Rott, Belada et List : ces Tchèques qui ont pensé le métro de Prague bien avant les communistes
Le métro de Prague a 50 ans ! À cette occasion, nous vous invitons à découvrir quelques-unes des stations emblématiques du réseau métropolitain de la capitale tchèque. Après Hlavní nádraží, nous prenons la direction de Muzeum, station située au croisement des lignes A et C, où notre guide Martin Karlík de l’organisation Prague City Tourism, nous apprend que le projet de construction d’un métro à Prague remonte non pas aux années 1970 mais au tournant des XIXe et XXe siècles.
Dans le vestibule de la station Muzeum sont exposés les bustes de deux ingénieurs, Vladimír List et Bohumil Belada. La plaque explicative indique qu’en 1926 les deux hommes « ont posé les bases de la réalisation du métro de Prague ». Pouvez-vous nous en dire plus sur le profil de ces deux ingénieurs et sur la nature de leurs plans ?
« Bohumil Belada était un ingénieur. Il s’était attelé à la conception du métro d’un point de vue architectural, quand Vladimír List s’était, lui, avant tout chargé de la partie électrotechnique. Ensemble, ils ont esquissé un premier projet de métro à Prague. De nos jours, à l’occasion du 50e anniversaire du métro, des images des stations qu’ils avaient conçues ressortent sur internet et dans les journaux. Elles ressemblaient pour beaucoup au métro de Berlin : plus basses que celles que nous avons aujourd’hui et revêtues de petits carreaux. Belada et List avaient imaginé quatre lignes dont le tracé était plus ou moins le même que celui que nous connaissons actuellement, en prenant en compte la future ligne D. Les deux hommes ont plutôt bien mené leur barque, car le projet a beaucoup fait parler de lui, au point que les journaux ont même annoncé que le métro verrait le jour à Prague et que sa réalisation commencerait sous peu. Mais, comme nous le savons, sa construction n’a pas débuté. »
Le premier projet de métro à Prague doit-il donc être attribué à MM. List et Belada ou y avait-il eu encore d’autres propositions avant eux ?
« Le premier projet, ou du moins suggestion, d’un métro est à mettre au crédit d’un entrepreneur pragois, propriétaire d’une quincaillerie, membre du conseil de la capitale royale de Prague et dénommé Ladislav Rott. C’est lui qui, dans la dernière décennie du XIXe siècle, a clamé le premier : ‘Construisons un métro à Prague !’ Le conseil de la ville l’a alors dévisagé en restant bouche bée. À l’époque, les tramways étaient encore en majorité tractés par des chevaux. Le tramway électrique faisait tout juste son apparition et effrayait déjà certains qui, à sa vue, s’exclamaient : ‘Que c’est étrange ! Dieu sait ce que c’est ! C’est l’invention du diable !’ Alors imaginez la situation quand soudain quelqu’un vous annonce que dorénavant vous circulerez sous terre en métro. Les gens n’étaient tout simplement pas prêts mentalement. »
« Rott était une personne en avance sur son temps et, alors que commençait la construction du réseau d’égouts à Prague, il avait tout de suite compris qu’il serait judicieux de construire le métro simultanément afin que les deux réseaux ne se gênassent pas l’un l’autre. C’était un bon argument, mais il n’a pas été entendu. »
Les Américains sur le coup
Le projet de Rott était de toute évidence arrivé trop tôt sur la table, même si les premiers réseaux de métro commençaient déjà à apparaître dans plusieurs grandes villes à travers le monde, que ce soit à Paris, Londres ou New-York. Y a-t-il eu encore d’autres projets en dehors de ceux de Rott et du tandem List-Belada ?
« D’autres ingénieurs ont également proposé des projets par la suite. Sous la Première République, dans les années 1920, une entreprise américaine a même voulu obtenir le contrat pour la construction du métro et la fourniture des rames. À cette époque-là, cependant, le nationalisme dans la jeune république était très fort. Tout devait être entrepris par les Tchèques eux-mêmes. Toutefois, il se trouve qu’à Chicago il y avait une grande communauté tchèque et que parmi eux un jeune étudiant avait remporté un prix d’ingénierie avec un projet de métro pour Prague. Les Américains sont alors revenus vers nous, nous ont dit qu’ils construiraient le métro et qu’ils prétendraient que l’idée venait de cet ingénieur tchèque. Mais, là encore, cela ne s’est finalement pas fait. »
La suite, nous la connaissons. Après plusieurs tentatives infructueuses, le métro voit finalement le jour à Prague en 1974 sous le régime communiste. Muzeum est d’ailleurs l’une des premières stations à ouvrir ses portes. La station renferme plusieurs curiosités. À côté, en effet, des deux bustes de List et Belada, se trouve une porte sur laquelle est inscrit « salónek » (salon, en français). Sait-on ce qui se cache derrière ces portes et quelle est la fonction de ce salon ?
« Ce salon me rappelle un endroit similaire dans le réseau d’égouts. Quand ce dernier a été réalisé au tournant des XIX et XXe siècles, une entrée pour les visiteurs a été aménagée près de l’Hôtel de ville de Staré město. Ainsi, quand une délégation d’une autre ville venait rencontrer le maire, celui-ci pouvait montrer avec fierté ce qui se faisait alors à Prague. Il me semble qu’il devait en être de même avec ce salon, de sorte que lorsque quelqu’un venait à Prague, en visite officielle, nous pouvions lui proposer un tour du métro et l’accueillir dans ce salon. Je me trompe peut-être, mais je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de métros dans le monde qui puissent s’enorgueillir d’avoir un salon. Cependant, bien qu’il ait été restauré et que des séminaires et des conférences puissent en théorie s’y tenir, je pense malgré tout que nous avons à Prague des lieux plus beaux et accueillants (rires). »
« Le musée national devait être grand, somptueux et visible de loin »
Nous ne pouvons pas parler de la station Muzeum sans parler du musée situé juste au-dessus de la station. Il s’agit d’un des bâtiments les plus emblématiques de la capitale tchèque. Sa construction au XIXe siècle revêtait-elle une signification particulière qui justifiait de pareilles dimensions ?
« Oui, absolument. À partir de la moitié du XIXe siècle, une querelle profonde opposait les Tchèques aux Allemands. Les Tchèques avaient besoin de montrer qu’ils étaient une grande nation avec leur histoire propre. Ils ont donc d’abord édifié un théâtre national puis un musée national. Ce musée devait être grand, somptueux et visible de loin. Et le marché aux chevaux adjacent, l’actuelle place Venceslas, paraissait être l’endroit idéal pour le construire. En haut de la place, en effet, il y avait autrefois une des portes de la ville, la porte dite équine, qui faisait partie des fortifications de Prague. Après la guerre contre la Prusse en 1866, ces fortifications ont été détruites car elles n’avaient plus d’intérêt. Les guerres modernes se menaient différemment et les bastions, forteresses et autres portes étaient devenus obsolètes. La porte a donc été détruite. Un espace s’est libéré et c’est cet endroit qui a finalement été choisi pour édifier le Musée national. »
Qu’est-ce que les visiteurs peuvent admirer à l’intérieur du musée ?
« Les visiteurs y trouveront des trouvailles archéologiques, des collections paléontologiques et apprendront toutes sortes de choses sur l’histoire tchèque. Notons d’ailleurs que la couleur marron de la station Muzeum sur la ligne A fait écho à la couleur de l’argile, une référence donc à l’archéologie et à l’histoire ancienne du pays présentée au musée national. »
« Il y a trente ans, les vitrines d’exposition du musée étaient bien différentes et un peu ennuyeuses, disons-le. Les sorties scolaires qui s’y effectuaient s’apparentaient à une forme de punition. Il en est autrement aujourd’hui. D’importants efforts ont été entrepris depuis pour rendre le musée plus attrayant. »
Le saviez-vous ?
Sur la ligne A, les panneaux pressés en aluminium anodisé convexes et concaves qui font le charme des stations les plus anciennes du centre-ville n’avaient pas à l’origine seulement une fonction esthétique. Leur courbure avait, en effet, été conçue de manière à ce que leur revêtement casse les ondes sonores émises par les vieilles rames soviétiques. Chaque station dispose par ailleurs de son propre nuancier de couleurs qui, au fil des années, est devenu un élément distinctif et un moyen d’orientation.
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