L’activisme croissant des Tchèques

Les protestations contre le Premier ministre Andrej Babiš, photo: Martina Schneibergová

Les protestations contre le Premier ministre Andrej Babiš ont de nouveau alimenté les pages politiques des médias tchèques tout au long de la semaine écoulée. L’effet de l’immigration sur l’évolution démographique est un autre sujet traité. Un regard aussi sur la condition du film tchèque et le rappel, enfin, des accidents survenus dans une ancienne centrale nucléaire tchécoslovaque qui ont été tenus strictement secrets par les autorités communistes.

Les protestations contre le Premier ministre Andrej Babiš,  photo: Martina Schneibergová
Les protestations contre le Premier ministre Andrej Babiš sont de plus en plus importantes. Plus de 120 000 personnes se sont rassemblées, mardi dernier, sur la place Venceslas à Prague pour réclamer sa démission. L’hebdomadaire Respekt remarque qu’en dépit de l’idée répandue selon laquelle le chef de gouvernement n’est pas contrarié par ces protestations, cette situation a de quoi le gêner. Il explique pourquoi :

« On oublie que les gens qui ont participé à la manifestation constituent un groupe sur lequel Andrej Babiš avait misé au début. En fondant ANO, il a réellement cru pouvoir devenir le leader d’un nouveau mouvement. Il s’est efforcé d’engager comédiens, journalistes, intellectuels, ainsi que des activistes régionaux, des entrepreneures et des représentants de la société civique, dans le but de s’inscrire dans l’histoire comme une personnalité positive. Au fur et à mesure, ces groupes sociaux ont rompu avec lui. Tout en orientant désormais sa politique vers d’autres catégories d’électeurs, il ne peut être content. »

On ne sait jamais quel sera l’effet d’une activité, d’une protestation. « Mais l’important est d’agir selon sa conscience et de tenter d’imposer un changement », constate le magazine.

S’agissant du rapport d’audit préliminiare de la Commission européenne sur Andrej Babiš et la société Agrofert, selon lequel le Premier ministre serait en situation de conflit d’intérêts, le commentateur du site Info.cz observe :

« Force est d’admettre que la situation est claire depuis le moment où Babiš, à l’époque propriétaire du groupe Agrofert, s’est engagé dans la politique tout en restant impliqué dans ses affaires. Dès lors, une chose est certaine : il est responsable ne serait-ce que sur le plan éthique. D’un point de vue juridique, ce sont les organes européens ou les tribunaux qui sont appelés à trancher la question. »

Le commentateur du site novinky.cz remarque qu’après la dernière manifestation sur la place Venceslas et le débat à la Chambre des députés sur l’audit de la Commission européenne, le conflit entre Andrej Babiš et la société civique est entré dans une nouvelle phase :

« Le fait que les organisateurs des manifestations aient réussi à rassembler autant de monde devient un facteur important de la future évolution politique. D’autant qu’une manifestation probablement plus grande encore est prévue pour le 23 juin sur l’esplanade de Letná, à Prague. Or, Andrej Babiš ne peut pas rester indifférent face à un tel effet cumulatif. »

« Toutes les manifestations de protestation contre Andrej Babiš, le président Miloš Zeman ou la ministre de la Justice Marie Benešová qui se sont jusqu’à présent tenues dans le pays ont beaucoup de traits en commun », remarque pour sa part le commentateur du site Forum 24. Ce qui apparaît pourtant comme le plus frappant, c’est qu’elles se déroulent dans la bonne humeur.

Et ces autres tendances négatives sur l’échiquier politique tchèque

Andrej Babiš,  photo: ČTK / Michal Krumphanzl
Le Premier ministre, qui est un entrepreneur influent, n’est pas le seul à représenter des tendances dans la politique locale qui méritent d’être suivies. C’est du moins ce qu’estime le politologue Lukáš Jelínek dans le journal en ligne Deník Referendum :

« L’idée selon laquelle Andrej Babiš représente l’unique danger pour la démocratie tchèque semble dépourvu de clairvoyance. Il est à noter une activation des ailes extrêmes du spectre politique qui attirent même des politiciens qui appartenaient auparavant à des partis démocratiques. C’est notamment le parti Liberté et démocratie directe (SPD) de Tomio Okamura qui peut se targuer de plusieurs acquisitions attrayantes embauchées à droite et à gauche, une façon de se débarrasser de l’étiquette de formation d’extrême droite. Ainsi, plusieurs ex-ministres sociaux-démocrates de l’ancien gouvernement de Miloš Zeman ont figuré sur sa liste pour les élections européennes. C’est aussi le cas, par exemple, du général Hynek Blaško, ancien chef des Forces armées de la République tchèque qui a défendu les couleurs de ce parti populiste avant d’être élu député européen. »

La bonne nouvelle, c’est que le spectre radical en Tchéquie est pour l’instant émietté. Une donne qui, de l’avis du politologue, pourra pourtant bientôt changer, du fait de la capacité du leader du SPD à tenir des propos simples que les gens comprennent. La pléîade de nouveaux collaborateurs connus du public a aussi de quoi faire grandir sa cote de popularité.

La situation démographique sous l’effet de l’immigration

Photo illustrative: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.
Pourquoi avons-nous si peu d’enfants ? Pourquoi avons-nous peur d’avoir des familles nombreuses ? Ces interrogations ont été soulevées dans le supplément Orientace de samedi dernier du quotidien Lidové noviny en rapport avec la Journée internationale des enfants qui a eu lieu 1er juin et qui a rappelé :

« Dans les années 1960, le taux de natalité de la population tchèque était particulièrement favorable. Dans la première moitié des années 1970, suite à la fermeture des frontières, à la dite ‘normalisation’ communiste et les mesures pro-natalité prises à l’époque, le pays a connu un véritable babyboom. ‘Les enfants de Husák’, c’est ainsi que sont désignés ceux qui sont nés à cette époque. Dans les années 1990, la société tchèque a connu en revanche un fort fléchissement démographique : 89 000 bébés en 1999 ne constituaient que la moitié du total ving ans auparavant. »

L’auteur constate que ces derniers temps, la situation démographique en Tchéquie s’est légèrement améliorée. Selon les données statistiques de l’année dernière, sa population a été la plus élevé depuis la Deuxième Guerre mondiale. L’explication est évidente :

« C’est aux immigrés que revient le mérite de cette amélioration. Or, malgré le refus de la migration par une grande partie de la société, il s’avère qu’ils constituent l’unique facteur qui puisse protéger la Tchéquie du processus d’exctinction ».

Le cinéma tchèque et sa longue absence sur la scène internationale

Forman vs Forman
Le magazine cité revient aussi sur la dernière édition du Festival du film de Cannes pour déplorer notamment la traditionnelle absence du cinéma tchèque sur la Côte-d’Azur. En effet, outre la présentation dans la section Cannes Classics du documentaire consacré au réalisateur Miloš Forman et de films des années 1960 restaurés numériquement, le cinéma tchèque y a été de nouveau absent. Et de s’interroger :

« Pourquoi les cinéastes tchèques actuels ne foulent-ils plus le tapis rouge à Cannes, pendant que le festival propose souvent des films de provenance de l’Europe centrale, hongrois, polonais, roumains ? Où se trouvent tous ces réalisateurs tchèques auxquels tellement d’espoirs avaient été donnés ? Pourquoi tous ces jeunes qui ont pu présenter à Cannes un film étudiant ne font-ils plus parler d’eux ? »

Le chroniqueur du magazine Orientace constate que les conditions financières ne semblent pas être la cause principale de cet état de choses. Selon lui, il s’explique davantage par le fait que le cinéma tchèque d’aujourd’hui abonde en « comédies romantiques » qui remportent dans le pays d’immenses succès mais qui, au-delà des frontières de la Tchéquie, ne suscitent aucun intérêt.

Jaslovské Bohunice : des incidents tenus secrets par les autorités communistes

La centrale nucléaire de Jaslovské Bohunice,  photo: Ľubomír Smatana,  ČRo
En rapport avec la diffusion sur petit écran de la minisérie de HBO consacrée à la catastrophe de Tchernobyl survenue en 1986, le site Echo24.cz a rappelé les accidents à la première centrale nucléaire située dans l’ancienne Tchécoslovaquie :

« La centrale nucléaire de Jaslovské Bohunice, située prés de la ville de Trnava, en Slovaquie, a été la première dans le pays. Son premier réacteur, qui a été mis en service en 1972, et qui a été développé par des experts tchécoslovaques et soviétiques, a connu deux accidents majeurs. Le premier en 1976 a fait deux victimes, et c’est au prix d’une immense envergure et du courage des employés que ses conséquences n’ont pas été plus dramatiques. Celui qui s’est produit un an plus tard a eu pour conséquence, à la fin des années 1970, la fermeture du réacteur qui ne disposait pas, comme cela s’est avéré plus tard, de solutions techniques sûres. »

Le site rapporte qu’à l’époque, le régime communiste a tenu les deux accidents secrets. Par ailleurs, il a été laconique aussi quand il a fallu fournir à la population des informations vraies sur la catastrophe de Tchernobyl.