Bernard Minier : « Kundera m’a beaucoup influencé »

Bernard Minier, photo: Albatros Media

« On pourrait peut-être ajouter un ‘-son’ à la fin de mon nom et me ranger dans le même rang que les auteurs scandinaves », dit Bernard Minier, un des meilleurs auteurs français de romans policiers. Deux de ses ouvrages, les romans « Glacé » et « Le Cercle », ont été traduits en tchèque et publiés aux éditions XYZ. Bernard Minier est venu récemment à Prague pour présenter aux lecteurs la traduction tchèque de son deuxième roman. A cette occasion il a accordé à Radio Prague un entretien dont voici la première partie.

Bernard Minier,  photo: Albatros Media
Comment définissez-vous le genre de vos livres ? S’agit-il de romans policiers, de polars, de thrillers ou de romans tout court ?

« Alors ça, c’est la question qui en général me fait froncer les sourcils parce que je n’aime pas trop les catégories. Je sais qu’en France on aime bien ranger depuis Descartes tout le monde dans un petit tiroir mais je crois que c’est Claude Mesplède qui a dit que ‘Glacé’ est un roman à mi-chemin entre le roman noir et le thriller et ça me plaît assez, cette définition. Il y a l’aspect social du roman noir, il y les aspects non pas politiques parce que le propos d’un roman n’est pas d’être politique mais de poser certaines questions et il y a aussi l’aspect d’un thriller, à savoir on suit les victimes pas à pas, on utilise la peur et d’autres émotions pour faire passer des idées et pour communiquer des choses au lecteur. Mais voilà, je n’ai pas envie de définir mes romans. Ce qui m’a surpris, c’est qu’en France il a été étiqueté comme thriller et quand j’ai été en Angleterre, où j’ai eu la chance d’être sélectionné parmi les meilleurs romanciers des dernières années, il y avait deux catégories, celle du thriller et celle de ‘crime novel’. ‘Alex’ de Pierre Lemaître était dans la catégorie ‘thriller’ et moi j’étais dans la catégorie ‘roman noir’. Voilà, franchi la Manche, j’ai changé de catégorie. Cela en dit long sur la pertinence de ces catégories. »

Vous écrivez dans votre biographie que c’est la lecture à haute voix de Robinson Crusoé à l’âge de huit ans qui vous a donné l’envie d’écrire. Avez-vous vécu donc à partir de ce moment-là avec l’intention de devenir écrivain ? Avez-vous jamais douté de cette vocation ?

'Glacé',  photo: XYZ
« Ah si, j’ai douté très longtemps puisque j’ai proposé mon premier texte à la publication à cinquante ans. C’est vous dire toutes les années que j’ai passées à douter. J’ai écrit en effet depuis très longtemps, depuis que je suis gosse, j’ai toujours écrit des tas de choses très différentes, dans tous les genres, mais j’étais persuadé que je ne méritais pas d’être publié. J’estimais qu’il y avait beaucoup trop de livres qui paraissaient chaque année et qui auraient pu se dispenser de paraître. Et je n’avais pas envie d’ajouter mes textes à cette avalanche, à ce tsunami littéraire. C’est plutôt une rencontre avec un monsieur spécialiste du polar qui m’a convaincu, après avoir lu les soixante premières pages de ‘Glacé’, de finir le livre et de le proposer à la publication. Sans cette rencontre, et c’est souvent le cas dans la vie, sans cette rencontre-là je pense que je serais encore aujourd’hui douanier et mes textes dormiraient dans un tiroir. Donc c’est pour dire à quel point le doute était présent. »

Parmi les auteurs et les héros littéraires qui ont été importants pour vous, vous citez outre Robinson par exemple, Tintin, Jules Verne, mais aussi Isaac Asimov, Conan Doyle, et plus tard Camus, Neruda et même Ortega y Gasset. Y a-t-il encore d’autres auteurs qui ont été importants pour vous et qui vous ont peut- être influencé ?

Bernard Minier,  photo: Albatros Media
« Oui, il y en a eu énormément. En fait, cette liste-là était totalement arbitraire et instructive parce que je suis un grand lecteur et pas seulement de romans policiers. J’ai lu finalement assez peu de romans policiers, je lis beaucoup d’autres choses. Mais il y a des tas de gens que je pourrais citer et qui ne m’ont peut-être pas influencé mais qui en tout cas sont des gens que j’admire et qui m’intéressent. Il y aurait Hennink Mankell, Jo Nesbө et des gens comme ça, il y aurait Le Roy, Connelly. Il y en aurait beaucoup d’autres, c’est difficile à dire comme ça. Je suis fan de Martin Amis, je lis beaucoup de littérature anglaise et allemande. J’ai fait une tournée en Pologne, il y a une semaine à peu près, et je suis passé à Gdansk. Evidemment, je n’ai pas manqué de m’arrêter devant cette merveilleuse statue dans un square qui représente Günter Grass assis sur un banc en face de sa créature la plus célèbre, à savoir Oscar le tambour. Voilà c’est aussi un livre majeur pour moi. Donc on pourrait parler des heures et des heures… »

Y-a-t-il parmi les auteurs que vous avez lus aussi des écrivains tchèques ?

‘Les choses sont plus compliquées que tu ne le penses’. Quand j’ai lu cette phrase-là, c’était une révélation.

« Oui, j’en ai parlé ce matin avec certains journalistes. Vous le savez comme moi, la Tchéquie est un petit pays et elle a une littérature qui est énormément traduite et très connue à l’étranger aussi bien en France qu’aux Etats-Unis, des auteurs comme Hrabal, Vaculík, Ivan Klíma, Milan Kundera, je ne parle même pas de Kafka évidemment. Kundera m’a énormément influencé dans le sens peut être moins en tant qu’auteur mais par ce qu’il dit de l’art du roman. A savoir que l’esprit du roman c’est l’esprit de complexité, que chaque roman dit au lecteur : ‘Les choses sont plus compliquées que tu ne le penses’. Quand j’ai lu cette phrase-là, c’était une révélation. C’est vraiment à mon avis la clé de mon écriture, c’est sans doute la clé de l’écriture de tout roman qui est tel que le roman devrait être. »

Quelles sont les qualités principales qu’un bon roman policier doit avoir ? Quelles sont les conditions de l’efficacité d’un polar ? Est-ce un secret d’auteur ?

« Non, je ne pense pas que c’est un secret. Il y a des méthodes, je les ai étudiées un peu au début, chaque auteur a les siennes. Il y a des ficelles. Moi, je compare toujours l’écriture d’une littérature du genre et du roman policier au patinage artistique. C'est qu’il y les figures imposées et les figures libres. Les figures imposées, ce sont les surprises, les retournements, les coups de théâtre et à la fin ce qu’on appelle le ‘switch’ final maintenant avec ce mot barbare anglais, ou l’on retourne le lecteur comme une crêpe et l’on est obligé de le surprendre. Ça fait partie des figures imposées. C’est amusant mais ce n’est pas forcément le plus important. Moi je préfère de très loin les figures libres, c’est à dire tout ce qui dépasse, tout ce qui sort du cadre. Ça m’intéresse beaucoup plus. »

Comment construisez-vous la trame et l’intrigue du roman ? Travaillez-vous selon un plan précis ?

'Le Cercle',  photo: XYZ
« Chaque livre a été différent dans ma façon de travailler. Pour ‘Glacé’, je connaissais le début et la fin et je me suis laissé guider par les personnages parce que je crois beaucoup que l’aspect le plus important du roman ce sont les personnages, donc les personnages décident un peu de ce qui va se passer. Pour ‘Le Cercle’, c’était un peu la même chose. En revanche, pour ‘N’éteins pas la lumière’, et pour mon dernier livre paru en France ‘Une putain d’histoire’, là, j’avais un synopsis beaucoup plus développé, beaucoup plus réglé. Mais en même temps, il y a des moments où j’écris des scènes différemment de ce que j’avais prévu parce que d’abord ça ne correspond pas aux personnages et je m’en aperçois un peu tard et aussi parce qu’il faut une part de spontanéité si l’on veut surprendre le lecteur et si l’on veut prendre plaisir à l’écriture. »

Votre nom est parfois cité avec les auteurs célèbres de la vague de polars scandinaves qui a déferlé sur le monde entier. Vous sentez-vous apparenté à ce mouvement qui a remporté un grand succès de librairie ?

« Cela me fait très plaisir parce qu’il a y là des auteurs que j’admire énormément, j’ai parlé de Jo Nesbө, de Henning Mankell, Stieg Larsson, auteur de ‘Millénium’. Je crois qu’on n’a pas toujours rendu justice en France à ce livre-là, peut-être à cause de la traduction, je ne sais pas, mais je trouve que c’est assez remarquable aussi. En plus avec ‘Glacé’, qui est un livre qui se passe dans les Pyrénées, dans la glace, dans la neige, l’analogie était tellement évidente que c’était presque trop facile de me comparer à ça. Il y a aussi l’aspect social qui m’importe et qui est très présent dans la littérature scandinave. On pourrait peut-être ajouter un ‘-son’ à la fin de mon nom et me ranger dans le même rang que les scandinaves. »

(Nous vous présenteros la seconde partie de cet entretien dans le cadre de cette rubrique samedi prochain.)