70e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz : la Pologne reproche aux Tchèques leur concurrence

Auschwitz, photo: Barbora Kmentová

La Pologne ne verrait pas d’un bon œil le forum international et les cérémonies qui se tiendront les 26 et 27 janvier en République tchèque, au Château de Prague et à l’ancien ghetto de Terezín, à l’occasion du 70e anniversaire de la libération du camp de concentration d’Auschwitz. Parallèlement ou presque, le 27 également, au musée d’Auschwitz, est en effet prévue une grande cérémonie internationale de commémoration sur laquelle les autorités locales ne souhaitent pas qu'ombre soit faite. A en croire la presse varsovienne, la chef du gouvernement Ewa Kopacz aurait même fait part de son indignation au Premier ministre tchèque Bohuslav Sobotka. Mais à Prague, on dément tout malentendu.

Auschwitz,  photo: Barbora Kmentová
Organisé par le Congrès juif européen en coopération avec le Parlement européen, le forum qui aura pour théâtre la capitale tchèque sera la quatrième rencontre du genre appelée « Let My People Live ». Celle-ci s’est tenue pour la première fois en 2005 à Cracovie, précisément à l’occasion du 60e anniversaire de la libération d’Auschwitz, avant de se déplacer à Kiev en 2006, cette fois pour le 65e anniversaire du massacre de Babi Yar, puis de revenir à Cracovie en 2010, de nouveau pour l’anniversaire, le 65e, de la libération d’Auschwitz. Si le forum, le quatrième du nom donc, se tient à Prague, c’est en raison de la signature, il y a cinq ans de cela, lors de la présidence tchèque de l’Union européenne, de la Déclaration dite de Terezín, du nom de l’ancien ghetto juif situé en Bohême centrale, à une soixantaine de kilomètres au nord de Prague. Le thème retenu pour cette année est la montée de l’antisémitisme et de l’extrémisme dans le monde.

Terezín,  photo: Denisa Tomanová
Pour marquer le coup, le ministère tchèque des Affaires étrangères a invité les représentants des 46 pays qui ont signé cette Déclaration de Terezín en 2009, texte devant permettre de poursuivre le processus de réparation des spoliations subies par les Juifs pendant le régime nazi. Et ce sont probablement ces nombreuses invitations qui gênent la partie polonaise, du moins si l’on s’en tient à ce qu’affirme Roman Imielski, rédacteur en chef adjoint du journal Gazeta Wyborcza interrogé par le correspondant de la Télévision tchèque en Pologne :

« Du point de vue de Varsovie, il existe deux problèmes. Le premier est que le président tchèque Zeman organise à Prague une manifestation qui concurrencera les cérémonies d’Auschwitz. Et le second est qu’il a invité officiellement le président russe Vladimir Poutine. »

En réponse à la première de ces accusations, le ministère des Affaires étrangères a indiqué que la République tchèque avait été sollicitée par le Congrès juif européen et le Parlement européen pour l’organisation du forum et qu’il lui avait semblé de son devoir de répondre par l’affirmative.

Miloš Zeman,  photo: ČTK
En revanche, le président de la République, Miloš Zeman, a bien invité, malgré les critiques, Vladimir Poutine en tant que représentant de l’un des quatre pays vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale, et ce donc au même titre que Barack Obama, David Cameron et François Hollande. Même si le président russe ne viendra probablement pas, et qu’il ne se rendra pas non plus à Auschwitz, comme il l’a fait savoir ce mardi, cette invitation a été mal perçue en Pologne. « Les Tchèques, qui ne sont pas partisans de sanctions dures contre la Russie, font un cadeau à Poutine en organisant des célébrations concurrençant celles que prépare la Pologne au musée d’Auschwitz. C’est étrange », pouvait-on ainsi lire la semaine dernière dans la Gazeta Wyborcza, qui citait un membre du bureau de la présidente du Conseil des ministres polonais. Cependant, le Premier ministre Bohuslav Sobotka affirme que, contrairement à ce que prétend le quotidien polonais, la ligne téléphonique entre Prague et Varsovie n’est nullement brouillée :

Bohuslav Sobotka,  photo: ČTK
« Tout cela me rappelle un peu les informations de Radio Erevan (station de radio fictive inventée sous l’ancien régime communiste en Union soviétique et dans ses pays satellites qui permettait de diffuser des informations humoristiques, ndlr), car la Première ministre polonaise ne m’a jamais appelé pour parler de cette affaire. Au contraire, c’est moi qui ai abordé le dossier et qui ai informé Ewa Kopacz lors de sa visite à Prague que les cérémonies organisées en République tchèque ne concurrençaient en aucun cas quoi que ce soit. »

Finalement, ce sont les présidents de parlement de vingt-cinq pays ainsi que celui du Parlement européen, Martin Schulz, qui ont répondu à l’invitation tchèque et devraient être présents à Prague. Et là aussi, à en croire Hynek Kmoníček, directeur du département en charge des affaires étrangères au Château de Prague, cela ne poserait souci à personne :

Hynek Kmoníček,  photo: Miloš Turek
« Je ne tiens ces informations que des médias. Les présidents Zeman et Komorowski se sont rencontrés au moins huit fois l’année dernière en raison des cérémonies organisées pour le 25e anniversaire de la chute des régimes communistes dans la région. Si donc la Pologne avait des reproches à nous faire, elle en a eu l’occasion à maintes reprises. Or, nous n’avons eu écho d’aucun reproche, et ce pour une simple raison, à savoir que les manifestations qui se tiendront dans chacun de nos pays ne se font pas de concurrence et se complètent. Leur contenu, leurs invités et leur public sont même très différents. Pour ce qui est des dates, elles ne sont pas en collision non plus. Ceux qui voudront participer aux deux manifestations, en Pologne comme chez nous, le pourront sans problème. »

Reste quand même qu’il faudrait sans doute être le président tchèque pour pouvoir être à Prague, à Terezín et à Auschwitz dans la même demi-journée.