« Le Graal retrouvé » : un passeport délivré par le consul Vochoč pour sauver des Juifs refait surface
L'un des passeports provisoires tchécoslovaques délivrés pendant la guerre par le consul Vladimír Vochoč à Marseille vient d'être retrouvé grâce aux archives allemandes.
Le document était déjà en ligne depuis quelques années mais n’avait pas été repéré par les spécialistes du sujet. À l’occasion de sa venue pour participer à l’école d’été d’études slaves à Poděbrady, c’est un retraité français passionné de généalogie, Claude Ricard, qui a grandement contribué à retrouver ce fameux passeport rose ayant permis à plus de 2500 personnes – en majorité juives – de quitter l’Europe et fuir le nazisme au début des années 1940. Entretien.
« Je m’appelle Claude Ricard, j’habite à Marseille. J’ai des origines tchèques très anciennes que j’ai découvertes il y a un an en faisant des recherches généalogiques. »
De quel coin ?
« Mon ancêtre est né en Moravie, à Miroslav, en 1765, et ça s’appelait Mislitz en allemand à cette époque-là. J’ai découvert en faisant ces recherches dans les archives françaises de l’état civil. Je m’appelle Ricard et mon ancêtre s’appelait Reichart. Alors ce n’est pas un nom tchèque je crois, c’est plutôt un nom germanique. Lui et ses enfants ont été enregistrés sous le nom de Reichart et ensuite la génération suivante a pris un autre nom, ils ont francisé leur nom en Ricard. »
Votre père et votre grand-père n’étaient pas au courant de ces racines en Europe centrale ?
« Dans les familles, il y a toujours des histoires ou des légendes familiales. Il y avait quand même un souvenir – mais pas du tout documenté – de quelqu’un qui était appelé ‘l’Autrichien’. Mais on ne savait rien de plus. Il y avait quand même une trace parce qu’ils étaient tailleurs de pierre et les tailleurs de pierre ont créé une stèle. Ils ont inscrit les noms des différents tailleurs de pierre et le premier nom à figurer sur la stèle est celui de mon ancêtre Venceslas Reichart. Donc on savait quelque chose mais on ne savait pas du tout d’où il venait. »
« Et on a trouvé sur un site internet un de ces fameux passeports ! »
Quand avez-vous avez vu le nom de Vladimír Vochoč pour la première fois ?
« C’est lié à cette histoire, puisque pour continuer mes recherches généalogiques, j’ai pris contact avec le consulat tchèque à Marseille. J’étais bloqué, je ne savais pas où chercher et donc Madame Petra Gehan, officier consulaire à Marseille, m’a donné un lien vers les archives tchèques qui m’ont permis de trouver. Et d’ailleurs, c’est ce qui m’a un peu conduit à vouloir apprendre le tchèque. Cela a coïncidé avec le moment où le consulat tchèque a ouvert une bibliothèque Vladimír Vochoč, l’année dernière. »
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« Ensuite, il y a eu l’inauguration de la stèle en janvier 2024. Et donc je me suis, en tant que Marseillais en plus, intéressé à la vie de Monsieur Vochoč et à ce qu’il a fait. En plus son histoire est quand même très humaine. Il y a eu d’autres personnages comme lui - le plus célèbre est peut-être Schindler - mais il a fait la même chose en fait à son échelle et je me suis vraiment pris d’intérêt pour cette personne. »
« Après avoir sympathisé aussi avec Petra Gehan, je suis devenu bénévole à la bibliothèque tchèque de Marseille, la bibliothèque Vochoč, et donc j’aide à la gestion. Et on souhaitait retrouver un passeport délivré par Vladimír Vochoč. »
Un de ces fameux passeports roses déjà évoqués sur nos ondes... Rappelons brièvement que Vladimír Vochoč a aidé à sauver plusieurs centaines de réfugiés, plus de 2500 personnes en tout - aidé aussi par d’autres à Marseille et ailleurs - et effectivement, jusqu’ici, on n’avait jamais retrouvé les passeports qu’il a aidé à délivrer pour que ces personnes, en majorité juives, puissent se sauver d’Europe.
« Exactement. Et donc là, il se trouve que récemment, en préparant une présentation, j’ai demandé à Marika Constable qui gère notre groupe à Poděbrady, de m’aider à faire une présentation. En fait, je voulais présenter l’histoire de Vladimír Vochoč à l’ensemble des participants qui viennent du monde entier et notamment d’Amérique du Sud et des États-Unis, parce que parmi les personnes que Monsieur Vochoč a aidées à s’enfuir de France beaucoup sont allés dans ces pays. »
« Je me suis dit que peut-être avec un peu de chance quelqu’un venant de ces pays pourrait avoir une histoire croisée avec celle de Monsieur Vochoč. Alors peut-être pas spécifiquement dans leur famille, mais beaucoup sont dans des associations tchèques locales. Bon, je me suis dit que peut-être ce serait intéressant de leur passer l’information pour pouvoir peut-être récupérer le Graal… »
« Et en fait ce qui s’est passé, c’est qu’avec Marika on a fait des recherches pour illustrer la présentation et on a trouvé sur un site internet un de ces fameux passeports ! Il est au nom d’Ivan et Charlotte Heilbut. Il a été délivré en septembre 1940 à Marseille et il a été utilisé par ces personnes-là pour fuir la France à cette époque. »
« Notre objectif, maintenant qu’on a retrouvé un passeport, c’est d’en trouver beaucoup plus ! Donc par le biais de mes collègues étudiants à Poděbrady, peut-être, j’en trouverai d’autres. Sinon il y a d’autres sources en ligne. Bon alors, on va continuer à chercher et l’idée c’est avec Petra à Marseille de réunir le plus possible de ces passeports, de leurs copies, pour les exposer dans la bibliothèque Vochoč. »
Environ 500 livres et des locaux bientôt insuffisants
« C’est une bibliothèque qui a à peine un an d’existence. Elle est il y a eu beaucoup de donateurs, il y a des maisons d’éditions tchèques qui envoient des livres régulièrement à Marseille, il y a aussi des personnes qui fournissent des livres et on commence à avoir un petit un petit fond de bibliothèque d’environ 500 livres, il y a des livres pour enfants, il y a des livres d’art. On a quelques films aussi. Je pense que très rapidement les locaux seront insuffisants, il va falloir qu’on trouve une solution pour trouver de la place parce que le consulat de Tchéquie à Marseille, c’est en fait une grande pièce qui doit faire à peu près 50 mètres carrés. Bon elle est déjà bien occupée. Avec Petra on commence à chercher des solutions pour multiplier les linéaires pour pouvoir accueillir encore plus de livres. »
Quand est-ce que vous allez en Moravie, à Miroslav ?
« Alors je termine le stage de tchèque le 3 août et le 4 août je pars à Miroslav. Dans mes recherches j’ai trouvé en Tchéquie le nombre de Reichart qui existaient. J’en ai trouvé 7, dont un en Moravie. Alors peut-être, qui sait ? »
Seriez-vous en train de nous dire, Claude Ricard de Marseille, que le Pernod-Ricard est d’origine morave ??
« (Rires…) Non parce que Ricard c’est un nom d’emprunt. Donc non, je ne crois pas. »
Paul Ricard n’avait pas le même ancêtre que vous ?
« Non, je ne connais pas l’histoire de Paul Ricard mais il est assez connu pour être originaire de Provence, c’est un Provençal pur et dur ! »
Le passeport, signé par le consul tchécoslovaque Vochoč, a été retrouvé sur le site kuenste-im-exil.de où il est précisé qu’il provient des Archives de l’exil de la Bibliothèque nationale allemande.
Il a été délivré grâce à Vladimír Vochoč, qui travaillait en coopération avec le Emergency Rescue Committee (ERC) – Comité de sauvetage d’urgence, géré à Marseille par Varian Fry et d’autres.
Il s’agit donc d’un faux document dans lequel l’écrivain Iwan Heilbut est orthographié Ivan, exerçant la profession de commerçant et avec un lieu de naissance à Sternberg (Šternberk en tchèque ; il était en fait né Hamburg) et pour son épouse Charlotte à Brno (elle était née en réalité en Pologne).
Le couple, avec un petit garçon de onze mois, obtient ce document le 4 septembre 1940 puis franchit les Pyrénées pour arriver à Port-Bou en Espagne le 20 septembre, à Barcelone le 21 septembre pour entrer au Portugal le 24 septembre, via Madrid et Badajoz – un périple similaire à celui de nombreux réfugiés, dont plusieurs autres intellectuels comme l’écrivain pragois Franz Werfel et son épouse, la musicienne Alma, veuve de Gustav Mahler. Comme en témoigne la liste des passagers du bateau retrouvé dans d’autres archives, la famille Heilbut a réussi à embarquer fin décembre à Lisbonne pour arriver à New York le 6 janvier 1941.
Ce passeport tchécoslovaque provisoire – à ce jour le seul préservé et retrouvé – devrait sans nul doute faire l’objet de beaucoup d’intérêt à Prague, où l’on s’apprête à marquer le quarantième anniversaire de la mort de Vladimír Vochoč en janvier prochain.
En attendant les études d'historiens de la période, plusieurs particularités sont notables au premier abord sur la couverture de ce passeport extraordinaire : outre sa couleur rose et le mot ‘passavant’ employé en français pour définir ce document provisoire de voyage, le nom de la ‘Republika Česko-Slovenska’ (pays qui n’existait plus en 1940) est traduit en allemand par Čecho-Slovakische Republik, avec une orthographe peu banale pour le nom d’un pays usuellement écrit Tschechoslowakei dans la langue de Goethe.
Quant au trait d’union entre Tchéco et slovaque, il disparaît ensuite dès la première page du passeport dans les trois langues – tchèque, français et allemand. Erreurs de faussaire ?
Enfin, peut-être plus surprenant : sur la ligne Nationalité, il est écrit à la main ‘d’origine tchécoslovaque’... Malgré ces approximations, ce type de « passavant » salvateur a rempli sa fonction et permis à des centaines de personnes d’échapper à la déportation et à la mort.