Zdeněk Urbánek, le créateur du monde
Les Créateurs du monde, c’est sous ce titre que l’écrivain Zdeněk Urbánek a réuni ses essais, ses réflexions et même des épisodes de sa vie. Les trois tomes de ces textes, qui jettent un regard original sur le monde et la vie culturelle, sont probablement l’œuvre majeure de son auteur. Zdeněk Urbánek, une des figures importantes de la vie intellectuelle tchèque de la seconde moitié du XXe siècle, est né à Prague le 12 octobre 1917, il y a donc juste un siècle.
Le fils d’un fermier
D’abord prosateur, Zdeněk Urbánek a été au cours de sa longue vie aussi essayiste, critique, traducteur et théâtrologue. Ce fils d’agriculteur fait d’abord partie de l’avant-garde tchèque des années 1930 réunie autour du poète Kamil Bednář. L’historien de la littérature Vratislav Färber ajoute encore d’autres personnalités qui ont laissé leur empreinte dans la formation spirituelle de ce jeune adepte de la littérature :« C’était surtout son père, fermier protestant, qui figure souvent dans ses souvenirs, puis c’était son oncle Pavel et surtout le poète František Halas. Ce dernier s’est ouvert aux jeunes auteurs de la génération de Zdeněk Urbánek et leur a ouvert aussi sa bibliothèque personnelle. Les souvenirs de Zdeněk Urbánek démontrent qu’il a été influencé aussi par le poète Josef Hora, le critique et théoricien des arts plastiques František Kovárna, le journaliste Ferdinand Peroutka, mais aussi par les poètes Hanuš Bonn, Jan Hanč et Ladislav Dvořák, le compositeur Jan Rychlík ainsi que par le diplomate et journaliste Pavel Tigrid. »
Le romancier en herbe
En 1939, Zdeněk Urbánek est obligé d’interrompre ses études d’anglais et de tchèque car les universités de son pays sont fermées par les nazis. Pendant l’occupation allemande, il travaille d’abord comme rédacteur d’une maison d’édition et puis il devient cocher à la ferme de son père pour échapper au service du travail obligatoire en Allemagne. Il est profondément atteint par le sort tragique de ses amis juifs dont le poète Jiří Orten qui n’échappe que par une mort accidentelle à la déportation dans les camps d’extermination. A cette époque, Zdeněk Urbánek cache chez lui les œuvres de cet ami prématurément disparu. Il est cependant déjà, lui aussi, l’auteur de plusieurs livres qui reflètent le conflit intérieur de l’individu avec le monde. Vratislav Färber retrace cette première étape de la création de ce jeune écrivain à la recherche de ses moyens :« Il a débuté dans la littérature comme un auteur de prose lyrique qui était un genre ‘dans le vent’ à l’époque. C’étaient les romans L’Aurore de la tristesse, L’Insolation par les ténèbres ou l’essai d’une saga familiale intitulé L’Histoire de Dominique le pâle. Puis il a tenté d’écrire un roman biographique sur le jeune Cervantès, Sur le chemin de Quichotte. Cet esprit d’expérimentation était typique pour Zdeněk Urbánek, écrivain qui s’est essayé à de nombreux genres. Ses premiers livres font partie de ces essais. »
La traduction littéraire comme un moyen de survivre sous l’arbitraire
Après la Deuxième Guerre mondiale, il semble que rien ne s’oppose plus à la carrière de Zdeněk Urbánek. Il reprend son travail d’éditeur et devient même fonctionnaire au ministère de l’Information. Mais cet engagement n’est que de courte durée. La situation après l’instauration du régime totalitaire en 1948 n’est pas propice à la création de cet intellectuel libéral qui cesse pratiquement de publier ses œuvres. En 1957, il est atteint de tuberculose et, après la guérison, il ne publie que des traductions d’auteurs anglais et américains. Vratislav Färber revient à ses plus grandes réussites dans le domaine de la traduction :« Je crois que ce sont les traductions des poètes Egard Lee Masters et Walt Whitmann. Ce qui est important, c’est le fait que Zdeněk Urbánek était poète et ce sont donc des traductions de poète. Je dirais que pour les jeunes générations, et non seulement pour celle des années soixante, c’étaient ses traductions de Saroyan qui revêtaient la plus grande importance mais je mettrais pourtant l’accent sur ses traductions de poésies. Et puis, il y a son approche de Shakespeare qui était, à la différence des traductions d’Erik Adolf Saudek, celle d’une nouvelle génération, une approche qu’on pourrait dire ‘civiliste’, et qui a ouvert le chemin à d’autres traducteurs modernes. »
La Charte 77 et la dissidence
A partir du début des années 1950, Zdeněk Urbánek fait partie du cénacle qui se réunit régulièrement autour du poète et plasticien Jiří Kolář au café Slavia à Prague et parmi lesquels il y a le peintre Kamil Lhoták, le compositeur Jan Rychlík, l’écrivain Josef Hiršal et le dramaturge Václav Havel. L’amitié qui nait entre Zdeněk Urbánek et Václav Havel est profonde et durable. Zdeněk Urbánek devient une espèce de mentor pour son jeune collègue et le premier lecteur des œuvres de Václav Havel. Et il deviendra aussi son compagnon dans les combats politiques.Zdeněk Urbánek est un des premiers signataires de la Charte 77, un document qui appelle les autorités communistes à respecter les droits de l’Homme et obtient un retentissement mondial. C’est avec Václav Havel qu’il distribue le texte de la Charte et c’est avec lui qu’il subit aussi les conséquences de la colère des dirigeants communistes et les représailles de la police politique. C’est pourtant à cette époque, dans les années 1970-80, que Zdeněk Urbánek publie assez souvent ses textes critiques en samizdat. Son heure de gloire n’arrivera cependant qu’après la chute du régime communiste en 1989.
Un homme intègre et sensible
Le vieux monde chavire, la censure est supprimée et une nouvelle perspective s’ouvre devant l’écrivain vieillissant qui entre dans la dernière étape de sa création. Son ami Václav Havel, qui devient président de la République, renonce pratiquement à la littérature et n’écrit que des discours politiques. Zdeněk Urbánek, lui, publie entre autres un recueil de ses essais sur le théâtre sous le titre Les Maisons pleines d’événements, un livre de portraits critiques de personnalités remarquables de la littérature tchèque intitulé Les Cas spéciaux et finalement la trilogie Les Créateurs du monde, son chef d’œuvre qui paraît entre 1995 et 1997. Vratislav Färber cherche à définir le genre de ces ouvrages insolites :« C’est un genre très polyvalent qui mélange la prose, le souvenir, le portrait, l’essai, ce n’est pas ancré dans aucun genre concret, c’est donc un genre ouvert à tout et qui est spirituellement très productif. Il était également théâtrologue, dans ses textes se reflètent entre autres ses activités de traducteur et il a publié aussi ses journaux intimes. C’est donc un genre confus et très spécial, un genre vivant. »
C’est donc comme un auteur qui échappe à toute classification que Zdeněk Urbánek est finalement entré dans l’histoire de la littérature tchèque. Ami des meilleurs artistes tchèques de son temps, témoin, critique et glossateur de l’évolution artistique de la seconde moitié du XXe siècle, Zdeněk Urbánek a été aussi un homme courageux, un résistant obstiné à toute forme d’arbitraire, un homme intègre. En 2008, Václav Havel a beaucoup regretté le départ de celui qui a été toujours son premier lecteur et son premier critique mais aussi un ami d’une grande sensibilité. C’est par ces paroles qu’il a résumé un jour les traits particuliers de la personnalité de Zdeněk Urbánek :« Dans ses textes, Zdeněk s’identifie complètement avec tout ce qu’il fait dans la vie. C’est un libéral et un démocrate orienté plutôt vers la gauche. Cependant, toutes les idéologies et tous les dogmes lui sont complètement étrangers. Il est plutôt athée mais je souhaiterais à beaucoup de chrétiens de pouvoir faire preuve d’au moins la moitié de l’humilité propre à la nature de Zdeněk Urbánek. »