Vladimíra Klimecká : « Les femmes de mon livre ont toutes un peu de moi »
« J’aimerais qu’on me prenne pour une femme qui sympathise avec les femmes », dit Vladimíra Klimecká, qui a remporté le Prix littéraire du Club du livre 2013. Le jury de la 18e édition de ce prix a distingué son roman « La seconde vie de Marýna G. » (Druhý život Marýny G.), une œuvre qui raconte la vie de simples gens et peut être considérée comme un hommage rendu à la condition de la femme.
« C’est et ce n’est pas mon historie personnelle. C’est l’histoire de ma famille. On pourrait dire que c’est une espèce de saga familiale. Cela se passe dans le milieu dans lequel se déroulait aussi ma vie. Il y a même mon propre vécu, mais on ne peut pas dire qu’il s’agisse de moi et que tous les personnages de ce livre soient authentiques. Je me suis inspirée surtout des récits de membres de ma famille, de chroniques et d’autres livres, ainsi que d’ouvrages d’autres chercheurs. »
Les quatre personnages principaux du livre ont deux importants dénominateurs communs. Il s’agit des femmes qui sont liées par des attaches familiales et leur existence se déroule dans le massif des Beskides, une belle contrée très pauvre où les gens gagnaient difficilement leur vie. C’est aussi la patrie de Vladimíra Klimecká :
« Je suis née dans le massif des Beskides et j’aime beaucoup cette région, Valašsko - la Valachie morave. C’est une contrée extrêmement charmante, ravissante. Un conte populaire dit que Dieu a donné aux habitants de la région de Haná en Moravie des champs fertiles, qu’il a gratifié les habitants de la Moravie du Sud de terres propices à la viticulture, et que les Valachs n’ont reçu qu’un pays pauvre et austère mais d’une grande beauté. »C’est donc dans ce cadre charmant mais rude que se déroule l’enfance de Marýna, la première des quatre protagonistes du roman. Marýna naît vers la fin du XIXe siècle. Enfant de parents qui vivent et travaillent dans la ville d’Ostrava, grand centre industriel de la Moravie du Nord, elle est confiée dès son plus jeune âge à un couple de montagnards des Beskides. Marýna apprend à aimer ce pays entre ciel et terre, pays de montagnes, de forêts, de brume et de petits champs infertiles, et lorsque ses parents viennent la chercher pour la ramener chez eux à Ostrava, elle refuse de partir. Elle restera donc avec ses parents d’adoption et ne quittera plus leur modeste maison même après leur mort. Seule, fragile et souvent désemparée face aux épreuves de la vie, Marýna trouvera toujours assez de force pour continuer à vivre. C’est dans les montagnes qu’elle rencontre Josef, son futur mari. C’est là aussi qu’elle fonde sa famille, qu’elle réussit à nourrir et à élever ses enfants. C’est dans les Beskides que Marýna survivra avec ses proches aux intempéries, aux périodes de disette et aux deux guerres mondiales. Elle est le premier maillon de l’histoire familiale de Vladimíra Klimecká, l’histoire de petites gens qui n’ont cependant pas échappé aux retombées des grands événements de l’Histoire. C’était cela qui a été décisif pour Vladimíra Klimecká lorsqu’elle choisissait son sujet :
« Ce n’était pas un hasard. C’était l’évolution chronologique de tout un siècle. J’ai choisi quatre personnages à travers lesquels je voulais illustrer cette évolution. Mon livre commence en 1890, année de la naissance de ma grand-mère. C’est donc à partir de cette année-là que j’ai disposé de documents et de souvenirs concrets. Je me suis proposée de prendre la vie de la femme telle qu’elle était avec ses nombreuses péripéties. Avec le temps, les vies des femmes ont changé, comme leur mode de vie et l’essence même de leur existence. »Les personnages centraux du roman illustrent en quelque sorte la relativité de l’importance des choses. Ces quatre femmes qui vivent tout naturellement pour leur famille, ont accepté spontanément leur mission. Elles sont gardiennes du foyer. Elles font tout pour faire vivre, élever leurs enfants et pour les protéger des coups de sort. Les problèmes des gens de la plaine, ceux de la société majoritaire, ne sont pas leurs problèmes. La politique ne les intéresse que dans la mesure où elle touche brutalement leurs proches. Ces femmes mènent une vie simple sans désirer autre chose, et Vladimíra Klimecká démontre dans son roman que leur existence n’en a pas été moins importante :
« Il est vrai que j’évoque dans mon livre, comme l’a dit un journaliste, des femmes sans ambitions qui vivent leurs vies ordinaires. Mais c’est la vie ordinaire qui est en perpétuelle évolution et revêt donc une grande importance pour les futures générations. Je pense que ce sont justement ces femmes-là qui ont préparé le terrain pour que la prochaine génération puisse exister et se développer. C’est probablement l’impulsion principale qui m’a orientée vers la vie simple de tous les jours, et ce bien que je ne sache pas si j’ai réussi à saisir et à évoquer cela dans mon livre. Tandis que Marýna n’a lutté que pour sa survie, pour pourvoir nourrir et faire vivre ses enfants. Růža, elle, a pu avoir déjà certaines ambitions, elle pouvait même s’adonner à des activités artistiques. Par contre, Josefka représente dans le livre un retour en arrière, un retour à la tradition familiale. Quant à Fanny, c’est une femme qui vit déjà dans une situation complètement différente. Elle ne se fait plus de souci, n’est pas obligée de se demander ce qu’elle donnera à manger à ses enfants. Ses problèmes concernent plutôt elle-même. Elle se demande comment vivre, comment profiter de la vie. »
Mais c’est la vie ordinaire qui est en perpétuelle évolution et revêt donc une grande importance pour les futures générations.
Růža et Josefka font partie de la génération postérieure à celle de Marýna. Ce sont déjà des femmes nées au XXe siècle tout en restant assez différentes l’une de l’autre. Růža est une femme énergique qui recherche la compagnie des autres et ne manque pas de talent pour le théâtre. Elle joue et chante dans une opérette avec des comédiens amateurs du village, devient conteuse folklorique et ose même aller jusqu’à Prague pour demander de l’aide pour sa commune dans une institution de la capitale. Mais sa vie est loin d’être idyllique, car son mari est porté sur l’alcool, ce qui rend bien difficile son rôle de mère et d’épouse.
Josefka, elle, ressemble un peu à Marýna. Comme elle, Josefka se retrouve dans une situation difficile dès son adolescence. Orpheline de mère et fille d’un père malade, elle doit s’occuper, parfois seule, de la ferme familiale. Elle travaille au champ, s’occupe des bêtes et toutes ces obligations sont parfois au-dessus de ses forces. Cependant, malgré tous ces problèmes, Růža et Josefka arrivent à remplir leur mission première qui est celle de mère de famille.
La quatrième partie du livre est consacrée à Fany, notre contemporaine qui prolonge la lignée féminine de sa famille. Elle aussi est mariée et mère, mais sa situation est bien différente. Fany travaille dans un bureau et mène une vie plutôt aisée. Ses enfants sont déjà grands et son mari, un homme d’affaires, est très absorbé par son travail. Peu à peu, elle commence à ressentir un certain manque dans sa vie, un vide qu’elle n’arrive pas à combler. C’est elle qui est le personnage le plus proche de l’auteur du roman :
« C’est avec Fanny que je m’identifie le plus, parce que c’est une femme avec laquelle je partage beaucoup de choses. Mais toutes les quatre me sont proches, soit parce qu’il y a en moi un peu de chacune d’elles, soit parce qu’elles ont toutes un peu de moi. »
Quatre femmes, quatre destins, quatre gardiennes de foyer qui ont accompli leur mission. Vladimíra Klimecká se dit très heureuse que les femmes actuelles puissent exercer pratiquement toutes les professions et qu’elles soient libres. Elle déplore cependant que les femmes s’efforcent aujourd’hui tellement de s’imposer dans des domaines où elles ne sont pas indispensables. « Ce n’est pas au Parlement ou à des postes de manager que l’absence de femmes se fait le plus ressentir. Actuellement, la femme manque le plus dans la famille. C’est pourquoi les enfants deviennent agressifs et souffrent de dépressions », remarque Vladimíra Klimecká. Son roman, qui évoque avec un peu de nostalgie le temps où les mères appartenaient encore sans réserve à leurs familles, a donc aussi l’ambition de nous rappeler que, même aujourd’hui, c’est toujours la famille qui reste la principale mission de la femme.