la voiture, tout ou presque, sans censure. Jan Žaloudek explique les origines du projet et de la coopération entre les deux artistes :
« Il s’agit d’un projet commun que Jan et moi avons réalisé après deux ans de discussions. Depuis un certain temps, nous traitions dans nos travaux respectifs de sujets similaires à l’aide de méthodes similaires. Nous avons donc décidé de faire usage d’une approche documentariste et collectiviste nous permettant de dresser une carte de la vie d’une personne par rapport à des objets qui lui appartiennent. Il a été difficile de trouver un volontaire prêt à extraire tout ce qu’il possède pour l’exposer dans un environnement neutre et impersonnel. Par manque de volontaires, j’ai fait un premier essai sur moi-même, parce que j’y étais mieux préparé que Jan, et voilà le résultat. »
Jan Látal explique à son tour les points forts de ce projet :
« Ce que j’aime, c’est le caractère absolu du projet parce qu’il expose l’intégralité des objets de Jan Žaloudek, à commencer par une cuillère jusqu’à sa voiture. A travers cette expérimentation, nous avons essayé d’étudier jusqu’à quel point les choses définissent une personne et de constituer un diagramme de la vie vue de haut. Je pense que cette œuvre a encore des réserves. Elle serait plus parlante si on appliquait le même modèle à plusieurs autres personnes. On aurait alors vraiment épuisé son potentiel. »Si la question est donc de voir quelle importance nous accordons aux objets qui nous entourent, Jan Žaloudek, l’auteur ainsi que le premier volontaire du projet, estime que sa réalisation n’a pas été source de révélation particulière pour lui :
« Je suis dans une position particulière par rapport à ce projet. D’un côté, je suis l’auteur du schéma que nous avons développé. De l’autre, je suis directement concerné par ce schéma. C’est pourquoi je ne suis pas la personne la mieux placée pour le juger. C’était mon idée et en même temps mes affaires. J’ai donc un vécu unique par rapport à ce projet. Néanmoins, cette expérimentation m’a confirmé que les choses n’ont pas une importance particulière pour moi, que j’y suis assez peu attaché. »
L’exposition « Kde domov můj ? » est à voir au centre d’art contemporain DOX jusqu’au 3 janvier 2014. Outre la pléiade d’acteurs habituels de la scène artistique tchèque, ses visiteurs découvriront également d’auteurs peu connus et seront amenés, sur un fond musical inédit, à se poser la même question : « Où est ma maison ? », « Où est ma patrie ? » Nous nous quittons sur un dernier extrait de l’hymne national. Il se sert de la première phrase du texte pour en faire un rap dans lequel on retrouve Orion, James Cole, Hugo Toxxx, et la chanteuse Hana Hegerová.