70 ans depuis la découverte de la Vénus « élancée » de Petřkovice

La Vénus de Petřkovice

Récemment exposée exceptionnellement sur le site même de sa découverte, la Vénus de Petřkovice, petite statuette préhistorique vieille de 23 000 ans a été mise au jour le 14 juillet 1953, il y a 70 ans. L’occasion de revenir sur son caractère unique et sur l’originalité de la culture préhistorique dont elle est issue et qui est particulièrement riche sur le territoire tchèque.

La Vénus de Petřkovice et la Vénus de Věstonice | Photo: Kozuch,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0

On connaît les statuettes paléolithiques aux formes féminines particulièrement généreuses et voire accentuées, dont la Vénus de Věstonice, retrouvée en Moravie du Sud, est un exemple célèbre. Plus au nord, à côté d’Ostrava, et issue de la même civilisation gravettienne, la Vénus de Petřkovice (ou de Landek) présente des caractéristiques quelque peu différentes : haute de 4,6 centimètres à peine, taillée dans de l’hématite noire, une pierre réputée difficile à tailler, la petite figurine sans tête présente un corps nu élancé, bien loin des formes plantureuses de ses congénères.

C’est un cas unique en Europe pour cette époque : la Vénus de Petřkovice est datée d’il y a 23 000 ans avant notre ère, et il faut attendre le Magdalénien, soit la période allant de 17 000 à 12 000 ans pour voir se multiplier des représentations féminines plus sveltes.

D’où l’intérêt de la présenter au public local, à l’occasion du 70e anniversaire de sa découverte : c’était chose faite la semaine dernière, où pendant trois jours, les visiteurs ont pu la voir au Musée de la mine, comme le relevait le responsable des expositions Ján Hlobil :

Ján Hlobil | Photo: ČT24

« Pour être honnête, lorsque j’ai approché pour la première fois le directeur de l'Institut archéologique de Brno où la Vénus est conservée, j’ai eu peur qu’il ne soit pas d’accord. Nous avons commencé à négocier le prêt dès la fin du mois de février de cette année. Mais je pense qu’ils ont compris que le 70e anniversaire de sa découverte justifiait notre demande.  »

Phénomène artistique de grande ampleur, développées pendant l’Aurignacien et le Gravettien soit de 42 000 à 23 000 ans avant notre ère, ces Vénus ont été retrouvées un peu partout depuis la Sibérie jusqu’aux bords de l’Atlantique. Leur signification réelle n’a jamais été percée, entre canon esthétique et érotique, représentation d’une femme enceinte, amulette protectrice… A qui étaient-elles destinées et dans quel but ? Aux hommes, aux femmes ? Autant de questions dont les réponses ont été suggérées ou esquissées par les archéologues et les anthropologues, mais sans pouvoir donner de réponse définitive.

Une chose est sûre, c’est que la Vénus de Petřkovice a été mise au jour sur la colline de Landek, à Petřkovice, près d’Ostrava, en Moravie-Silésie, sur un site qui, dans cette région dont la prospérité au cours des derniers siècles est due au charbon, a montré des traces d’utilisation de la houille déjà à l’époque préhistorique. Pendant des millénaires, la petite Vénus est restée enfouie sur cet ancien lieu de campement de chasseurs de mammouths : c’est d’ailleurs sous une dent d’un de ces pachydermes poilus depuis longtemps disparus qu’elle a été découverte.

Outre son originalité formelle, la Vénus de Petřkovice nous rappelle également que la Moravie fut le cœur battant de la civilisation gravettienne (31 000 – 23 000 avant le présent), une culture préhistorique de l’âge de la pierre qui s’est particulièrement épanouie dans cette région d’Europe centrale, comme nous le rappelait il y a quelques mois, le préhistorien Marcel Otte :

Marcel Otte | Photo: Mary Etienne,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0

« Du point de vue de l’importance de cette région, il faut dire que nous sommes au centre du continent sur le plan géographique. D’autre part, nous sommes loin des mers, ce sont donc des populations qui étaient migrantes, qui chassaient le mammouth principalement mais aussi le renne, le cheval et qui étaient particulièrement bien représentées en Moravie. Là, nous sommes en effet entre deux ères : entre l’ère septentrionale soit la Pologne actuelle, et l’ère méridionale, c’est-à-dire l’Autriche actuelle. Il y a là une concentration importante de sites du fait qu’il y a des matériaux de pierre abondante, de qualité, et une chasse très fructueuse. C’est en effet une région très giboyeuse pendant ce qu’on appelle le pléistocène. D’autre part, il y a un dépôt lœssique soit un dépôt sédimentaire apporté par le vent. De telle sorte qu’il est déposé très rapidement et de façon légère : le vent ne perturbe pas comme une rivière les vestiges archéologiques qui sont dessous. Donc dans cette espèce de golfe du bassin de Vienne, au nord de Vienne, via Brno et jusqu’à la frontière polonaise (donc la région d’Ostrava, ndlr), il y a ces dépôts éoliens qui ont cette particularité d’être carbonates : ils n’ont pas d’acide, ils n’attaquent pas les matières organiques, se déposent de manière couvrante. On parle d’un manteau de lœss. Il y a donc ces aspects contingents, géographiques et culturels. »

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Si la civilisation gravettienne couvre toute l’Europe, puisqu’on la retrouve aussi bien en Russie qu’en France, elle présente en Moravie une très grande continuité et pourrait, selon certains préhistoriens en être originaire, plutôt que de la région actuelle de l’Hexagone d’où elle tire d’ailleurs son nom avec le site de La Gravette en Dordogne.

Quoiqu’il en soit, la valeur de ces statuettes féminines préhistoriques est telle que chacun de leur déplacement se fait sous bonne escorte, digne d’une personnalité publique, et sont rarement exposées plus que quelques jours hors de leur lieu de conservation. Petite exception de taille en 2013 où la Vénus de Petřkovice a traversé la Manche et été exposée plus de trois mois au British Museum. Il n’en fallait pas moins pour faire découvrir au plus grand nombre un exemplaire de ce que certains considèrent pour sa forme comme la « première œuvre d’art cubiste au monde ».

Auteur: Anna Kubišta
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