Bruxelles : quelle marge de manœuvre pour Andrej Babiš dans les futures négociations?

Andrej Babiš (à gauche) avec les Premiers ministres des pays de Visegrad, photo: Site officiel du Gouvernement de la République tchèque

Le Premier ministre tchèque Andrej Babiš est dans la tourmente mais se défend bec et ongles contre les premières évaluations des auditeurs de la Commission européenne, qui selon lui se trompent et n'ont pas à interpréter la loi tchèque. Dans quelle mesure les derniers développements peuvent-ils influer sur la marge de manœuvre du chef du gouvernement tchèque dans les prochaines négociations à Bruxelles ?

A. Babiš  (à gauche) avec ses homologues slovaque P. Pellegrini et hongrois V. Orban,  photo: Site officiel du Gouvernement de la République tchèque
Après les récentes élections européennes, ce sont d’abord les tractations sur la composition des groupes du nouveau Parlement européen qui vont occuper les différentes formations. Eric Maurice dirige le bureau bruxellois de la fondation Robert Schuman :

« Vu de Bruxelles, la Tchéquie est un Etat relativement mineur ces dernières années, parce qu’il n’y a pas eu de dirigeants très forts et qu’au sein du groupe de Visegrad, la Pologne et la Hongrie ont joué un rôle plus important récemment. La Tchéquie était vue comme l’un des membres moins actifs et moins audibles, mais avec Babiš cela a un petit peu changé. »

« D’abord quand il était ministre des Finances il a défendu ses positions très fortement sur les questions de TVA notamment. Aujourd’hui en tant que chef de gouvernement au sein du Conseil européen c’est vrai qu’il peut être crucial en tant qu’allié potentiel d’Emmanuel Macron dans le groupe libéral ALDE au Parlement… »

Ce n’est pas joué encore pour ALDE et cela va faire l’objet de négociations…

« Oui, et il faut voir après les derniers développements si ALDE va vouloir continuer à travailler avec le parti ANO d’Andrej Babiš. ANO a six eurodéputés et ALDE aurait intérêt à les conserver. Pour l’instant ALDE semble faire la part des choses entre le cas Babiš et les députés européens élus sur la liste ANO au dernier scrutin. »

« La Tchéquie va devoir négocier le prochain budget européen avec comme enjeux principaux la Politique Agricole Commune et la politique de cohésion et de fonds structurels – précisément deux aspects mis en cause actuellement dans les affaires d’Andrej Babiš. Cela risque donc d’affaiblir la position ici à Bruxelles des diplomates, des ministres tchèques et d’Andrej Babiš lui-même s’il est encore en place à l’automne prochain quand se dérouleront ces discussions entre dirigeants. »

ANO soluble dans ALDE ? - La PAC et les fonds de développement régional comme 'lignes rouges'

Même si la position d’Andrej Babiš risque d’être fragilisée par ses ennuis actuels, il vient de remporter les élections européennes et reste à la tête de la coalition gouvernementale toujours en place. Martin Michelot représente à Bruxelles l’institut tchèque Europeum :

A. Babiš avec des membres du groupe ALDE,  photo: site officiel du Gouvernement de la République tchèque
« Le Conseil européen se partage entre deux forces principales, le PPE qui compte techniquement neuf leaders et ALDE, qui en compte huit avec Andrej Babiš, et qui n’a pas vraiment intérêt à le perdre dans ce cadre d’équilibre des pouvoirs.

« Pour ce qui est des groupes au Parlement européen, on sait que les eurodéputés du parti ANO n’ont pas été invités à l’espèce de réunion constituante (https://eu-renaissance.org/fr/articles/25/declaration-conjointe-a-la-suite-du-meeting-de-strasbourg) du nouveau groupe ALDE, qui devrait discuter du cas Babiš à la fin du mois de juin – donc on est encore un peu dans l’expectative. »

« Ce qui est clair c’est que si le groupe ‘ALDE 2.0’ ne veut pas se retrouver dans la même situation que le PPE avec le Fidesz de Viktor Orban – même si les cas tchèque et hongrois ne sont pas équivalents -, il va falloir être très précautionneux avec l’intégration des eurodéputés d’ANO. »

« Ces eurodéputés d’ANO représentent-ils les abus d’Andrej Babiš ? Je n’en suis pas sûr. Mais cela pourrait donner une image négative et mettre en évidence des contradictions du groupe ALDE, qui soutient l’éviction du Fidesz par le PPE. »

Quelle sera la position d’Andrej Babiš dans les futures âpres négociations sur le prochain budget européen, pour le «cadre financier pluriannuel de l’Union européenne » des années 2021-2027 ?

« Il y a deux priorités qui sont très claires pour la Tchéquie dans ces négociations : faire en sorte que les fonds de développement régional et les fonds de la politique agricole commune (PAC) restent au même niveau, parce que ce sont les deux fonds qui bénéficient le plus au pays. Andrej Babiš est vent debout contre toute réduction de ces deux lignes budgétaires qui sont vraiment pour lui des ‘lignes rouges’ ».

Avec quelle légitimité peut-il désormais négocier, après ces projets de rapports d’audit de la Commission européenne qui mettent en avant ses conflits d’intérêts, notamment dans le secteur agricole ?

Le Parlement européen,  photo: Site officiel de České volby
« La légitimité découle tout simplement du fait que le chef de gouvernement qu’il est peut mettre un veto à tout accord s’il n’est pas satisfait. Evidemment c’est une mécanique qui va impliquer les 28 chefs d’Etat et gouvernement, donc le veto tchèque n’est pas le seul veto potentiel et il y a de très fins mécanismes d’équilibre qui sont en place. »

« Mais A. Babiš peut passer outre tout problème de crédibilité en brandissant la menace d’un veto. Il faut cependant mettre en avant le fait que les choses sont très compartimentées à Bruxelles : la discussion concernant le prochain budget européen est complètement détachée de ce que peuvent faire les services légaux de la Commission européennes concernant les audits actuels. »

« Je suis relativement sceptique sur sa potentielle marge de manœuvre : s’il agitait la menace d’un veto sur le budget, j’ai personnellement l’impression que cela pourrait le décrédibiliser encore davantage. »