Barbora Štísová, une artiste qui fait perdurer l’art populaire de la Bohême
Pragoise de naissance, Barbora Štísová dessine depuis l’âge de trois ans. Après des études d’art, elle a quitté la capitale tchèque pour suivre son mari dans une maison à la campagne où ses journées ont été remplies de bien autre chose que d’expositions et de concerts. Elle a abandonné sa passion pour trente ans, pour la retrouver à la veille de la retraite. Dans son œuvre, Barbora Štísová fait évoluer deux techniques originales de dessin sur bois et sur verre qui s’inscrivent dans la tradition de l’art populaire de la Bohême.
« Je dessine depuis l’âge de trois ans. A l’époque, je dessinais seulement des chevaux. Tout le temps des chevaux. Et je n’ai jamais été pluridisciplinaire. Je n’ai jamais excellé en mathématiques ou en langues. En revanche, chez ma fille, qui faisait aussi un peu de dessin, l’esprit logique a pris le dessus. Elle est très forte en mathématiques, ce qui n’a jamais été mon cas. »
La création artistique interrompue pour trente ans
Avec le soutien de sa famille, Barbora Štísová a poursuivi ses études à l’École des arts appliqués et a décroché son premier poste comme doreur au Château de Prague. Elle a participé à la rénovation de la salle Vladislav et de la Maison municipale. Dans son temps libre, elle prenait part à la vie culturelle de la capitale tchécoslovaque de l’époque, elle se rendait souvent au théâtre et aux expositions. Après quelques années de travail au Château, elle a fait connaissance de son futur mari. A l’époque, sa grand-mère lui conseillait de ne pas se marier parce qu’elle se destinait alors à faire de l’art et pas aux tâches ménagères. Barbora Štísová s’est tout de même lancée dans l’aventure et remarque aujourd’hui, avec fierté, qu’elle a réussi à concilier les deux, même si sa création artistique a dû subir une longue pause.Après la naissance de leur fille, la jeune famille habite toujours chez les parents de son mari. Ces conditions matérielles les poussent à quitter Prague pour s’installer à la campagne. La Bohême du Nord a été un choix logique :
« Mon père avait un chalet au nord de la Bohême. Nous y passions des étés entiers. La région étant moins chère, nous avons acheté une maison et nous y sommes restés trente ans. Je ne pouvais pas dessiner là-bas. Mon mari travaillait comme électricien, moi je faisais le ménage dans un hôpital et à la maison, je m’occupais de notre fille et puis de nos animaux, de la volaille, des lapins, des oies et des cochons. Mais le dessin me manquait toujours. »Dans son métier suivant, responsable de la publicité dans l’entreprise publique de textile d’intérieur (BYTEX), Barbora Štísová s’ennuie. Sa seule activité proche de sa passion reste le dessin d’affiches pour les célébrations du premier mai, quand bien même cette célébration suscitait peu d’enthousiasme parmi la population notamment à cause de la participation obligatoire sous le régime communiste. Après la Révolution de velours, son époux reprend un travail à Prague. Elle, reste en Bohême du Nord. C’est finalement ce changement de situation qui a permis à la dessinatrice de revenir au dessin :
« Mon mari a commencé à travailler comme éclaireur à la télévision à Prague. Il restait à Prague et moi à la campagne. Cela m’a donné plus de temps pour créer. J’ai recommencé à dessiner. Les débuts ont été difficiles, je ne savais pas comment vendre mes œuvres. Au bout d’un moment, j’ai eu quelques clients et j’ai commencé à faire des expositions et tout cela allait assez bien. »Deux techniques de l’art populaire de la Bohême
Barbora Štísová utilise deux techniques de l’art populaire de la Bohême – la peinture à l’huile sur bois et la peinture sur verre. Pour cette dernière, elle puise son inspiration dans des œuvres exposées au musée régional de la Bohême du Nord. Elle dessine surtout des saints et des symboles religieux. C’est à la fois en souvenir de son premier travail de restauration dans les églises pragoises, mais aussi en réponse à la demande – la campagne tchèque étant plus religieuse que les villes, les gens achètent ses images saintes pour décorer leurs maisons. Elle-même n’étant pas croyante, l’artiste a toujours tenu à maintenir la plus grande exactitude pour ses images, mais cela n’a pas toujours satisfait ses clients :« J’ai eu par exemple un problème avec saint Lucie qui est très belle, mais selon la symbolique des saints, elle tient sur une assiette ses yeux crevés. Et c’est ce que j’ai dessiné, avec un couteau ensanglanté, en plus. Vous imaginez que cela n’a pas plu à la grand-mère qui voulait offrir un cadeau à sa petite Lucie pour sa fête. J’ai dû refaire l’image dans le style de la princesse, mais si on veut être fidèle au Moyen-Age, je pense qu’il faut aussi accepter sa morbidité. »Ses clients pragois préfèrent la deuxième technique de Barbora Štísová, la peinture sur bois où elle peint des sujets moins sérieux. Le choix de cette technique était surtout d’ordre pratique : à la campagne, elle avait accès au bois en grandes quantités et puis, cette technique lui permet de ne pas dessiner le fond de l’image, la partie qu’elle préfère le moins. Elle le laisse toujours tel quel.
De l’humour et de la nostalgie de la Première république tchécoslovaque
Quant aux thèmes qu’elle aime peindre, ce sont des visages et surtout des chapeaux qui rappellent les bourgeois des années 1920 et 1930. Elle s’inspire des vieux livres et des publicités de l’époque de la Première république tchécoslovaque. Mais ce n’est pas seulement une nostalgie pour le passé, ce sont aussi ses souvenirs personnels qui nourrissent ses œuvres :« J’ai eu une grand-mère que j’adorais. C’était une vraie dame de la Première république. Quand je cherche de l’inspiration, il me suffit de regarder ses photos. C’était une femme émancipée. Elle avait son permis de conduire et on allait en voiture dans une autre ville pour chercher ses robes qu’elle faisait coudre. J’ai de beaux souvenirs de cette époque. »Sur ces images, il y a beaucoup d’humour, et les seins ou les fesses nues ne manquent pas non plus, ce qui contraste avec les thèmes religieux de ses peintures sur verre. Barbora Štísová complète la description de son style sur bois :
« Ce sont des images joyeuses, pas d’abstraction, pas de thèmes trop sérieux. Je ne dirais pas pourtant que c’est de l’art naïf. Je fais partie de ce groupe qu’on désigne parfois comme des artistes moins connus. »
A la différence de ses contemporains plus célèbres, comme Emma Srncová et Iva Hüttnerová, elle reste une artiste « populaire » car ses œuvres restent accessibles même à ceux qui ont un budget plutôt modeste.Au nord de la Bohême, elle est active dans l’association des artistes régionaux, qui organisait des expositions dans la ville de Rumburk, la capitale de la région. Elle a eu également plusieurs expositions dans des musées régionaux partout en République tchèque ainsi qu’à l’Académie des sciences à Prague. Elle a eu quatre expositions en Pologne et en 2007, ses œuvres ont été présentées au Centre tchèque de Rome.
Barbora Štísová remarque avec humour que sa plus grande exposition a été sa première :
« En 1977, l’année de mon baccalauréat, j’ai eu ma première exposition à Prague-Smíchov dans les locaux souterrains d’un club de musique rock. C’était grâce au soutien d’une de mes professeurs. Mon père a invité toutes les connaissances de la famille et c’était tellement rempli de gens que je pense que c’était la plus grande de toutes mes expositions. »
Récemment, l’artiste a pris sa retraite et a déménagé à Prague. Son appartement est à la fois son atelier et une petite galerie de ses œuvres préférées. Elle n’a pas abandonné la création artistique. Grâce à quelques voyages en Inde, elle a commencé à s’intéresser à la mythologie indienne et les reflets de ces voyages seront à découvrir dans ses prochaines peintures.