Robert Ossendorf, le pilote tchèque de la RAF sauvé par des paysans bretons en 1944
Les récentes commémorations des 80 ans du Débarquement allié en Normandie ont été également l’occasion de remettre en lumière le rôle de la Royal Air Force et notamment de ses escadrons tchécoslovaques en appui aérien. Deux semaines à peine avant le lancement de l’opération Overlord, un pilote tchécoslovaque du nom de Robert Ossendorf, également connu comme Robert Osenský, doit faire un atterrissage d’urgence en Bretagne. Recueilli et caché par des habitants, puis engagé dans un réseau local de la Résistance, il pourra regagner ensuite l’Angleterre grâce au réseau Shelburn.
Tout comme deux ans auparavant lors d’un vol d’entraînement au-dessus de l’Angleterre, ce 21 mai 1944, le pilote tchécoslovaque Robert Ossendorf se trouve face à une situation d’urgence dans son Spitfire. Sauf que cette fois-ci, il a été touché par un obus allemand au-dessus de la France occupée, alors qu’il mène une mission de reconnaissance armée appelée Ramrod 905, avec attaque de cibles ennemies. S’il a auparavant traversé la Manche sans encombre, cette fois, le problème est réel, même si dans un premier temps, il semble pouvoir poursuivre sa mission dans le ciel breton.
Lorsque Robert Ossendorf réalise qu’il va devoir pratiquer un atterrissage d’urgence, il est à la verticale de la commune de Laurenan, dans les Côtes-d’Armor et cherche une prairie où se poser. Il est peu après midi, comme le rappelle Jimmy Tual, enseignant, membre de l’association des Amis de la fondation pour la mémoire de la Déportation, et passionné d’histoire qui, il y a quelques années, a contribué à reconstituer l’histoire oubliée de Robert Ossendorf :
« Ce 21 mai 1944, Robert Ossendorf arrive à réaliser l’atterrissage d’urgence de son appareil dans cette grande prairie qui s’appelle La Grande Lande. Il va réussir à repérer cet endroit plat qui n’est pas un espace cultivé. Il parvient à faire glisser l’appareil le long du Ninian, un petit ruisseau. Dans le choc, une roue va être arrachée. Le Spitfire est sacrément secoué mais il ne prend pas feu. Robert Ossendorf arrive à s’extraire de l’appareil même s’il se blesse au niveau des mains, et le voilà qui file vite hors de la zone de l’atterrissage. On est vers midi et demi, une heure, et tous les habitants ont bien vu cet avion qui avait déjà fait un passage auparavant. »
Muni d’un Colt, Robert Ossendorf se retrouve seul dans la campagne bretonne et doit trouver où se cacher avant que les Allemands ne le repèrent. Il finit par arriver dans un hameau appelé La Hutte à l’anguille où il est pris en charge par un résistant, Pierre Rétif, qui l’amène chez un fermier du coin, Joseph Rouxel, un ancien Poilu qui, selon ses propres dires, « n’avait pas peur des Boches ». C’est là que Robert Ossendorf va se cacher et se faire passer pour un local, après avoir détruit tout ce qui pourrait l’identifier. Léon Poilvert, 90 ans, est le petit-fils de cet agriculteur breton. Il avait neuf ans lors de l’arrivée de cet inconnu de la RAF et s’en souvient :
« Il a brûlé toutes ses affaires et on lui a donné des bleus de travail qui appartenaient à mon père. Et également des bottes. Il est resté bien quarante jours à la ferme (trois semaines en réalité, ndlr). Ma mère était affolée d’avoir un Anglais à la maison ! Evidemment, ce n’était pas un Anglais mais un Tchèque au service de la RAF. Elle a dit à son père : tu vas nous faire tous fusiller. Je m’en souviens comme si c’était hier… En réalité, ça s’est très bien passé. »
Alors qu’entre-temps les autorités françaises sous occupation, et donc les autorités allemandes ont été prévenues, et que le pilote est activement recherché, Robert Ossendorf va passer plusieurs semaines au sein de la famille, comme le rappelle Jean-Michel Martin, également historien local :
« Ayant détruit son uniforme et ses effets militaires, Robert Ossendorf a été équipé en vêtements de travail. Tout le monde a fait en sorte qu’il soit habillé correctement pour qu’il n’y ait pas de suspicion. Très vite il a pris en charge le cheval de la famille, avec la charrette. Le matin, il partait chercher du trèfle qui servait à nourrir les animaux. Il participait à d’autres tâches de la ferme. Pendant ces trois semaines, il a été très actif. Par contre, il n’allait pas très loin : les champs étaient tout proches de la maison, donc il y avait peu de chemin à faire. Il y avait une protection qui s’est établie : les gens du village ont été merveilleux, les enfants aussi savaient qu’il y avait un pilote, mais personne n’a rien dit car le risque était énorme. »
Le courage des habitants, la détermination des résistants et l’efficacité du réseau Shelburn
Robert Ossendorf en a évidemment bien conscience et après ces trois semaines, il décide de quitter la ferme pour ne pas mettre ses habitants plus en danger, et rejoint les résistants de Moncontour. C’est dans ce cadre que le pilote tchécoslovaque va se retrouver confronté à un groupe d’une trentaine de soldats allemands stationnés au bord d’une route. Lui et un compagnon de Résistance décident de les attaquer par surprise, comme le raconte Jimmy Tual :
« Là, c’est un moment plus difficile pour Bob, Robert Ossendorf donc. Avec un autre résistant, Jean Kervella, ils reviennent de nuit, il est 22 heures et au carrefour se trouvent des Allemands qui surveillent la venue d’un convoi. On ne sait pas trop comment les tirs commencent. Un sous-officier allemand se trouve au milieu du carrefour. Qui lui tire dessus ? Est-ce que c’est Bob ou l’autre résistant ? En tout cas, ils vont le tuer avant de partir en courant. Les autres Allemands voient leur sous-officier tomber et commencent à tirer dans tous les sens. Robert prend une balle à la hanche, ou à l’arrière du dos. Il est blessé, or ils ont laissé leurs armes – la mitraillette pour le résistant, le Colt pour Bob qu’il avait depuis qu’il avait quitté l’avion – derrière eux. Ils arrivent en catastrophe dans une ferme où ils demandent de l’aide. Robert va être laissé dans un champ pendant la nuit car c’est beaucoup trop risqué. Il va demander à ce qu’on prévienne les autres résistants et qu’on l’amène à une chapelle un peu plus loin où il y a une cache. Ce ne sera fait que le lendemain et en attendant, il passe la nuit dehors, blessé… Le lendemain, il est emmené et va être soigné par Aïde Richard, une infirmière du réseau de résistance de Moncontour. On est le 24 juin, et après ce qui s’est passé, les résistants vont quitter Moncontour le 28 juin et se faire plus discrets. »
Blessé, Robert Ossendorf va être emmené le même jour vers un autre haut-lieu de la Résistance locale, comme le rappelle Jean-Michel Martin :
« Il a été dirigé vers le manoir de Bréfeillac, chez madame de Ponfilly, une très grande résistante qui a accueilli un nombre énorme de résistants. Ils n’étaient pas dans son manoir mais dispersés tout autour dans des maisons dans les bois. Elle a fait quelque chose d’extraordinaire. Elle a donc accueilli Robert qui souffrait terriblement et il fallait faire quelque chose car la balle était toujours logée. Un docteur est venu en vélo, avec sa trousse de secours. Il a été opéré dans une grange sur une table d’opération de fortune. L’anesthésie n’était pas celle d’aujourd’hui et il a dû être dans une grande souffrance. Ensuite, il a été proposé une première fois pour rejoindre le réseau Shelburn à Plouha pour une évasion vers l’Angleterre. Mais vu son état il était très difficile de le faire partir parce qu’il n’était pas rétabli et il y avait la descente de la falaise qui était une véritable épreuve, surtout en pleine nuit. Ils ont attendu la mission suivante où il a été emmené par un postier résistant de Saint-Brieuc. »
Le réseau Shelburn, qui a fait l’objet d’un film français sorti en 2019, était une filière d’évasion créée pour recueillir et rapatrier vers l’Angleterre les aviateurs alliés tombés sur le sol français. Comme de nombreux autres de ses camarades, Robert Ossendorf passe ses derniers jours en France dans la maison d’Alphonse, appartenant à Jean et Marie Gicquel, qui hébergèrent pour le réseau des dizaines d’aviateurs anglais.
« Bienvenue tout le monde à la maison d’Alphonse », telle était la phrase qui donnait le feu vert aux résistants de Plouha qui sont ainsi parvenu à exfiltrer 135 aviateurs alliés entre janvier et août 1944. Deux mois après son atterrissage d’urgence, le pilote tchécoslovaque rejoint donc les îles anglo-normandes, non sans avoir fait preuve de détermination et de courage pour surmonter la douleur et échapper à la surveillance des Allemands, avec l’aide des résistants bretons.
Un retour en Tchécoslovaquie de courte durée
Avec Robert Ossendorf, nous sommes une fois de plus face à un profil de parcours assez typique de celui d’autres soldats tchécoslovaques engagés côté Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale dont nous avons déjà retracé certains parcours sur notre antenne.
Né en 1916 à Všeruby, près de Plzeň, Robert Ossendorf est l’un des cinq enfants d’un gendarme, Viktor Ossendorf et de sa première épouse Marta. Le père est muté à Holešov en Moravie en 1929 où le jeune Robert termine sa scolarité avant d’étudier deux ans à l’Ecole industrielle inférieure de chimie et de travailler comme pharmacien à Olomouc jusqu’en 1936. À cette époque, il commence à voler avec l’aéroclub d’Olomouc. En septembre 1936, il rejoint l’école d’aviation militaire de Prostějov, dont il sort diplômé en juin 1938. Après l’occupation de toute la Tchécoslovaquie le 15 mars 1939, il décide de fuir à l’étranger pour rejoindre la résistance via la Pologne d’où il rejoint ensuite la France, le 29 juillet 1939.
Lui aussi passera par le fameux camp d’Agde qui regroupe les Tchécoslovaques avant d’être transféré à Istres près de Marseille et de rejoindre ensuite l’Afrique du nord, puis l’Angleterre, après la bataille de France. Après de multiples entraînements et formations, Robert Ossendorf est transféré le 6 janvier 1942 au 312e escadron tchécoslovaque de la RAF à Angle Base, au pays de Galles.
La suite est connue : deux ans plus tard, c’est en Bretagne qu’on le retrouve, accidenté, blessé, caché puis évacué. Libuše Osenská a été autrefois l’épouse du fils de Robert Ossendorf, devenu Osenský après la guerre suite à un appel présidentiel aux citoyens de patronyme allemand à « tchéquiser » leur nom. Elle évoque le retour de son beau-père qu’elle n’a toutefois jamais connu :
« Robert Ossendorf est rentré en Tchécoslovaquie après la guerre, en août 1945. Il a été envoyé à České Budějovice où il a rencontré sa future épouse qui était rescapée d’un camp de concentration. Elle s’appelait Margareta Reinichová, elle était juive et avait été déportée en 1942 à Osnabrück. Lors de la libération du camp, elle s’est retrouvée dans un camp de rapatriement en Suède avant de revenir à České Budějovice où Robert Ossendorf avait demandé d’être affecté à l’aéroport local. »
Décoré à de nombreuses reprises côté tchécoslovaque, mais aussi côté français, celui qui s’appelle désormais Robert Osenský se marie. À l’automne 1946, Robert et Margareta - devenue Markéta - auront un fils, Petr, mais la famille ne dure pas longtemps. L’année suivante, Robert quitte l’armée et devient pilote pour ČSA. En février 1948, survient le coup d’État communiste et Robert commence à planifier sa fuite vers l’Allemagne. Malgré ses préparatifs pour fuir en famille, son épouse ne le suivra pas, en raison d’une santé défaillante due à l’expérience concentrationnaire.
C’est là que l’histoire se complique et devient trouble : selon des informations non confirmées, Robert Osenský se rend d’abord en Allemagne occupée, puis rejoint les services secrets britanniques. Depuis des bases situées dans le nord de l’Allemagne, il semble qu’il ait survolé le territoire de l’Union soviétique pour y déposer des agents. Sa femme n’a, elle, jamais pardonné à Robert d’être parti, et surtout de ne plus avoir jamais donné de nouvelles par la suite, ni de l’avoir aidée financièrement avec son fils.
Robert Osenský est mort dans des circonstances peu claires en 1955 sur l’île de Sylt, dans le nord de l’Allemagne et est inhumé au cimetière militaire de Hambourg. Après la révolution, il a été réhabilité et promu au grade de colonel à titre posthume. Son histoire est restée longtemps tabou dans sa famille, en raison de son silence après son départ mais aussi, dans une certaine mesure, parce que son propre fils a plus tard eu un comportement assez similaire vis-à-vis de sa propre famille.
Mais des années plus tard, son arrière-petit-fils Jan Bartuška s’est intéressé à lui et par le biais de circonstances diverses, est rentré en contact en Bretagne avec Jimmy Tual qui s’intéressait au destin de Robert Osenský depuis longtemps. Ces recherches parallèles puis conjointes ont mené les descendants du pilote à se rendre en Bretagne il y a deux ans, où Jan Bartuška, et la petite-fille de Robert, Daniela, ont pu rencontrer Léon Poilvert, le petit-fils de l’homme qui a hébergé et donc sauvé leur aïeul d’une mort certaine. Un moment extrêmement émouvant pour les deux familles qui ignoraient tout l’une de l’autre auparavant, comme se souvient Daniela, la petite-fille du pilote :
« Léon Poilvert a dit que nous sommes les premiers à être venus les remercier d’avoir caché notre grand-père… Personne auparavant n’était venu de Tchéquie voir la famille et lui dire merci. Sur place, on nous a emmenés à tous les endroits où il avait été, là où l’avion est tombé, le grenier où il a été caché etc. Et nous, nous étions là, les larmes aux yeux. J’ai pu toucher les murs de la maison où il a séjourné. Nous avons également été sur la plage d’où il a été évacué. C’était très émouvant pour moi d’imaginer mon grand-père en train de ramper pour rejoindre le bateau de pêcheur. C’était incroyable, c’était un moment très fort… »