A Cannes, le cinéma tchèque vit sur son passé

Photo: CS Film

Le 71e festival de Cannes s’est certes clos samedi dernier, mais il n’est pas trop tard pour revenir sur l’un des plus importants événements du cinéma mondial. Si le cinéma tchèque contemporain y brillait particulièrement par son absence, ce n’était pas le cas de films plus anciens, avec la projection de la version restaurée et numérisée des Diamants de la Nuit de Jan Němec ou un hommage rendu au cinéaste Miloš Forman, décédé le 13 mai dernier.

Gilles Jacob  (au centre) | Photo: Plyd,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0 DEED
« Miloš, je le connaissais depuis son deuxième film, Les Amours d’une blonde. L’As de pique, je l’avais déjà vu, mais sans avoir fait sa connaissance. Je l’ai rencontré grâce à Claude Berri qui était son coproducteur français. J’avais beaucoup d’admiration pour lui parce que d’abord, c’était un homme qui avait un humour extraordinaire. Et puis, il a en quelque sorte inventé la Nouvelle Vague tchécoslovaque en même temps qu’on inventait la Nouvelle Vague française. »

Ancien président du festival de Cannes jusqu’en 2014, Gilles Jacob s’est souvenu avec émotion du réalisateur tchèque, dont l’œuvre a marqué le cinéma bien au-delà des frontières tchèques. Miloš Forman, dont le film Au feu, les pompiers !, aurait dû être présenté en compétition à Cannes en 1968, tout comme Un Eté capricieux de Jiří Menzel et La Fête et les invités de Jan Němec, autant de perles du cinéma tchécoslovaque qui ne furent jamais projetées après l’annulation du festival dans le contexte bouillonnant de Mai 1968 :

Photo: Ottovo nakladatelství
« Le festival commence, et il commence également à y avoir des remous, des histoires. Soudain, les metteurs en scène descendent de Paris, Truffaut, Godard, Resnais, et d’autres… Il commence à y avoir une ébullition énorme, tout le monde envahit la grande salle de l’ancien palais à l’époque. Et on arrête les projections. Il y avait des discussions à n’en plus finir, ils parlaient jour et nuit… Finalement, la police a déclaré qu’elle ne pouvait pas garantir la sécurité du festival, et de cœur triste, le directeur a décidé de l’arrêt du festival. Tout le monde est rentré chez soi. Et c’est comme cela que les Tchèques n’ont jamais eu les prix qu’ils auraient pu avoir. Ce sont eux qui ont été les plus pénalisés cette année-là. »

Responsable de la section Cannes Classics, Gérald Duchaussoy a également programmé un hommage à Miloš Forman, lors de l’ouverture de la 71e édition du festival de Cannes, et ce, dans le cadre du Cinéma de la plage :

« On a eu envie de célébrer le génie de Miloš Forman. C’est vrai qu’on avait particulièrement envie de montrer un film de la période tchèque. On a travaillé avec les Archives nationales du film à Prague, qui sont une institution très réactive, dynamique et déterminée. On a pu montrer Au feu, les pompiers !, qui est une comédie. On aime bien montrer aussi des comédies, que ce soit à Cannes Classics ou sur la plage. C’est une comédie vraiment atypique, à la fois politique, fine, kafkaïenne, ubuesque, et en plus très courte. C’est assez extraordinaire, ce ton, ce thème et ce rythme ! Il y a cet humour très spécifique et un aspect visuel étonnant, avec des couleurs atypiques dans le cinéma des années 1960. »

Les Diamants de la nuit,  photo: CS Film
Autre film tchèque de cette période projeté à Cannes, en version restaurée et numérisée, Les Diamants de la nuit, de Jan Němec, dans le cadre de Cannes Classics. Un film qui raconte l’histoire de deux jeunes hommes qui s’échappent d’un train devant les amener en camp de concentration, aux antipodes de celui de Forman, comme le rappelle Gérald Duchaussoy :

« C’est un film méditatif, oui, onirique aussi. Cauchemardesque aussi. C’est vraiment comme cela que je vois le film. Il y a tout un pan du film qui nous plonge dans le cauchemar, aussi bien la poursuite que les avancées dans le temps, les retours dans le temps. Tout ce décalage fait que l’on se trouve dans une déstabilisation temporelle et qu’on ne sait plus trop où on est, qu’on ne sait plus sur quel pied danser. »

Les Diamants de la nuit est tiré du livre éponyme de l’écrivain tchèque Arnošt Lustig, lui-même passé par les camps de Terezín, Auschwitz et Buchenwald. Sa fille Eva Lustigová, s’est souvenue, à l’occasion de la projection cannoise, de la collaboration entre Arnošt Lustig et Jan Němec :

Les Diamants de la nuit,  photo: Filmexport Home Video
« Je sais que mon père était dans la salle de montage à chaque moment. Ils ont travaillé ensemble et ont aussi écrit le scénario ensemble. Ça a été une vraie représentation des angoisses et de tous les défis que les jeunes hommes avaient. Jan Němec a compris exactement le livre et il a construit le récit avec une caméra fantastique, des sons, et beaucoup de silences. Je sais que c’est là l’unique chose où ils ont été en conflit, ou disons, qu’ils avaient une interprétation différente. Mon père voulait avoir plus de dialogues. Et Jan Němec a dit non, que ce serait un film où il y aurait davantage d’action. »

Une chose est sûre, la présence tchèque à Cannes reste essentiellement liée à la grandeur passée de son cinéma. La République tchèque n’était représentée cette année que par Fugue, une co-production avec la Pologne et la Suède.