15 ans après l’adhésion à l’UE, les Tchèques toujours considérés comme eurosceptiques
Depuis l’entrée du pays dans l’Union européenne, le 1er mai 2004, les Tchèques sont considérés comme étant parmi les plus eurosceptiques de tous les habitants des Etats de l’union – ce que viennent plus ou moins régulièrement confirmer les sondages sur la question. En 2019, cet euroscepticisme est-il une réalité certaine ou un cliché ? C’est la première question posée au politologue Lukáš Macek, directeur de Sciences-Po Dijon:
« Au-delà de ces sondages, je pense qu’on peut qualifier la République tchèque de pays plus eurosceptique que la moyenne, du fait de la structuration de la classe politique par rapport à l’enjeu européen. Il y a peu de pays où pendant des années, avec Vaclav Klaus, une voix aussi importante que celle du président de la République portait un discours radicalement eurosceptique. Il a ensuite été remplacé par le président Zeman qui certes se dit fédéraliste européen mais est en décalage flagrant par rapport à la politique européenne sur beaucoup de sujets. »
« Ce n’est pas si fréquent que ça non plus que le parti ODS, qui pendant des années était le plus important sur l’échiquier politique nationale à droite, soit membre du groupe eurosceptique avec les conservateurs britanniques au parlement européen, tandis que ce sont des partis presque marginaux qui siègent dans le grand groupe du PPE.
« Tout ça mis bout à bout fait que la Tchéquie est un pays plus eurosceptique que la moyenne, mais il y a toute une partie de l’opinion publique, de la classe politique, de la société civile, des ONG ou le secteur académique qui sont très favorables à l’UE. »
Les élections européennes se déroulent dans trois semaines et on redoute un fort taux d’abstention, encore plus bas qu’il y a cinq ans - seuls 18,2% des électeurs tchèques ont voté en 2014. Est-ce une conséquence de cet euroscepticisme, selon vous ?« Je pense que globalement la participation électorale en République tchèque et plus généralement en Europe centrale n’est pas satisfaisante. D’ailleurs c’est assez choquant que désormais on considère normal que même pour des élections législatives on ne dépasse pas 50% ou 60% de participation. Quand vous avez quatre à cinq électeurs sur dix qui ne se déplacent pas on voit bien qu’il y a un problème plus profond du système politique en tant que tel. »
« Maintenant, il y a une spécificité des élections européennes. Effectivement cela peut être en partie une conséquence de l’euroscepticisme, même si dans le même temps des partis eurosceptiques mobilisent aussi, puisqu’on a vu dans le passé des succès de formations eurosceptiques voire europhobes. »« Il y a un énorme problème de visibilité du Parlement européen. Les eurodéputés tchèques ont peut-être quelques remords à avoir quant à leur implication sur le terrain. Certains mettront en cause la couverture médiatique, mais pour de nombreuses personnes, le Parlement est une institution obscure et lointaine où les eurodéputés tchèques sont en sous-nombre et surpayés… C’est dommage parce qu’on voit bien qu’un eurodéputé actif peut par son travail acquérir un rôle important, quelle que soit sa nationalité ou la formation à laquelle il appartient. »
Unité de façade des partis nationalistes
La semaine dernière à Prague, plusieurs partis d’extrême droite ont voulu afficher leur unité, avec notamment autour du Tchèque Tomio Okamura le Néerlandais Geert Wilders et la Française Marine Le Pen, avec aussi l’Italien Matteo Salvini via un écran vidéo. Est-ce selon vous une unité de façade ou une véritable union capable de former un des groupes les plus influents dans le prochain parlement européen?« Je pense que c’est un peu une illusion d’optique. Effectivement on les entend beaucoup et c’est attractif pour les médias. Ce n’est pas nouveau. La logique transnationale caractérise tous les partis. Même si effectivement certains la mettent plus en avant que d’autres, quasiment tous les partis sont affiliés à un parti politique européen qui, en cas de succès électoral, s’exprimer à travers l’existence d’un groupe politique au Parlement européen. »
« Et quand vous creusez un peu le cas de ces partis, c’est une unité de façade qui rappelle un peu le Brexit – c’est l’union de tous les ‘non’, sans possibilité de projet commun positif. Un exemple très simple : une des revendications principales de M. Salvini, qui est un peu le leader naturel de ce petit monde-là, est davantage de solidarité européenne pour la répartition des migrants qui arrivent sur le sol italien. Est-ce que M. Okamura propose la même chose ? Je n’en ai pas tout à fait l’impression… Donc en fait ce sont des partis qui seraient bien en mal de construire un projet commun ou de gouverner ensemble. Ou alors ils y arriveraient un moment, le temps d’éradiquer tout ce qu’ils n’aiment pas. Parce qu’il y a beaucoup de choses qu’ils sont ensemble à ne pas aimer, mais leurs projets pour leur pays et pour l’Europe sont souvent parfaitement contradictoires. »« L’élargissement met-il en péril le projet européen ? »
Vous avez publié en 2011 à la Documentation française un livre intitulé « L’élargissement met-il en péril le projet européen ? ». Est-ce que votre réponse à cette question serait différente aujourd’hui, huit ans après ?« Si je devais faire une deuxième édition, je reformulerais certaines pages et surtout en écrirais de nouvelles. Mais ma réponse ne diffèrerait pas fondamentalement, tout simplement parce que pour moi l’élargissement EST le projet européen. Le projet européen ne peut être européen s’il n’a pas vocation à impliquer tous les pays européens. Après, ceux qui ne veulent pas ne sont pas obligés de suivre. Mais ce projet européen ne peut faire l’objet d’une captation par quelques pays qui décideraient de faire une Europe entre eux sans les autres… »
Une idée qu’on entend de plus en plus en France…
« Oui, on l’a toujours entendu et pas seulement en France. C’est vrai que l’élargissement est un bouc émissaire qui a très très bon dos. Objectivement, il créé une complexité et c’est clair que c’est plus compliqué de fonctionner dans une Europe à l’échelle continentale. Encore que, si vous regardez les psychodrames vécus par l’Europe au début avec six membres, la CED, De Gaulle, la crise de la chaise vide, etc. Même à six, c’était tout sauf facile. Finalement, l’effet du nombre a tendance à être surestimé et cela permet trop facilement de rejeter la faute et la responsabilité d’échecs sur certains Etats. »
« Pour moi le projet européen doit avancer avec institutions, procédures et règles. Personnellement, je pense qu’il faut que le principe de la majorité soit accepté, voire peut-être aller un peu plus loin sur certains sujets. Il faut surtout que la minorité apprenne à respecter le fait d’être mise en minorité sans taper sur la table comme on a pu le voir récemment. »« Le projet européen a désormais un gros problème avec le départ du Royaume Uni ; l’unicité du projet est mise à mal, parce que le Royaume-Uni va probablement devenir une sorte de pôle alternatif, même s’il est tout seul pour le moment. Je pense en tout cas que ce n’est pas le moment de s’amuser à refaire une petite Europe réduite à certains de ses membres actuels. »
En tout cas, il semble que la difficulté du Brexit ait calmé quelques ardeurs côté tchèque chez les eurosceptiques. C’est votre avis ?
« Le Brexit montre que ce n’est pas si simple que ça de quitter l’UE. Et encore s’il y a bien un pays pour qui ce départ semblait relativement facile, c’était bien le Royaume Uni. Il bénéficiait déjà de beaucoup de dérogations et le fantasme d’un retour à une sorte d’empire britannique renouvelé dans une globalisation qui se passe de l’échelon européen a quelques bases sérieuses même si c’est pour moi une vision erronée et complètement illusoire. Est-ce que la République tchèque peut raisonner de la sorte ? Je ne le crois pas. Et si elle n’aime pas sa dépendance vis-à-vis de l’UE, alors la République tchèque va forcément s’exposer à d’autres dépendances qui seront pires et nettement moins respectueuses et moins en accord avec nos intérêts profonds. »