A Prague, le burlesque est à l’honneur sur les planches du Théâtre Royal
Jean-Christophe Gramont, d’origine française, s’est installé à Prague il y a vingt ans. Fasciné par la culture et l’architecture de la ville, cet entrepreneur est, depuis 2014, le directeur du Théâtre Royal, situé sur l’avenue Vinohradská. L’établissement, qui organise régulièrement des soirées burlesques, cabaret ou même comedy club, existe depuis près d’un siècle, faisant sa renommée parmi les Tchèques.
C’est une histoire pour le moins originale qui a amené Jean-Christophe Gramont à devenir directeur d’un théâtre. Il raconte :
« C’est un peu par hasard. Ma femme est tchèque et nous recherchions un appartement puisque nous attendions un enfant. C’est en recherchant les petites annonces que j’ai trouvé un théâtre. Le soir-même, je suis rentré à la maison en lui disant que j’avais enfin signé un contrat. Ma femme m’a demandé s’il s’agissait d’un appartement, mais je lui répondu qu’il était question d’un théâtre. Elle a alors demandé si nous allions vivre dans un théâtre, mais je lui ai dit : ‘Ne t’inquiètes pas, d’abord le théâtre, et puis ensuite, on trouvera un appartement’. »
L’entrepreneur de 56 ans explique qu’il n’est, à l’époque, pas du tout familier au milieu du spectacle, mais décide de se lancer tout de même dans l’aventure.
« Cela s’est fait un peu comme ça, un coup de folie. J’ai vu l’annonce, signé le contrat, et ensuite je me suis dit ‘On verra bien, je me jetterai à l’eau comme je le fais toujours’. Et ça a plutôt bien fonctionné. »
Une histoire de famille
Le théâtre, qui était auparavant un cinéma, a été créé par Emmanuel Maceška, le grand père du propriétaire actuel. Alors boucher, il cultive depuis toujours l’envie d’ouvrir un cinéma, ce qu’il fait en 1929 dans le quartier de Vinohrady. Il s’agissait alors, pour l’époque, d’un très grand cinéma, proposant pas moins de 400 places, et devenant dès lors la salle la plus spacieuse et la plus moderne de Prague. En 2014, l’endroit est abandonné après la faillite du célèbre cinéma. Le projet entrepreneurial de Jean-Christophe Gramont séduit alors les propriétaires.
Les clés du théâtre en main, le nouveau directeur décide de changer le nom de l’établissement pour « Théâtre Royal ». Il explique les raisons de ce changement :
« En premier lieu, le théâtre portait le nom de ‘Palác Maceška’ (Palais Maceška), du nom du propriétaire. Il a changé de nom plusieurs fois et le dernier en date était le nom ‘ Bio Illusion’. L’idée était d’avoir un élément qui rappelle la royauté puisqu’auparavant, dans le quartier de Vinohrady, se trouvaient les vignes royales. Je trouvais que c’était assez sympathique de leur rendre hommage et de reprendre ce nom qui rappelait la monarchie des rois de Bohême. »
Le cinéma connaissait déjà un grand succès parmi les Pragois dans les années 1930. Jean-Christophe Gramont l’a d’ailleurs personnellement remarqué au gré des rencontres.
« Il s’agit d’un très vieux cinéma, et nous avons rencontré plusieurs personnes, notamment une personne de plus de 90 ans, qui a raconté qu’étant enfant, elle venait voir des films de Shirley Temple dans ce cinéma. C’était donc très touchant. »
Le Théâtre royal a-t-il conservé des éléments déjà présents dans les années 1930 ?
« Nous avons bien entendu gardé tous les éléments d’origine, donc on se croirait vraiment en 1929. L’intérêt pour les Tchèques est que l’âge d’or, pour eux, est ce qu’ils appellent la ‘Première République tchécoslovaque’. A partir de 1918, la Tchécoslovaquie est devenue indépendante et il s’agit donc de l’âge d’or des Tchèques. Pour eux, avoir cet endroit qui ressemble à l’âge béni de la Tchécoslovaquie est quelque chose d’assez exceptionnel, et ils sont très heureux de venir chez nous. »
L’épidémie du Covid
En tant qu’entreprise de divertissement, le Théâtre Royal a tout particulièrement subi les restrictions sanitaires liées à la pandémie de Covid-19. Le directeur remarque d’ailleurs un changement de clientèle depuis la fin de ces mesures :
« Au tout départ, il y a donc huit ans, nous recevions beaucoup plus de touristes. Et puis, les choses ont changé. C’était déjà visible avant le Covid, il y avait déjà plus de Tchèques que de touristes. Je dirais qu’aujourd’hui, nous comptons 70% de Tchèques et 30% de touristes. »
Le théâtre avait notamment dû fermer ses portes au public, un épisode qu’il décrit comme ayant été « très douloureux ». Néanmoins, et malgré une incertitude partagée avec de nombreux gérants quant à l’avenir de leur établissement à cette époque, Jean-Christophe Gramont ne baisse pas les bras et se conforte, ironiquement, dans l’histoire mouvementée du théâtre au fil des décennies.
« L’Allemagne nazie a envahi Prague en 1939 et a pris possession du théâtre, et ensuite le régime communiste a également posé des restrictions en arrivant à Prague. Donc le théâtre a connu mille problèmes et vicissitudes et s’en est toujours remis. Alors je me suis dit que le Covid finalement… J’ai regardé l’histoire de tout ce qu’il s’est passé depuis 1929, et je me suis dit que c’était quelque chose qu’il était possible de surmonter et effectivement nous l’avons fait. Nous avons attendu patiemment, et nous sommes très heureux puisque l’on constate, depuis la réouverture, que le Théâtre Royal reçoit encore plus de monde qu’avant la pandémie. »
« Karel Gott nous a porté chance »
Et parmi ce beau monde, le Théâtre Royal reçoit notamment de nombreuses célébrités et artistes tchèques, tous venus admirer l’endroit et profiter de l’ambiance.
« C’est vrai que nous en recevons beaucoup. J’en citerai deux qui sont assez emblématiques et que tous les Tchèques connaissent. Nous avons d’abord reçu le chanteur Karel Gott, qui est malheureusement décédé, mais qui était la grande star tchèque. Il a gagné des dizaines de fois le prix équivalent chez nous des Victoires de la Musique. Il nous a beaucoup aidé puisqu’il nous a porté chance. Il a été au tout départ de l’aventure du Théâtre Royal. Il lançait un album, et pour son inauguration, il avait invité la presse. Nous avons reçu plus de cent journalistes et il y a eu l’avant et l’après Karel Gott. Nous avions alors beaucoup de difficultés à faire marcher le théâtre et du jour au lendemain, après sa venue, le téléphone n’a pas arrêté de sonner. Nous lui rendons donc un grand hommage. »
« Il y a également eu une deuxième célébrité que tous les Tchèques connaissent, qui s’appelle Leoš Mareš. Il a une émission sur la radio Europe 2 depuis de nombreuses années. Il aime beaucoup le Théâtre Royal. Il a donc fait une émission à la télévision, tournée pendant trois mois chez nous, et il revient de temps en temps faire des événements privés car il adore l’endroit. »
Des anecdotes, Jean-Christophe Gramont, en a bien sûr des centaines durant les huit années qu’il a passées à organiser toutes sortes d’événements. Il se souvient tout particulièrement d’un d’entre eux, qu’il qualifie d’un des plus mémorables auxquels il ait assisté :
« Nous avons organisé des événements pour de petites sociétés, parfois des soirées caritatives. Il se fait que Pierre Richard, acteur français bien connu des Tchèques, était venu dans le cadre d’un événement organisé par son amie Taťána Kuchařová, qui est une ancienne Miss Monde. Ils ont donc organisé une fête caritative pour soutenir l’association dont Taťána s’occupe. C’était très drôle puisque Pierre Richard avait, déjà à l’époque, plus de 80 ans mais il est venu sur scène comme s’il en avait 20, pour faire le pitre. C’était très burlesque, tout à fait dans l’esprit de nos spectacles. »