Au Centre tchèque de Paris, réinventer le partage culturel

Centre tchèque de Paris, photo: Kenyh Cevarom, CC BY-SA 3.0

Comme de nombreuses institutions culturelles à travers le monde, l’épidémie de coronavirus a conduit à la fermeture de leurs portes au public et à l’annulation de toutes les programmations. Avec un point d’interrogation : quand les événements pourront-ils reprendre et dans quelles conditions ? Cette question et bien d’autres encore, les Centres tchèques dans le monde se les posent aussi. Pour en parler RPI a interrogé Jiří Hnilica, directeur du Centre tchèque qui est revenu sur le déroulement des événements en France en mars dernier, qui ont mené au confinement :

Centre tchèque de Paris,  photo: Kenyh Cevarom,  CC BY-SA 3.0

Au Centre tchèque de Paris, étiez-vous préparés au mesures de confinement en France ? Ou avez-vous été pris de court ?

Jiří Hnilica,  photo: Ondřej Tomšů
« Je dois dire que pour nous, au Centre tchèque, et sans doute pour toutes les institutions culturelles en France, la décision du 16 mars de ce confinement profond et presque total, a été à la fois une grande surprise – on espérait que ça n’aurait pas lieu pas – et une chose attendue. Le contexte européen il y a un mois et quelques jours était évident et tout allait vers le confinement étant donné la propagation du coronavirus. »

Comment se sont déroulés les quelques temps qui ont précédé le confinement en France ?

« Nous avons essayé quand même de programmer des événements tout au long du mois de mars. Mais à la mi-mars, les artistes tchèques n’étaient déjà plus autorisés à sortir du territoire. Le programme du Paris-Prague Jazz Club était censé être consacré au jazz tchèque. Pour nous, la première annulation a été celle du concert de Libor Šmoldas qui a finalement eu lieu beaucoup plus tard, dans un contexte différent, virtuel. Nous avons aussi eu un vernissage le 10 mars : l’exposition de Jiří Šlitr n’a pu être visitée que le jour du vernissage, le lendemain, puis elle a fermé au public. Les visites virtuelles ont pris le relais. Donc étions-nous préparés aux mesures de confinement : oui et non à la fois ! De mon point de vue, en tant que directeur, je ne m’attendais pas à un confinement aussi brusque. »

Qu’en est-il des événements qui étaient prévus et ont été annulés, sans pouvoir basculer dans l’espace virtuel ? Sont-il reportés, peut-on espérer encore en profiter mais plus tard ?

« Cela fait aujourd’hui un mois et une semaine que le confinement est tel en France qu’il n’est plus possible d’organiser des événements culturels. Étant donné notre activité assez large, puisque nous organisons en moyenne trois événements culturels par semaine, on a dû annuler une vingtaine de concerts. A ma grande tristesse, également, la toute première édition d’un nouveau festival que j’ai appelé Gypsy-Klezmer : ce devait être une rencontre de la musique ’de l’Est’ comme on l’appelle en France. On a dû décaler au mois de septembre la toute premier fête ou journée de la bière tchèque à Paris qui pour moi était à la fois un événement festif mais aussi qui devait nous permettre de parler de la culture de la bière et de la brasserie en République tchèque. Nous avons dû annuler, et pour longtemps je pense, une autre exposition : le cinéma français des années 1960 vu par les affichistes tchèques ou tchécoslovaques. Ce devait être une rencontre entre le graphisme tchèque des années 1960 et les films-phares de la Nouvelle vague française. Conçue avec la boutique pragoise Terryho ponožky, cette exposition ne sera clairement pas visible ici cette année. »

« Donc on essaye de décaler une partie de ce qui était prévu pour l’automne. Mais en même temps, il est impossible de rattraper le retard. Ce qui me préoccupe le plus, c’est de rester cohérent dans notre programmation, de rester aussi riche dans la programmation des domaines qui sont les nôtres : musique, arts plastiques et danse, de ne pas vouloir en faire trop à l’automne, et de reprendre dans les meilleurs délais les beaux projets qu’on a prévus. »

Comme le Centre tchèque de Bruxelles, et d’autres institutions tchèques et internationales, la programmation culturelle a été transférée vers l’espace virtuel : concrètement comment proposez-vous les concerts du Paris-Prague Jazz Club par exemple ? Quels concerts sont prévus ?

Photo: Paris-Prague Jazz Club
« Dans la vie, je suis optimiste. Je crois que toutes les mauvaises choses sont toujours une leçon pour les individus. Nous devons en tirer une expérience pour faire mieux les choses à l’avenir. C’est le cas avec ce confinement culturel. Comme pour Jitka Pánek Jurková, ma collègue de Bruxelles, et tout le réseau des Centres tchèques du monde, la chose positive c’est la co-organisation : nous nous ’rencontrons’ deux fois par semaine, on partage, on discute, on programme dans un univers virtuel. C’est une expérience extraordinaire qui nous permet de créer un vrai réseau des Centres tchèques dans le monde, même si ça avait toujours été un peu le cas. On a été obligés d’y réfléchir comme cela. Les Centres tchèques sont très actifs via le virtuel et le numérique. »

« Le souci de ce monde virtuel, c’est aussi que tout est possible et sans fin, sans frontières. On pourrait avoir tendance à faire trop de choses puisque tout est accessible. Pour notre programmation de Paris, les concerts du Paris-Prague Jazz Club s’est avéré un des sujets les plus importants. Assez rapidement, dès le mois d’avril, on a commencé à organiser les rencontres de jazz au Centre tchèque, une fois par semaine. Ce n’est pas toujours les vendredis mais on essaye d’avoir une certaine régularité. On a déjà organisé sept concerts avec un lieu culte, Jazz U staré paní, à Prague, et avec une plate-forme, Nechoď ven, qui nous aide techniquement et nous donne l’impression d’être à Prague, d’être dans le jazz-club, avec les musiciens. »

« On prévoit cette semaine un concert de Lenka Morávková, avec son instrument de musique à base de cristal et de verre. J’invite tout le monde à suivre ce concert de Bohemian Cristal Instrument parce que je pense que c’est une rencontre tout à fait inédite. Et puis nous prévoyons ensuite d’autres concerts chaque semaine, avec notamment le musicien slovaque Martin Valihora, en coopération avec le Centre slovaque de Paris. Il sera diffusé par la radio TSF Jazz, une station très connue pour les amateurs de jazz. Nous maintenons donc une vraie programmation de jazz bien que ce soit virtuel, de même qu’un standard assez haut pour notre rendez-vous Paris-Prague Jazz Club. »

Avez-vous des retours des fidèles du Centre tchèque de Paris ? Les gens sont-ils au rendez-vous pour soutenir la culture ?

« Dans l’espace virtuel, il est difficile de savoir si les gens qui ont cliqué suivent vraiment ou si ce sont juste des gens qui surfent et qui zappent. L’impression est totalement différente, bien sûr, par rapport à la situation où vous voyez les gens qui viennent au Centre tchèque et que vous pouvez saluer. C’est une expérience similaire pour tout le monde. »

« J’ai l’impression, sur la base d’analyses régulières que nous faisons, que nous avons un public très fidèle, un public que je remercie d’ailleurs. C’est aussi un public partagé entre la France et la République tchèque et d’autres pays du monde, et qui est composé, selon le nombre de fréquentations, de milliers de personnes. C’est énorme et ça me réjouit beaucoup. Pour les concerts de jazz, nous avons une fréquentation d’environ mille personnes. »

Qu’est-ce que la Librairie tchèque virtuelle ?

« Si d’un côté il y a le Paris-Prague Jazz Club comme programmation continue, nous avons également un espace tout à fait novateur dans l’histoire du Centre tchèque : c’est une librairie tchèque. J’espère qu’un jour nous aurons une vraie librairie tchèque au 18 rue Bonaparte, mais à l’heure actuelle il s’agit d’une librairie virtuelle. »

Photo: Centre tchèque de Paris
« Le Salon du Livre de Paris aurait dû se dérouler autour du 20 mars. La République tchèque devait y faire son grand retour après 12 ans d’absence, avec une programmation très riche conçue par le Centre littéraire tchèque. On s’était mis d’accord avec ce centre pour un programme off de trois jours qui devait se dérouler au Centre tchèque, avec des rencontres, des concerts, des ateliers... C’était notre grand projet de printemps. Le salon a évidemment été annulé et toute cette programmation également. C’est pour cela que nous avons créé un groupe Facebook intitulé Librairie tchèque virtuelle et qui est destiné à devenir un lieu de rencontres, de discussions autour des livres tchèques, du monde littéraire tchèque, en dialogue avec la France. L’idée est de faire mieux connaître la littérature tchèque et que cela serve de médiateur entre les livres tchèques traduits en français et leurs lecteurs potentiels. »

Prévoyez-vous des expositions virtuelles après celle consacrée à Jiří Šlitr ?

« Je crois que je n’oublierai jamais cette exposition de Jiří Šlitr au Centre tchèque. On a un peu l’impression qu’il est ici, avec nous, à Paris. Parfois j’ai même l’impression d’entendre depuis la salle Janáček sa musique ou que je vois se matérialiser le phénomène Semafor chez nous. D’autant plus que cette exposition a été fermée au public juste après son vernissage. Comme toutes les galeries on essaye de permettre à notre public de voir cette exposition via des visites musicales en montrant tous les dessins et croquis séduisants de Jiří Šlitr. »

« Ça ne remplace pas une vraie visite et une vraie découverte de l’œuvre artistique. Je suis donc heureux que nous ayons pu nous mettre d’accord avec la famille de Jiří Šlitr et la galerie Pellé à Prague, que je remercie, pour prolonger cette exposition jusqu’à la fin de l’été. On espère pouvoir l’ouvrir à partir de la mi-juillet, date à laquelle les galeries devraient pouvoir rouvrir leurs portes. On ne prévoit pas d’autre exposition virtuelle chez nous : on espère ouvrir celle de Jiří Šlitr au public. Mais nous proposons des visites virtuelles d’autres institutions tchèques : on a pas mal parlé de l’exposition Devětsil à Prague, ce mouvement artistique qui avait beaucoup de liens avec la France. »

L’exposition 'Šlitr Šlitr Šlitr',  photo: Tereza Nováková/Centre tchèque de Paris

Comment envisagez-vous le déconfinement à venir ? Comment allez-vous relancer l’activité du Centre et quels seront les défis pour les mois à venir ?

« C’est évidemment compliqué à prévoir parce qu’on reste fermés au public et qu’un déconfinement, pas général, mais étape par étape est prévu à partir de la mi-mai. Le point d’interrogation reste l’ouverture des institutions culturelles prévue pour l’heure à la mi-juillet. Ce rythme sera-t-il vraiment suivi ? C’est la question. En outre, je pense que mi-juillet, les Parisiens auront sans doute envie de faire autre chose que rester en ville. Pour moi la reprise des activités culturelles sera réelle en septembre, mais avec un rythme peut-être différent car on ne sait pas encore tout sur les vacances scolaires, les congés d’été etc. »

Photo: Centre tchèque de Paris
« La question des défis est intéressante : est-ce que les gens ne changeront pas leur mode de rencontres ? Les gens vont-ils à nouveau se rencontrer facilement, dans un lieu fermé, en sous-sol, ce qui est est le cas du Paris-Prague Jazz Club ? Vont-ils se déplacer en métro ? Les gens vont-ils garder cette distance, cette crainte d’être contaminé en public ? De mon point de vue, je pense qu’on va rester encore marqués par ce que nous sommes en train de vivre et ce, pendant plusieurs mois. »

« Autre question : quand les frontières tchèques rouvriront-elles totalement ? Quelles seront les prix des billets d’avion ? Les gens voudront-ils tout de suite une vie culturelle ? Je suis optimiste, je pense qu’à partir de septembre on va reprendre peu à peu notre programme habituel avec des rencontres régulières. On essayera de proposer des exposions et des rencontres musicales. Ce qui est sûr et certain c’est que l’espace virtuel va rester présent. Je pense que c’est là où, nous en tant que Centre tchèque de Paris mais aussi les autres dans le monde, nous avons découvert combien cet espace virtuel pouvait dépasser les frontières et permettre d’avoir des projets mondiaux et universels. Ce peut être une nouvelle expérience tant pour les institutions tchèques que françaises. J’espère qu’on va tous se retrouver bientôt au Centre tchèque parce que la culture est vivante, elle ne mourra jamais mais il faut la partager. La culture est faite pour les hommes et les femmes qui se voient, se rencontrent et s’applaudissent mutuellement. »