Auschwitz : les survivants tchèques se souviennent
Trois quarts de siècle après la libération du camp d’extermination nazi d’Auschwitz, les médias internationaux ont rapporté les souvenirs des derniers survivants du génocide juif. Les journalistes tchèques, eux aussi, sont allés à la rencontre de ceux qui ont vécu l’enfer nazi comme enfants ou adolescents.
« J’avais dix ans quand Hitler a envahi la Tchécoslovaquie. Cet événement a totalement bouleversé ma vie. Avant la guerre, mon père a réussi à s’enfuir en Angleterre. Ma mère, ma sœur et moi, nous avons essayé de le rejoindre, en passant illégalement par la Pologne, d’où nous avons été obligées à retourner, en 1940, en Tchécoslovaquie. »
Agée aujourd’hui de 90 ans et installée depuis la fin de la guerre à Londres, Lydie Tischlerová a récemment raconté ses souvenirs à la Radio tchèque, ainsi qu’à la BBC. Originaire d’une famille juive d’Ostrava, en Moravie-Silésie, elle a été déportée, avec sa mère et sa sœur, d’abord dans le ghetto juif de Terezín, puis, en 1942, à Auschwitz-Birkenau :« C’est assez paradoxal, mais les deux années que j’ai passées à Terezín, m’ont fait découvrir l’univers de la culture, la musique de Verdi par exemple. Par ce qu’il y avait plein de gens brillants et talentueux qui y ont été internés : des musiciens célèbres, des compositeurs, des professeurs… La vie y était culturellement très riche, car les nazis l’ont permis. Evidemment, à Auschwitz, c’était tout autre chose… »
« Ma mère et ma sœur ont été déportées à Auschwitz. Moi, je travaillais en tant que jardinière et j’étais censée rester à Terezín. Mais je suis partie avec elles, volontairement, je ne voulais pas que l’on nous sépare. Or ma mère, je ne l’ai plus revue, elle est morte dans une chambre à gaz, ce que je n’ai appris que quelques années plus tard. Ma sœur aînée a failli s’évanouir lorsqu’elle m’a aperçue à Auschwitz, elle croyait que j’étais restée à Terezín, relativement en sécurité. Lorsque je suis passée devant le docteur Mengele qui faisait la sélection des déportés, il a dit que j’étais ‘forte comme un cheval’ et c’est ainsi que j’ai échappé à la mort. »
Jiří Fišer, l’un des jumeaux cobayes du docteur Mengele
Un autre rescapé tchèque du plus notoire des camps nazis, Jiří Fišer, a publié son témoignage dans un livre intitulé « Mengeleho dvojče A-782 », paru ce lundi. Agé de 84 ans et installé avec sa femme à Mohelnice, en Moravie, Jiří Fišer y raconte les expériences que Josef Mengele pratiquait sur lui-même et son frère jumeau. On écoute le journaliste Pavel Baroch qui a recueilli les souvenirs de Jiří Fišer :« Les recherches que j’ai menées ont démontré que Jiří Fišer était probablement le dernier ‘jumeau de Mengele’ en République tchèque. Lui-même m’a dit avoir vu à Auschwitz des jumeaux originaires de plusieurs pays d’Europe : d’Autriche, de Hongrie, de Slovaquie par exemple. On ne sait pas combien d’entre eux provenaient du Protectorat de Bohême-Moravie, ils pouvaient être des dizaines ou même des centaines. »Jiří Fišer et son frère Josef sont arrivés à Auschwitz en mai 1944, alors qu’ils étaient âgés de huit ans. Tout comme Lydie Tischlerová, les petits garçons sont d’abord passés par le ghetto de Terezín. Et tout comme elle, ils n’ont plus revu leur mère, partie pour la chambre à gaz. Ils ont eu la chance d’être parmi les quelque 80 jumeaux qui ont survécu aux terribles expérimentations de Josef Mengele : celles qu’ont subies les frères Fišer consistaient en injection de divers produits dans les yeux pour changer leur couleur…
L’après-Auschwitz
Après la guerre, Jiří Fišer s’est engagé, pour quelque temps, au sein de l’Armée tchécoslovaque, tandis que Lydie Tischlerová a étudié la psychologie à Londres. Marquée par l’expérience des camps nazis, elle a apporté, pendant toute sa carrière professionnelle, une aide aux enfants traumatisés. Un travail qui lui a finalement permis de surmonter son propre trauma d’Auschwitz :« J’ai eu deux amies à Londres, deux filles que j’ai connues à Terezín. A chaque fois que nous nous sommes rencontrées, nous avons fini par parler de cela, de nos souvenirs de la guerre. Lorsque j’ai étudié la psychologie, j’ai appris que c’était une manière de surmonter un traumatisme. »
« Ma sœur qui a survécu, elle aussi, à Auschwitz, se sentait coupable de la mort de notre mère, ce qui a détruit sa vie. Seul un traitement psychologique aurait pu l'aider à se débarrasser de cette fausse culpabilité. »