A Terezín, la mémoire vive d’un camp singulier

Terezín, photo: Denisa Tomanová

Une cérémonie du souvenir s’est déroulée dimanche, à Terezín, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Prague. C’est dans cette ville, transformée en ghetto, qu’ont transité quelque 150 000 Juifs pendant la guerre, avant d’être envoyés dans les camps d’extermination nazis. Retour sur l’histoire très particulière de Terezín.

Terezín,  photo: Denisa Tomanová
Plus de 70 ans après la Seconde Guerre mondiale et la libération des camps, le ghetto de Terezín n’a pas fini de frapper les esprits. Créé par la Gestapo en 1941 et conçu comme un lieu de transit avant la déportation des Juifs vers les camps d’extermination de Pologne, il a été créé dans une ancienne ville de garnison du XVIIIe siècle, construite par l’impératrice Marie Thérèse d’Autriche sur le modèle des forteresses à la Vauban.

C’est d’ailleurs cet aspect de ville fortifiée qui permet aux nazis de mettre en place une des plus grandes supercheries de la guerre : érigé en « ghetto modèle », Terezín va servir de vitrine pour le monde extérieur, comme le rappelait en 2016 l’écrivaine française Hélène Gaudy, auteure d’un très beau livre intitulé Une île, une forteresse :

Le ghetto de Terezín,  photo: United States Holocaust Memorial Museum
« Il y a ce statut d’image emblématique et la place du mensonge dans la ‘solution finale’. La dissimulation a été centrale. Et puis, il y a la place de la propagande aussi. C’est vrai que Terezín est un lieu où tout cela a été poussé à son paroxysme car la ville a été complètement transformée, ripolinée, repeinte, arrangée pour le regard de la Croix Rouge et pour le tournage du film de propagande tourné par Kurt Geron en 1944 et qui visait à faire croire que cette ville était une sorte de sanctuaire où les Juifs étaient heureux, où leurs coutumes étaient préservées, ce qui était évidemment totalement faux. Les gens y ont été forcés de jouer leur propre rôle pour mettre en place un mensonge particulièrement sophistiqué. »

Pourtant, c’est dans ce contexte presque surréaliste, au cœur de l’horreur, que vont naître des œuvres d’art : en effet, le ghetto de Terezín rassemble de nombreux artistes et représentants de l’intelligentsia juive de l’époque. Parmi eux, le chef d’orchestre Karel Ančerl, le pianiste Gideon Klein, les compositeurs Viktor Ullmann et Hans Krása, les écrivains Arnošt Lustig et Ivan Klíma, et tant d’autres.

Depuis des années, certains passionnés font revivre la musique composée à Terezín et dans d’autres camps, comme le compositeur italien Francesco Lotoro qui ne vit que pour une mission, collecter toutes les musiques composées dans les camps. Une quête qui a justement commencé dans les années 1980 à Terezín.

A Strasbourg, le forum Voix étouffées organise festivals et événements autour de ces musiques interdites. A Marseille encore, le festival Musique interdites, mené par Michel Pastore, fait de même. En juin 2008, il avait monté à Terezín, le Requiem de Verdi, celui-là même qui avait été joué devant les représentants de la Croix Rouge en 1944 :

« Au départ ce n’était pas prévu par les Allemands. Mais ils faisaient feu de tout bois. Donc quand ils ont vu que ces musiciens voulaient malgré tout continuer à jouer de la musique, ces musiciens qu’ils considéraient comme une sous-race, même pas comme des chiens pour qui ils avaient plus de respect, ils se sont dits qu’ils allaient en profiter pour monter un spectacle. Evidemment, la musique allemande leur était interdite puisqu’ils n’avaient pas le droit de la toucher, ils étaient ‘impurs’. Le chef tchèque Rafael Schaechter qui était un génie a choisi le Requiem de Verdi qui est une œuvre suivant le rituel catholique, mais par Verdi qui était complètement athée, et chanté par des Juifs ! C’est extraordinaire. Cela montrait que l’art transcende les barrières fausses que les hommes établissent entre eux, les barrières de religion, de race, de couche sociale. Et que la musique transcende tout cela... »

C’est à Terezín aussi, qu’est né l’opéra pour enfants Brundibár, ou encore la pièce de théâtre de marionnettes, On a besoin d’un fantôme. C’est là encore que naît le magazine littéraire clandestin Vedem. Tout ceci étant soit créé, soit animé par les enfants du camp. La plupart d’entre eux ne survivra pas.

Ce week-end, au Mémorial de Terezín, c’est la mémoire de toutes ces victimes qui a été commémorée et honorée, comme le veut la tradition, le troisième dimanche du mois de mai. Et si les chiffres ne rendent jamais compte des vies derrière eux, leur énumération se veut une piqûre de rappel pour que les horreurs de la guerre ne se reproduisent pas, comme le rappelle Vojtěch Bodig, directeur du département d’histoire et vice-président du Mémorial :

Terezín,  photo: Denisa Tomanová
« 140 000 prisonniers sont passés par ce ghetto. 15 000 autres prisonniers sont venus s’y rajouter à la fin de la guerre : ils venaient de camps de concentration que les nazis évacuaient face à l’approche du front des Alliés. Donc en tout 155 000 personnes ont été à Terezín. Parmi celles-ci, 35 000 sont mortes sur place pendant la guerre, et au moins 83 000 personnes sont mortes après leur déportation vers les camps d’extermination situés sur le territoire polonais. »

Nous aurons l’occasion de revenir sur l’histoire culturelle, musicale et littéraire au camp de Terezín, à travers le roman d’Ysabelle Lacamp, Ombre parmi les ombres, dans une prochaine rubrique culturelle. Cet ouvrage rappelle le destin d’une autre personnalité importante passée par le camp, celle du poète français Robert Desnos, mort le 8 juin 1945, un mois après la libération de Terezín par l’Armée Rouge.