Attentat contre Heydrich : la préparation

Lugar del atentado (Kobylisy)

Le 27 mai prochain, cela fera 67 ans, jour pour jour, que le Protecteur de Bohême-Moravie, Reinhard Heydrich, fut assassiné par le commando Kubiš-Gabčík. Nous revenons aujourd’hui sur la préparation de cet attentat et sur ses aspects méconnus.

Reinhard Heydrich
" Nous appelons la police tchèque, les techniciens et les soldats tchèques à venir aider la radio tchèque. Nous appelons chacun de nos frères tchèques à l’aide de la radio tchèque. Attention, l’accès à la rue Balbínova est libre ! "

Voici l’un des appels à l’aide des résistants de la radio, comme il y en a eu beaucoup au cours de l’occupation nazie. Et depuis que Reinhard Heydrich est devenu, le 24 septembre 1941, le chef du Protectorat de Bohême-Moravie, les Tchèques en ont bien besoin, d’aide ! Les noms de résistants, victimes du bourreau, ne tiendraient pas ici ; membres du Parti communiste, tels Krejčí ou Šantroch, résistants d’origines diverses, ouvriers, étudiants, intellectuels, apprentis... Il faut dire que la Résistance tchèque a accompli de nombreux progrès en cette année 1941, qui voit l’unification de ses diverses tendances sous l’égide de l’UNRV, le Comité Central National Révolutionnaire.

Mais le projet d’attentat contre le Reichsprotektor n‘est pas une simple mesure de représailles à un niveau local. Maître du contre-espionnage et coordinateur majeur de la Shoah, Heydrich est l’un des plus hauts dignitaires du Reich. La demande d’un parachutage de commandos émane d’ailleurs autant de la Résistance intérieure tchèque, avec par exemple Morávek, que de Londres.

Jan Kubiš et Josef Gabčík
Plusieurs groupes de résistants tchécoslovaques seront parachutés de Londres, avec, chacun, des missions différentes. C’est à Jan Kubiš et Josef Gabčík qu’il revient d’assassiner Heydrich. Lorsqu’ils sont parachutés, fin décembre 1941, des parachutages antérieurs ont déjà eu lieu. Certains se sont soldés par des arrestations, comme celle de František Pavelka, qui saute le 4 octobre pour être arrêté le 25 par la police d’Etat, avec les six personnes chez lesquelles il devait être hébergé.

Au moment où Kubiš et Gabčík sont sur le sol tchèque, la police et la Gestapo sont donc déjà censées être en alerte et le terrain est miné... Les difficultés météo n’ont pas aidé les parachutistes, le brouillard persistant et la neige n’ayant pas toujours permis aux pilotes de les larguer à l’endroit convenu.

Gabčík et Kubiš, depuis leur atterrissage jusqu’aux abris successifs qu’ils trouvent, auront pu bénéficier d’une aide spontanée de civils rencontrés au hasard. Approvisionnement, informations, la résistance passive de la population peut vite se transformer en résistance active. Certains de ces civils ont payé ce courage civique de leur vie, d’autres sont passés entre les mailles du filet et en sont encore aujourd’hui étonnés... Ainsi, Bohuslav Bubník, qui appartenait au groupe sokol Jindra :

"Parce que nous étions directement liés à l’approvisionnement du groupe des parachutistes, nous avons été arrêtés et interrogés à Petschkárna, où ils voulaient tirer de nous tout ce que nous savions des parachutistes ".

L’entraînement des parachutistes – basé entre autres sur le combat au corps à corps ou encore la lecture de l’alphabet Morse, avait bien eu lieu en Angleterre. Mais les choix décisifs se trouvaient entre les mains du commando une fois sur place.

Ainsi l’endroit de l’attentat. On pense d’abord à attaquer le train personnel d’Heydrich. Il faudrait convaincre le machiniste de participer au complot et d’arrêter le train pendant qu’un membre du commando lancerait une bombe dans le compartiment d’Heydrich. Trop aléatoire, le plan est abandonné.

Très vite s’impose une autre idée : commettre l’attentat dans le quartier de Panenské Břežany, où Heydrich dispose de sa résidence privée. Kubiš et Gabčík prévoient de se munir d’un câble de fer, qui permettrait de ralentir la Mercedes du Reichsprotektor. Là encore, une faille est trouvée : le quartier alentour, quasi-désert, n’offre presque aucune possibilité de fuite ou de refuge.

Libeň,  le lieu d l'attentat,  la Mercedes de Heydrich est à gauche
Ce sera finalement le quartier de Kobylisy qui s’imposera, sur le trajet, emprunté tous les jours par Heydrich, de Panenské Břežany au château de Prague. Mais pour ne pas échouer, le commando doit choisir un lieu propice, où la voiture sera forcée de ralentir. Ce ne peut être que dans un virage accentué. Dans le quartier de Kobylisy, aujourd’hui à Prague 8, la rue V Holešovičkách tourne à angle aigu et offre les meilleures chances de réussite mais aussi de fuite, car le quartier est bordé d’un lacis de ruelles et de villas. Les deux parachutistes s’y rendront très souvent afin de mémoriser parfaitement les lieux pour le jour J.

Reste une information majeure : l’heure de passage de la voiture de Heydrich à Kobylisy. C’est Josef Novotný, qui, ironie du sort, est horloger au Château de Prague, leur fournira la réponse. La couverture est parfaite car son activité place l’horloger au-dessus de tout soupçon. Les heures des déplacements de Heydrich n’ont désormais plus de secrets pour Gabčík et Kubiš.

On connaît les modalités de l’attentat, réussi, qui a lieu le 27 mai 1942. Le pistolet de Gabčík s’enraye et c’est Kubiš, qui, en jetant une grenade sur la voiture d’Heydrich, le blesse mortellement. Ce que l’on sait moins, c’est qu’une véritable poursuite s’en suit dans le quartier, le chauffeur de Heydrich tentant d’abattre les membres du commando.

Par ailleurs, contrairement à ce qu’on imagine, le quartier n’est pas désert quand l’attentat se produit. Les trams 3 et 14 s’arrêtent dans le virage même de l’attentat. Il y aura de nombreux témoins, tous interrogés par la Gestapo.

"Armée tchécoslovaque, résiste, persévère ! Il y a tout juste un instant, les mitraillettes et les armes anti-blindage ont tonné au-dessus de nos têtes. Armée tchécoslovaque ! Armée tchécoslovaque ! Des tanks tchécoslovaques ont empêché aujourd’hui la coupure de câbles radiophoniques. Des bras tchèques soutiennent la station de radio. Nous sommes avec vous, soyez avec nous par le courage. Nous soutenons Prague! Prague est et reste libre !".

La première pierre du monument dédié aux parachutistes,  photo: Barbora Kmentová
Outre ceux de Gabčík et de Kubiš, des centaines de noms sont liés à l’attentat, comme ceux d’Opálka ou de Zelenka-Hajský, impossible de tous les citer ici.

Il faudra attendre le 27 mai 2008 pour voir posée la première pierre d’un monument dédié aux parachutistes, dans le quartier de Kobylisy. Pourquoi cela a-t-il pris tellement de temps ? Nous donnons le mot de la fin au maire de Prague 8, Josef Nosek, interviewé sur nos ondes en mai 2008 :

"A l’origine, c’est la dictature communiste qui empêchait (tout monument commémoratif) et ensuite, ça n’a été plutôt que la honte, qui a empêché ce monument de se construire plus tôt ".