A la Mecque, des pèlerins vêtus de tissus fabriqués en République tchèque
Le pèlerinage de la Mecque a commencé ce mardi en Arabie saoudite et plus de deux millions de musulmans vont effectuer le hadj cette année, vêtus de l’habit traditionnel. Parmi les entreprises qui habillent les pèlerins, notamment ceux venus d’Afrique, une manufacture tchèque, appelée Veba et qui a décidé il y a quelques années d’orienter sa production vers le marché africain. Une stratégie originale pour une société d’Europe centrale. Reportage à Broumov, dans le nord de la Bohême, fief de l’entreprise Veba.
Un schéma improbable, pourtant réalité de la mondialisation, depuis que la direction de Veba a choisi de faire du marché africain une priorité. C’était il y a une dizaine d’années, un pari risqué, qui s’avère aujourd’hui payant. Le coton damassé ou bazin riche produit ici est très apprécié de la Mauritanie au Cameroun, en particulier par la clientèle musulmane. Josef Novák est le PDG de Veba :
« 90% de notre production est exportée et varie en fonction du calendrier musulman, afin de fournir nos distributeurs à temps, pour le ramadan ou pour la fête de tabaski par exemple, qui est liée au pèlerinage de la Mecque. Nos produits sont portés par les pèlerins africains et nous voulons nous implanter dans les pays arabes. »Pour la société tchèque basée près de la frontière polonaise, convaincre les banquiers et les investisseurs du bien-fondé de sa stratégie africaine n’a pas été une mince affaire.
Josef Novák : « Même s’il y a beaucoup de misère en Afrique, il y a aussi une accumulation de richesse et nos produits sont destinés à la riche clientèle. Cela dit, ce marché comporte des risques, et il nous est par exemple toujours impossible d’obtenir ici une assurance–crédit pour des contrats avec nos clients africains. »Même si des projets sont en cours pour s’implanter dans les pays arabes ainsi qu’en Asie centrale, c’est l’Afrique de l’Ouest qui reste le marché le plus important pour Veba. Malien d’origine, Siaka Koné est installé depuis longtemps en République tchèque et représente la société Veba dans les pays de la sous-région.
« L’Afrique occidentale, c’est généralement la même culture, le même mode de comportement. Par exemple, le bazin pour lequel nous sommes présents à ce forum se porte au Mali de la même façon qu’au Sénégal, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et en allant jusqu’au Bénin. Seul le goût peut différer un peu, mais il s’agit de petits détails. »« Il faut se demander sur quel plan on peut supplanter les Chinois. Parce que les Chinois sont moins chers, mais la qualité n’est pas très bonne. L’Europe de l’Ouest est assez chère. L’Europe de l’Est a la même qualité que l’Europe de l’Ouest et le prix se trouve quelque part entre l’Europe de l’Ouest et la Chine. C’est ce qui fait le succès de nos produits. »
« Le bazin en Afrique est connu comme le bazin allemand parce que, pendant des années, la République tchèque a fabriqué du bazin, mais la finition était faite en Allemagne et le produit fini était expédiée au Mali sous le nom de bazin allemand. C’est ce qui explique pourquoi, pendant longtemps, le bazin, qui est notre habit, notre tissu traditionnel, était connu comme le bazin allemand. Il nous a fallu beaucoup d’efforts auprès des clients pour leur faire accepter la marque tchèque. Mais aujourd’hui, la République tchèque est de plus en plus reconnue comme un grand producteur de bazin. »Extrait musical – Amadou et Mariam, Dimanche à Bamako :
« Les hommes et les femmes ont mis leurs beaux boubous
Les bazins et les bogolans sont au rendez-vous
La mariée et le marié sont aussi au rendez-vous Le dimanche à Bamako
c’est le jour de mariage »
« Sous le communisme on produisait essentiellement du linge de maison qu’on exportait vers l’URSS. On a dû moderniser tout notre parc de machines et apprendre comment faire des affaires avec les Africains, connaître leurs traditions culturelles et religieuses. Il a fallu qu’on dépasse tous les préjugés sur l’Afrique véhiculés par les médias. »
Et Miroslav Zelený s’est même mis au français pour pouvoir mieux communiquer avec les clients:
« C’est très difficile ! Mais la communication est très importante et la langue est nécessaire pour instaurer la confiance. La confiance est très importante pour les clients africains – c’est la base pour la collaboration. »
Les principaux concurrents de Veba se trouvent chez les voisins allemands et autrichiens. Mais l’entreprise tchèque est déjà un acteur incontournable du marché, et ouvriers et machines font les trois huits pour produire non seulement le tissu porté à La Mecque mais aussi et surtout celui qui servira de base aux plus beaux boubous et aux plus belles robes, après avoir été teint et cousu à Bamako ou à Dakar, pour la fête de Tabaski.