A Strážnice, plongée le temps d’un week-end dans le folklore morave

Festival international du folklore de Strážnice, photo: Igor Zehl / ČTK

En Moravie du Sud très certainement plus qu’ailleurs en République tchèque, le folklore est encore bien vivant. La 73e édition du Festival international du folklore de Strážnice, plus ancien et plus important événement du genre organisé dans le pays, en a une nouvelle fois été la confirmation. Trois jours durant, de vendredi à dimanche derniers, des dizaines de milliers de personnes, parmi lesquelles de très nombreux jeunes, ont rappelé combien elles étaient attachées à leur patrimoine culturel et plus généralement à leur savoir-vivre. Reportage.

Martin Šimša,  photo: Loreta Vašková
Martin Šimša est le directeur de l’Institut national de culture traditionnelle, chargé chaque année depuis 1946 de l’organisation du festival à Strážnice :

« Il y a environ un siècle de cela, la classe moyenne locale, qui était composée essentiellement d’agriculteurs, s’est mise à s’auto-présenter en revenant aux traditions qui avaient accompagné la vie dans les villages jusqu’à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Dans l’entre-deux-guerres, les gens se sont donc remis à porter le costume traditionnel pour aller à l’église le dimanche ou à l’occasion des grandes fêtes. Et cette nouvelle tradition a perduré après la deuxième guerre, au communisme et demeure aujourd’hui encore. »

L'ensemble Tanok,  photo: Dalibor Glück / ČTK

Au fil du temps, Strážnice, tout en restant d’abord un festival morave, s’est ouvert au monde. Markéta Lukešová est la responsable du département en charge du folklore à l’Institut national de culture traditionnelle. C’est elle qui est chargée de l’invitation des ensembles étrangers :

« Bien sûr, toutes ces troupes représentent leurs pays, leurs traditions et leur patrimoine matériel et immatériel. C’est là le sens du folklore : non seulement sauvegarder mais aussi entretenir un certain art de vivre et la diversité de l’humanité, ce qui fait sa richesse. Nous avons affaire à des groupes dont certains sont professionnels, ils sont habitués à voyager dans le monde, et il est donc évident que certaines parties de leurs spectacles sont quelque peu stylisées. Pour autant, cela n’empêche pas de toujours voir ou découvrir certains aspects de différents pays. »

Cette année, cinq troupes étrangères étaient invitées à Strážnice : chinoise, hongroise, indonésienne, mexicaine et russe. Galina Gugina est la responsable artistique de l’ensemble Tanok :

Festival international du folklore de Strážnice,  photo: Igor Zehl / ČTK
« Nous représentons la tradition culturelle du peuple cosaque mais nous avons aussi plusieurs éléments dans notre programme qui sont purement russes. Les danses cosaques reflètent la spécificité de notre région du Kouban, et nous y ajoutons d’autres danses typiquement russes. Pour le festival de Strážnice, nous avons préparé un accueil cosaque qui doit nous permettre de montrer la beauté de nos traditions avant un show final qui comporte de nombreuses figures acrobatiques très spectaculaires. Notre troupe de danseurs est accompagnée par des choristes qui interprètent de magnifiques chansons du Kouban. Au final, cela nous permet de présenter un spectacle à la fois vocal et chorégraphique dont nous sommes très fiers. »

Mais c’est bien le folklore sous toutes ses formes, dont certaines très éloignées de la culture morave, qui est présenté à Strážnice. Elle-même grande voyageuse, Markéta Lukešová tient beaucoup à cet aspect du festival :

« Nous avons déjà accueilli des ensembles des quatre coins du monde et je pense que ceux en provenance d’Afrique ont été les plus naturalistes. Ils ont présenté sur le podium des traditions et des rites qui, disons, sont très inhabituels pour nous. Mais c’est précisément ce que recherche le public pour qui, bien souvent, plus c’est exotique, mieux c’est. C’est le charme de la découverte. On dit que les voyages forment la jeunesse, mais ils réunissent les peuples aussi. Je peux même vous dire que chaque année quand se termine le festival, il y a beaucoup de pleurs, car vous imaginez bien que ces échanges internationaux se passent à tous les niveaux. »

Festival international du folklore de Strážnice,  photo: Igor Zehl / ČTK
Grand rassemblement d’amoureux de leur Moravie ancestrale, le festival de Strážnice est aussi un rendez-vous à ne pas manquer pour les jeunes. Deux nuits durant, les vendredi et samedi, ils sont en effet des milliers à chanter et danser dans le parc du château. Vin morave et « kořalka » - une eau-de-vie qui plus encore peut-être ici qu’ailleurs porte bien son nom - coulent alors à flots dans une ambiance festive…

Une ambiance qui s’amplifie encore samedi avec le concours de « verbuňk », une tradition inscrite depuis 2005 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO. Un des principaux temps forts du festival qui plaît là aussi beaucoup, on s’en doute, à Markéta Lukešová :

Le 'verbuňk',  photo: Igor Zehl / ČTK
« Le ‘verbuňk’ est une danse de garçons avec une certaine dynamique composée de plusieurs parties. Le ‘verbíř’, comme nous appelons le gars qui se produit toujours seul, doit d’abord chanter, puis la musique qui l’accompagne s’accélère progressivement. Le but est de convaincre le public et le jury que c’est lui le meilleur. Il est difficile de dire à quoi servait cette danse autrefois. Mais oui, on peut sans doute la comparer au chant du coq dans le sens où chaque ‘verbíř’ représente un territoire, un village de la Slovaquie morave. Il y a aussi très certainement une fonction érotique. Aujourd’hui, un homme cherche à plaire par exemple avec sa voiture, mais autrefois il fallait qu’il soit un bon chanteur et un bon danseur. Ceci dit, une théorie prétend que les meilleurs ‘verbíř’ sont ceux qui ont passé la quarantaine. Pourquoi ? Parce qu’ils ne se produisent plus en spectacle pour les femmes ou pour le public, mais simplement pour leur propre plaisir. »

Plus proches de la vingtaine que de la quarantaine, et originaires respectivement de Lužice et de Hlohovec, deux villages des environs de Hodonín et de Břeclav en Moravie du Sud, Karel et Tomáš sont deux des dizaines de « verbíř » qui concouraient à Strážnice. Pas tout à fait à l’heure du chant du coq, mais dès 9h00 pour l’entrée en scène des premiers « artistes », ils étaient plusieurs milliers dans le public à suivre les performances de ces jeunes hommes parés de leurs plus beaux habits. Surprenante pour un non-initié, cette assistance n’étonne plus Karel :

Festival international du folklore de Strážnice,  photo: Igor Zehl / ČTK
« De manière générale, la Moravie est une région où les gens sont attachés aux traditions, même si cela dépend aussi des villages, car certains le sont plus ou moins que d’autres. Pour Tomáš et moi, comme pour tous les autres ‘verbíř’ présents ici, le folklore a toujours fait partie de nos habitudes depuis que nous sommes tout petits. Les fêtes dans les environs sont nombreuses tout au long de l’année et les concours de ‘verbuňk’ sont à chaque fois l’occasion de croiser beaucoup de jeunes gens formidables. Voilà à quoi ça sert… »

Et lorsqu’on leur demande si savoir chanter et danser plaît aux demoiselles moraves, au charme desquelles il n’est pas moins difficile de résister, Karel et Tomáš confirment d’une seule voix sans hésiter…

« Moc ! » (« Beaucoup ! »)

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