Vladimir Körner : La littérature est pour moi un refuge dans les temps difficiles
C'est grâce à la maison d'édition Dauphin que les lecteurs tchèques auront la possibilité de lire les oeuvres complètes de l'écrivain et scénariste tchèque, Vladimir Körner, ayant reçu tout récemment le Prix national de littérature. Malgré cet honneur officiel qui pourrait lui apporter une certaine satisfaction, l'écrivain ne cache pas son amertume et sa déception à l'égard de la situation actuelle de la société et de la culture tchèque et ses opinions ont déjà provoqué des réactions négatives dans la presse. Vladimir Körner s'explique d'ailleurs la décision du jury par un heureux hasard. « Je crois que c'était une heureuse constellation, a-t-il dit au reporter du journal Lidove noviny, parce que dans le jury il y avait, cette fois-ci, des gens honnêtes et en plus surtout des Moraves et mes lecteurs des années 80. Cela n'arrive que rarement. »
Pessimiste dans la vie, Vladimir Körner l'est encore d'avantage dans son oeuvre qui puise ses sujets dans l'histoire ancienne et récente et brosse une image sombre du cheminement de l'humanité. Parmi les héros de ses écrits, il y a, entre autres, un évêque tchèque de la période de christianisation de l'Europe centrale, un chevalier teuton du Moyen-Age, un médecin renommé de la lisière des XVIe et XVIIe siècle, une infirmière de la Première guerre mondiale ou bien une jeune fille tchèque envoyée, pendant la Deuxième guerre mondiale, pour la rééducation en Allemagne. Ces personnages se retrouvent souvent dans des situations extrêmes, et voient s'effondrer les certitudes de leurs vies. Le professeur Ales Haman, chef du jury qui a attribué à l'écrivain le Prix national, remarque encore d'autres aspects importants des oeuvres de Vladimir Körner :
«Le motif de la fuite, du départ du milieu familial devient un moyen important par lequel l'auteur met en mouvement les sujets de ses oeuvres prosaïques. Il apparaît, par exemple, dans ses ouvrages situés au Moyen-âge « La vallée des abeilles », « La faux de sable » mais aussi ailleurs, par exemple, dans le récit « Naissance d'une source de montagne » inspiré sans aucun doute de ses souvenirs d'enfance. Ces fuites et ces départs sont situés dans des contextes différents, mais dans la majorité des cas, on peut les attribuer à une disharmonie familiale ou sociale. Par contre, on trouve chez Körner aussi le motif de retour, les retrouvailles avec le pays natal et la maison familiale qui deviennent pour les protagonistes un refuge illusoire ou la dernière station sur le chemin de la vie. »
Un des grands thèmes de l'oeuvre de Vladimir Körner est la guerre. Selon Ales Haman, à partir des années 1980 la guerre devient pour l'écrivain le symptôme durable du caractère catastrophique de l'histoire de l'humanité qui est la conséquence de la haine, de la colère et du manque d'amour.
« C'est la source de multiples cataclysmes historiques qui éclatent sur un fond de la nature qui est belle, certes, mais indifférente, cataclysmes qui ôtent à l'humanité l'espoir d'une vie meilleure. C'est ici que se forme le milieu typique pour les écrits de Körner, un milieu peuplé de gens déracinés, un milieu cruel de la destruction et de la mort où les moments plus clairs ne brillent que rarement et brièvement. »
Bien qu'il soit lauréat d'un prix littéraire qui d'ailleurs n'est pas le premier dans sa vie, en 1995 il a déjà reçu le prix de la fondation littéraire tchèque, Vladimir Körner ne cache pas que la littérature était pour lui surtout un moyen pour faire des films. Il a commencé à écrire des scénarios pour le cinéma et la télévision déjà dans les années 1960, après avoir fini ses études à la faculté de cinéma à Prague.
« La littérature est pour moi un refuge dans les temps difficiles, car j'ai une formation de cinéaste. Ce n'est donc que pendant les temps morts, quand on m'a interdit de faire des films, ce qui a été le cas pratiquement pendant toute la durée des années 1970 et 1990, que je me mets à écrire des livres. Mon dernier ouvrage est donc « L'homme trompé » de 1995. Depuis ce temps-là, je ne publie que des rééditions. »
Aujourd'hui, Vladimir Körner a à son compte une vingtaine de scénarios de films réalisés à la télévision et dans les studios de cinéma de Barrandov à Prague où il a été employé comme scénariste. Il déplore, cependant, qu'une partie importante de sa création n'ait pas été portée à l'écran.
« Je suis navré qu'à la télévision tchèque il y a la série en trois parties « La Mort de saint Adalbert », ou bien la réalisation de mon scénario « Post bellum » qui a commencé trois fois depuis 1984 et chaque fois on l'a arrêté. J'ai fait aussi un scénario d'après un conte de Zigmund Winter intitulé « L'enfer », qui n'a jamais été réalisé. Je pourrais continuer ainsi à énumérer indéfiniment mes scénarios qui ont été interdits de réalisation ou se sont heurtés au manque d'intérêt. Mais ce que je déplore surtout, c'est qu'aux studios de la Télévision publique de Brno il y a ma série réalisée et achevée, « Le Sang d'un disparu », que la Télévision de Prague refuse de présenter. »Parti en retraite prématurée, Vladimir Körner, est obligé de vivre aujourd'hui très modestement et le Prix national doté d'une somme de 300 000 couronnes, un peu plus de 10 000 euros, peut donc améliorer un peu sa situation sociale. Et ce qui est plus important encore, c'est qu'au-delà d'un apport financier, ce prix littéraire pourrait tirer de l'oubli sa création pour le cinéma et la télévision et la faire revenir sur le petit écran.