Amazon en Tchéquie : un centre de distribution bon marché pour l’Allemagne

Klára Votavová, photo: Archives de Klára Votavová

En République tchèque, l’arrivée d’Amazon il y a quelques années a été perçue plutôt d’un bon œil. Aux yeux des dirigeants politiques de l’époque, et de la plupart des médias, il s’agissait là avant tout d’un nouvel investisseur étranger dont l’activité allait permettre la création de plusieurs milliers d'emplois dans le pays. Cette installation a abouti à la création d’un important centre de distribution dans les environs de Prague, qui sert à traiter les commandes des clients allemands. Journaliste du site Voxpot.cz, Klára Votavová s’est intéressée à cette activité dans le cadre d’un reportage intitulé en tchèque « Amazon en Tchéquie : oubliez les salaires plus élevés, l’essentiel est la proximité de l’autoroute pour l’Allemagne ». Traduit en français, cela a donné « Les Tchèques n’utilisent pas Amazon, mais Amazon utilise les Tchèques ». Klára Votavová s’est confiée sur ses motivations au micro de Radio Prague International :    

« Je m’intéresse à l’impact que les géants du numérique ont sur le fonctionnement de la société. J’ai déjà écrit plusieurs articles sur Facebook par exemple. J’ai décidé de me pencher sur le cas d’Amazaon quand j’ai appris que le mouvement L’Internationale Progressiste prévoyait d’organiser des manifestations mondiales dans le cadre du mouvement ‘Faire payer Amazon » le jour du ‘Vendredi noir’ le 27 novembre dernier. C’est comme ça que je me suis aperçue que personne en République tchèque n’avait encore traité d’Amazon sous un angle critique. Je me suis donc lancée… »

Que pouvons-nous dire de cette présence d’Amazon en République tchèque ? Se limite-t-elle à son management et au centre de distribution à Dobrovíz, puisqu’il n’existe pas de site de vente en tchèque, comme en France, en Allemagne, en Italie ou au Royaume-Uni?

Photo: Jan Langer / ČT24

« Dobrovíz est un village qui se trouve au nord-ouest de Prague, et c’est là effectivement que se trouve ce centre de distribution où sont employées quelque 3 000 personnes en CDI. 3 000 saisonniers, fournis par des agences de travail, renforcent les effectifs lors des pics de demande avant les fêtes de fin d’année. »

« Amazon envisageait d’ouvrir un autre centre de distribution, à Brno (Moravie) notamment, mais la lenteur administrative a rebuté la société, qui n’avait pas de temps à prendre. Pour Amazon en République tchèque, il y a deux choses qui comptent : le prix et la proximité avec l’Allemagne. Donc, que ce centre se trouve à Brno ou ailleurs, cela importe peu pour Amazon, qui n’allait pas attendre que la municipalité de Brno se décide ou pas à accorder les autorisations nécessaires. »

Beaucoup de sociétés en République tchèque sont confrontées depuis quelques années à une pénurie de main-d’œuvre et à des difficultés de recrutement. Est-ce le cas aussi pour Amazon ?

« Amazon savait bien que le chômage était faible en République tchèque, d’autant plus dans les environs de Prague, et donc à Dobrovíz aussi. C’est la raison pour laquelle Amazon a mis en place un système de transport de ses employés, qui viennent de plus d’une centaine de villes différentes du pays. Des navettes sont organisées dans les régions de Bohême centrale et d’Ústí nad Labem, en Bohême du Nord, là où le chômage et les difficultés sociales sont plus importants. Du coup, pour les gens, travailler pour Amazon est une possibilité attractive. »

« Parallèlement à cela, le chômage augmente malgré tout en République tchèque ces derniers mois en raison de la pandémie de coronavirus. Les responsables d’Amazon m’ont donc dit qu’ils n’avaient eu aucun problème en décembre dernier pour recruter le personnel de saisonniers dont la société avait besoin. Il y a par exemple beaucoup de travailleurs issus du milieu de la restauration. Donc, le recrutement ne constitue certainement pas un problème actuellement. »

Amazon à Dobrovíz,  photo: Michaela Danelová,  ČRo

Au-delà de la main-d’œuvre bon marché et de la proximité du marché allemand, y a-t-il d’autres avantages pour Amazon en République tchèque ?

« Franchement, je ne les vois pas. Amazon en Europe fonctionne comme un réseau. Le plus important est de pouvoir procéder aux expéditions et de livrer le plus vite possible. Le centre de distribution en République tchèque ne représente donc qu’une partie de ce réseau. Alors, bien sûr, le coût du travail en République tchèque est moindre qu’en Allemagne, mais en Pologne par exemple, la main-d’œuvre et les loyers sont encore meilleur marché. La République tchèque n’est donc pas un cas spécifique. »

Quel est le niveau des salaires à Dobrovíz ?

« Dans l’article, j’explique que le montant du salaire horaire des nouveaux employés est de 160 couronnes (6,15 euros). Encore une fois, c’est bien plus en Allemagne, mais dans le contexte tchèque ce n’est pas si mal. Pour avoir discuté avec les employés de Bohême du Nord, je sais qu’Amazon leur donne plus que ce qu’ils touchaient chez leurs employeurs précédents. »

« Sur ce point-là précis, le problème en République tchèque, ce n’est pas Amazon. De manière générale, le niveau des salaires y est deux fois moindre qu’en France ou en Allemagne par exemple. Et ce n’est pas vrai de prétendre que le coût de la vie y est aussi deux fois moindre. Ce serait donc faire un mauvais procès à Amazon que de l’attaquer sur sa politique des salaires. »

Qui sont les employés d’Amazon ? Quel regard portent-ils sur leur employeur ?

Amazon en Espagne,  photo: Álvaro Ibáñez,  CC BY 2.0

« Tout d’abord, pour avoir parlé avec les syndicalistes, je dirais que les employés étrangers, ukrainiens notamment, sont assez peu nombreux. Vraiment, la majorité d’entre eux viennent de ces deux régions défavorisées. Dans les environs d’Ústí nad Labem, beaucoup d’usines ont fermé, et retrouver du travail n’est pas simple. Les gens n’ont souvent pas de meilleure solution qu’Amazon et c’est pourquoi ils sont prêts à faire des allers-retours quotidiens de plusieurs heures. »

« Amazon a du coup beau jeu de prétendre qu’il offre une opportunité à ces gens-là. C’est possible, mais c’est quand même triste de constater que les gens n’ont pas d’autre choix que de travailler à 80 kilomètres de chez eux. Les syndicalistes, eux, critiquent les salaires, les horaires et l’attitude de la direction, mais eux aussi, puisque beaucoup sont originaires de Bohême du Nord, reconnaissent qu’ils sont mieux payés chez Amazon que là où ils étaient avant ou que ce qui est proposé dans leur région d'origine. »

La demonstration à Berlin,  Allemagne,  2017,  photo: Leonhard Lenz,  public domain

« Sinon, cela a été difficile d’échanger avec les employés. Ils s’exprimaient sous le couvert de l’anonymat, dans la crainte visiblement de la réaction de leurs responsables si ceux-ci découvraient qu’ils parlaient avec une journaliste. »

Les préoccupations des syndicalistes sont-elles prises en compte ?

« En Tchéquie, les relations entre direction et syndicats sont toujours compliquées. Chez Amazon, le responsable de l’organisation syndicale a fondé celle-ci en secret. Il prétend que la direction ne négocie avec eux qu’une heure par mois, qu’elle a refusé de mettre un bureau à leur disposition, et ce bien que cela soit un droit. »

« De leur côté, les responsables d’Amazon m’ont prétendu que ce syndicat était autoproclamé et qu’il ne se concentrait pas sur les problèmes de tous les employés, mais seulement sur leurs propres problèmes. Chez Amazon, il  existe aussi une structure parallèle qui s’appelle ‘Le forum des employés’. Les représentants y sont élus, mais c’est bien évidemment une structure qui est complètement dépendante d’Amazon, ce qui ne peut pas convenir aux syndicalistes. »

Dans quelle mesure l’activité des géants du numérique est-elle une préoccupation en République tchèque ?

Amazon en Allemagne,  photo: Medien-gbr,  CC BY-SA 3.0

« Les critiques d’Amazon en République tchèque sont moins nombreux qu’en France par exemple, notamment parce qu’il n’existe pas de site de vente en tchèque. Nous n’avons pas Amazon Prime. Le débat lié à la concurrence sur le marché avec les commerces n’a pas vraiment lieu d’être ici. »

« Pour ce qui est des géants du numérique plus généralement, l’attention se porte davantage sur Facebook et les réseaux sociaux. Mais je pense que ce débat n’est pas très approfondi, parce qu’il ne se penche pas sur les vrais problèmes du système, comme par exemple son modèle économique. Il y a aussi un débat sur la taxation des services fournis par les grandes entreprises du secteur numérique. Il y a un projet du ministère pour taxer ces géants, mais comme ailleurs, les Etats-Unis ont réagi en menaçant de sanctions. On peut donc penser que tout cela sera réglé par des réglementations au niveau européen. »

Vous affirmez que votre article sur Amazon n’est pas seulement critique...

« Si, je pense que le titre et l’essentiel du reportage sont critiques. A mes yeux, l’activité de ces géants du commerce pose problème en termes de soutenabilité (durabilité). Et c’est triste que les gens ne puissent pas travailler près de chez eux. Ce que j’ai appris sur les syndicats ne m’a pas beaucoup plu non plus. Mais, une fois dit tout cela, je dois reconnaître qu’Amazon emploie entre 3 000 et 6 000 personnes qui viennent souvent de régions défavorisées en leur donnant un salaire compétitif. C’est quand même positif. »

« Amazon incarne cette tendance à la globalisation avec les grandes entreprises qui s’imposent aux dépens des plus petites. Même si, vu de République tchèque, ce n’est peut-être pas si mauvais, je pense que c’est une tendance qu’il faut critiquer. »

A la fin de votre article, vous expliquez que les responsables d’Amazon n’ont d’abord pas donné suite à vos demandes répétées d’interview. Finalement, suite à la publication du reportage, vous avez été invitée à visiter le site…

« C’est vrai, j’y suis allée, et ils m’ont alors accordé un entretien. Beaucoup de choses que j’ai dites dans cette interview, en proviennent d’ailleurs. Bien sûr, ils ont rejeté mes critiques, comme par exemple celle sur les relations négatives qu’ils entretiennent avec les syndicalistes. Mais leur position est forcément problématique, car je sais que leur travail consiste à présenter Amazon sous le meilleur jour. Parfois, c’est difficile pour quelqu’un de l’extérieur comme moi de reconnaître le vrai du faux entre la version que me donnent les syndicalistes et celle de la direction. »

« Je pense qu’en n’étant pas employée à temps plein chez Amazon, c’était pour moi la seule manière de pouvoir faire un reportage d’investigation. Ce n’est pas si simple de dire qui a raison. Néanmoins, si je m’en tiens aux reportages sur Amazon qui ont été réalisées à l’étranger, je dois dire que j’ai plus tendance à croire les syndicalistes. »