Au futur Parlement européen, « le groupe ALDE embêté par le cas Babiš »

Andrej Babiš, photo: ČTK / Roman Vondrouš

Le Premier ministre Andrej Babiš a donc remporté le scrutin européen en Tchéquie avec 21,2% des voix, mais son partenaire gouvernemental social-démocrate (ČSSD) subit un échec cuisant et les partis d’opposition, dont les Pirates, sortent plutôt renforcés. Christian Lequesne est professeur de science politique à SciencesPo et ancien directeur du CEFRES dans la capitale tchèque; il a répondu aux questions de Radio Prague :

Andrej Babiš,  photo: ČTK / Roman Vondrouš
« Une victoire à la Pyrrhus » est l’expression – trop – souvent employée après une élection ces derniers temps ; correspond-elle à la victoire du chef du gouvernement tchèque ?

« Andrej Babiš maintient son parti en première position mais doit faire face à la montée d’autres forces, notamment des Pirates. Ce Parti pirate me fait un peu penser aux partis des Verts dans certains autres Etats-membres, c’est-à-dire rassemblant un électorat plutôt urbain avec un certain niveau d’études et des idées plutôt de centre-gauche sur le plan socio-économique. »

Le Parti pirate tchèque envisagerait d’ailleurs de siéger dans le groupe Verts/ALE au Parlement européen. A ce propos, le mouvement ANO d’Andrej Babiš faisait jusqu’ici partie du groupe ALDE, avec notamment les Français du parti d’Emmanuel Macron et les Belges du parti de Guy Verhofstadt; le Premier ministre tchèque a annoncé qu’il allait mener des négociations avec eux dans les prochains jours – avec quelles perspectives selon vous ?

« Le groupe ALDE a hésité à inviter M. Babiš à sa récente réunion. A mon avis, ils sont embêtés parce que M. Babiš est un homme politique poursuivi par la justice, populiste dans son style, mais derrière il a un parti qui, semble-t-il, est plus modéré que lui. Surtout, le groupe ALDE veut faire la différence par rapport au groupe social-démocrate et au groupe du Parti populaire européen dans les coalitions du nouveau parlement européen. Donc à mon avis la décision n’est pas prise. D’un côté, il y a la question d’image, davantage liée à la personnalité de M. Babiš qu’à son parti et qui fait hésiter ce groupe des libéraux ALDE. De l’autre côté, il y a la stratégie politique, dans laquelle toutes les voix qui pourraient rejoindre ce groupe sont les bienvenues. »

On assiste à Prague, comme à Paris, à un certain effondrement de la gauche avec un score inférieur à 4% pour le Parti social-démocrate (ČSSD). Est-ce une tendance qui s’inscrit dans la durée selon vous?

Le Parti pirate tchèque,  photo: ČTK / David Taneček
« Je pense que les Pirates, ainsi que les Verts ailleurs, ont tendance à capter l’électorat de gauche, au détriment des parti sociaux-démocrates classiques. Ces partis ont l’avantage d’être à la fois d’orientation sociale sur le plan économique et aussi très ouverts sur les questions sociétales comme le mariage entre personnes de même sexe. Cela plaît à une partie de l’électorat, notamment l’électorat jeune et urbain, qui s’y retrouve beaucoup plus que dans le discours social-démocrate classique dans lequel il s’agissait de défendre le travail contre le capital. Je pense qu’on assiste en Europe à une vraie recomposition de la gauche et qu’effectivement la vieille social-démocratie est en train de s’éteindre. »